Le cinéaste rend l'âme le 31 mars à l'âge de 86 ans. Un parcours palpitant marque une vie rythmée de persécutions, de censures et de succès. De « Coplan sauve sa peau » (1968) à « La Tribu » (1991), une vingtaine de longs-métrages content une certaine France. Pour la télévision, il signe également quelques chefs-d'œuvre. Morceaux vicieusement choisis. Farceur-né, provocateur constructif, ingérable et créateur pluriel, le cinéaste aura combattu un système où les pressions viennent de toutes parts. Ce qui lui vaut des relations intimes avec la censure. « Les censeurs, ce ramassis de crétins, au sens médical du terme », dit-il. Cette situation, Yves Boisset y barbotte à longueur de belles réalisations. « Dix ans de cinéma, onze films : de ''Coplan sauve sa peau'' en 1968 à ''La clé sur la porte en 1978'', en passant par ''Le Juge Fayard dit le Shériff ''. Presque autant d'occasions de tirer à vue : le racisme, la guerre d'Algérie, l'Affaire Ben Barka ou toute histoire politico-policière mal ''étouffée'' ». Ce résumé, ainsi élaboré en 1979 par le quotidien français Le Figaro, cache une colère à l'endroit de donneurs de leçons comme à celui de ceux qui voient en Boisset un empêcheur de tourner en rond : « Les gens cultivés, je n'ai rien à leur apprendre. Je fais un cinéma populaire politique pour essayer de toucher un public non informé (...) Un censeur est fatalement un imbécile. Personne d'un niveau intellectuel et moral acceptable ne peut même tolérer l'idée d'y participer... » Et voilà qui fait tilt. En 1980, le cinéaste réalise « La Femme flic » avec Miou Miou. Un film conventionnel qui laisse les censeurs sur leur faim avec l'apparence de se ranger du côté des forces de l'ordre : « La police ce n'est pas toujours la matraque. Je ne lui voue pas une tendresse effrénée -le mot est faible- mais on ne peut pas s'en passer. Et puis, elle est en pleine mutation. Je veux montrer cette nouvelle génération de policiers, post soixante-huit, qui lisent Charlie Hebdo, fument des joints et dérangent les chaussettes à clous d'il y a quinze ans. » On y voit que du feu : l'inspecteur de police est tragiquement sympathique, voire touchante. Elle veut faire respecter la loi et défendre les enfants. Ici, « pas moins de quatre histoires vraies, transposées à Hénin-Liétard. Pour éviter toute diffamation. Les pavés pourraient éclabousser. Prostitution enfantine, enfants martyrs, inceste, l'enfance tabou. » Yves Boisset prend un malin plaisir à renverser la vapeur : « Le cinéma français n'abuse pas des vrais problèmes. Il faut pourtant en rendre compte d'une manière accessible à tous. Il faut parler au public du samedi soir, celui qui aime de Funès et les Charlots, avec le langage qui lui est habituel. » Le réalisateur engage alors quelques noms qui font une certaine unanimité : Annie Girardot, Patrick Dewaere, Jean Carmet... Avec cela, il astique ses propres scénarios.
Seznec, Dreyfus, Salengro...
Qualifié « cinéaste de gauche », Yves Boisset est un réalisateur-scénariste cogneur, s'inspirant de faits réels. Son dada, la dénonciation de « la bêtise, dont le racisme est une variante spécifique et chercher la vérité ». Vingt longs-métrages lui suffisent avant de quitter le cinéma (« La Tribu », 1991) pour s'attaquer à la télévision, toujours avec cette rage de dévoiler, de casser. « Je me suis efforcé de survivre en faisant des téléfilms qui étaient souvent des films traduisant des préoccupations sociales évidentes », se console-t-il. Pourtant, les récompenses pleuvent. Il signe en 1993 « L'Affaire Seznec », en 1995 « L'Affaire Dreyfus », en 1997 « Le Pantalon », en 2006 « Les Mystères sanglants de l'Ordre du temple solaire », en 2009, « L'Affaire Salengro ». Il publie ses Mémoires en 2011, « La Vie est un choix ». Il y accuse l'ex-ministre socialiste Michel Charasse d'avoir « diligenté un contrôle fiscal lors de la préparation d'un film gênant pour le président François Mitterrand sur le commerce des armes ». Boisset écope d'une condamnation pour diffamation. Le film n'est finalement jamais tourné. Le cinéaste-monteur marocain Allal Sahbi Bouchikhi se souvient de faits remontant au milieu des années 1970 : « J'ai eu le privilège de rencontrer Yves Boisset en 1975 à l'occasion de la sortie de son célèbre film ''Dupont la joie'' grâce à un ami commun, le romancier et réalisateur, Jean- Pierre Bastide, co-scénariste du film et de ''L'Attentat'' et qui me confiait le montage de ses téléfilms. On avait évoqué le réalisateur Souheil Ben Barka qu'il connaissait et qui venait de produire et de réaliser son deuxième film ''La guerre du pétrole n'aura pas lieu'' -j'étais son assistant à l'époque. Il m'a dit : ''Tu as de la chance de travailler avec ce réalisateur qui a compris l'utilité et la fonction du cinéma. Vos pays ont besoin de ce type de réalisateurs ''engagés''. Malheureusement, à la suite de ce film, Souheil n'a pas résisté à certaines pressions et a cédé au charme des sirènes du pouvoir. Ce qui nous a, peut-être, privés d'un Yves Boisset Marocain. » Le vrai Boisset, le Français, démarre sa carrière en assistant Jean-Pierre Melville ou encore Vittorio de Sica. Il dit, plus tard : « Le cinéma, c'est la vie. »