L'anthropologue François Héran fait état, dans un long article, d'imprécisions et d'incorrections qui crédibilisent une fausse prophétie, y compris aux yeux du président Emmanuel Macron. La thèse du journaliste-écrivain Stephen Smith, selon laquelle l'Europe sera d'ici 2050 peuplée à 25% d'Africains subsahariens, vient d'être à nouveau battue en brèche. Après la récente étude de l'Institut national d'études démographiques (INDE), qui a invalidé la supposée «invasion prévisible de l'Europe par la population d'Afrique subsaharienne en 2050», François Héran, anthropologue, philosophe, sociologue et démographe au Collège de France, lui a emboîté le pas. Le 18 septembre, dans le magazine international d'analyse La Vie des idées, il a longuement répondu à Stephen Smith et à son essai «La Ruée vers l'Europe» (Grasset, 2018), dans lequel ce dernier fait état de sa brûlante thèse. «Un paradoxe majeur du livre est qu'il contient les éléments qui minent la thèse principale. L'auteur sait pertinemment qu'à l'échelle mondiale, ce ne sont pas les régions les plus pauvres qui émigrent le plus. Il sait qu'au sud du Sahara, l'on manque des ressources nécessaires pour migrer en masse», écrit François Héran. Des imprécisions et incorrections qui crédibilisent une fausse prophétie Le démographe s'étonne également de la maigre documentation du livre de Stephen Smith : «Livre bien documenté, ai-je lu çà et là. Je suis frappé du contraire. Pour un spécialiste chevronné de l'Afrique, la documentation est lacunaire et obsolète. Smith soutient, par exemple, que les démographes se seraient aveuglés sur l'évolution de la fécondité africaine. C'est oublier que le plus lu des démographes africanistes dans les années 1990, John Caldwell, avait attiré l'attention de ses collègues sur le retard de la transition démographique dans les pays enclavés de l'Afrique subsaharienne (…).» Autre incorrection, d'après François Héran : la «tragédie statistique» de l'Afrique évoquée par Stephen Smith, en référence à un manque cruel de données statistiques sur ce continent. Et le sociologue de lui répondre : «C'est peut-être vrai des données économiques mais, s'agissant des données démographiques, ce constat est obsolète. Tabutin et Schoumaker soulignaient déjà en 2004 'un progrès considérable des connaissances' sur la démographie de l'Afrique, que ce soit sur la fécondité, la mortalité ou les migrations. Il faut jeter un coup d'œil au volume méthodologique que la division de la Population des Nations-Unies a publié en ligne en 2017 pour accompagner la sortie de ses dernières projections ; on y voit que les experts de la division ont intégré les tendances fournies par une longue série d'enquêtes : plusieurs dizaines pour le seul Nigéria ! Informations très accessibles, là encore. Encore fallait-il, pour les trouver, sortir de l'essayisme ou de la sphère journalistique.» Comme un clin d'œil aux rectifications apportées par François Héran, le journal Libération indique aujourd'hui qu'en 2018, beaucoup moins de migrants sont entrés dans l'Union européenne que les années précédentes. Les chiffres sont revenus au niveau de 2014. Ainsi, cette année, les trois pays dont sont originaires le plus de demandeurs d'asile ne se trouvent pas en Afrique subsaharienne : il s'agit de la Syrie (13%), l'Afghanistan (7%) et l'Irak (6%). En France, près de trois quarts des demandes d'asile sont rejetées (62% dans toute l'Union européenne).