Depuis 2022, le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a multiplié les déclarations réaffirmant que «la position de l'Espagne sur la question du Sahara n'a pas changé. C'est ce qui est déjà exprimé dans la Déclaration conjointe, adoptée le 7 avril 2022.» Dans cette déclaration, «l'Espagne reconnaît l'importance de la question du Sahara pour le Maroc ainsi que les efforts sérieux et crédibles du Maroc dans le cadre des Nations unies pour trouver une solution mutuellement acceptable. À ce titre, l'Espagne considère l'initiative marocaine d'autonomie, présentée en 2007, comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend.» Parallèlement, les actes accompagnant les paroles, les visites ministérielles se sont succédé entre Rabat et Madrid, des accords ont été signés, les projets économiques conjoints se sont multipliés, la coopération s'est intensifiée dans divers domaines, les échanges commerciaux ont augmenté. Plusieurs décisions espagnoles favorables au Maroc ont suivi, en particulier la publication au Journal officiel d'un texte mentionnant Laâyoune comme une ville marocaine, ou le rejet des demandes d'asile de 52 personnes originaires du Sahara et leur renvoi au Maroc. Récemment, la section du PSOE au Parlement de Navarre s'est opposée à une résolution visant à reconnaître le Front Polisario comme «le seul et légitime représentant du peuple sahraoui.» La réponse du gouvernement espagnol à une question d'un député, le 12 février 2024, après avoir indiqué que «la position de l'Espagne sur le Sahara occidental est pleinement conforme à la légalité internationale» et que la position en question figure «au point 1 de la Déclaration conjointe du 7 avril 2022 et au point 8 de la Déclaration conjointe du 2 février 2023», a réitéré fidèlement les trois points devenus désormais une constante de la diplomatie espagnole sur ce dossier : soutien à une solution politique mutuellement acceptable dans le cadre de la Charte des Nations unies, soutien aux efforts de l'envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, engagement de l'Espagne sur le plan humanitaire. En septembre 2024, dans son discours à la 79e session de l'Assemblée générale de l'ONU, Pedro Sánchez a à peine mentionné la question du Sahara dans un passage où il a qualifié le travail des missions de maintien de la paix d'essentiel dans de nombreux contextes, « comme celui du Sahara occidental ». Il s'est contenté de réaffirmer le soutien de l'Espagne aux efforts de l'envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU pour parvenir à «une solution mutuellement acceptable... dans le cadre des Nations unies .» Tout récemment, dans un entretien radiodiffusé, Albares, sur la question du Sahara marocain, est resté dans les clous, rappelant que la position du gouvernement espagnol «est bien connue, elle figure dans la déclaration hispano-marocaine», et réaffirmant le soutien espagnol «matériel, diplomatique et politique» à l'envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara. Comme en d'autres occasions, le ministre a renvoyé à la déclaration hispano-marocaine, sans en rappeler le contenu, et évité soigneusement de mentionner le plan d'autonomie. Etrangement, il est même allé jusqu'à affirmer qu'«il n'y a aucun changement de position» [de la part de l'Espagne], ajoutant qu'«il y a le désir qu'une situation qui est bloquée depuis 50 ans ne dure pas 50 ans de plus.» Le ministre a jugé «extrêmement irresponsable» que «certains s'accrochent à de prétendus principes pour maintenir une situation comme celle-ci gelée pendant 100 ans, 200, un siècle, deux siècles.» Ces paroles, qui visent clairement l'Algérie et le Polisario, s'inscrivent en écho à ce que nous écrivions sur ces colonnes en 2022 : «Aujourd'hui, 47 ans après avoir quitté le Sahara, l'Espagne a opéré une révision déchirante. Peut-on se nourrir éternellement de slogans et se bercer d'illusions en s'accrochant à un processus onusien qui s'éternise, qui a montré ses limites et qui se trouve dans une impasse ? Faut-il continuer à se voiler la face et persister dans une attitude qui ne mène nulle part ?» Pedro Sánchez a pris une décision courageuse, dans le but d'aider à faire sortir la question de l'impasse. Mais, contrairement au président français Macron, qui ne subit pas les mêmes contraintes et peut se permettre une posture assumée et plus audacieuse, jusqu'à s'engager à promouvoir activement le plan d'autonomie marocain sur la scène internationale, le chef du gouvernement espagnol doit composer avec un contexte politique intérieur fragile, car il est à la tête d'une coalition minoritaire constamment soumise aux arbitrages et aux compromis. Cette situation l'oblige à une grande prudence sur un dossier aussi sensible que le Sahara marocain. Le soutien au plan d'autonomie a suscité de vives critiques non seulement de la part de l'opposition de droite, mais également dans les rangs de la gauche radicale, pourtant partenaires dans la coalition, et jusque dans certains segments du Parti socialiste lui-même. À cela s'ajoute une opinion publique historiquement sensible à la question, un tissu associatif actif, et des médias en majorité réservés, voire franchement hostiles au Maroc. Dans ce contexte, Madrid est sur la corde raide. Le gouvernement espagnol n'a ni écarté l'ONU ni, bien entendu, imposé une solution. Comme d'autres pays, l'Espagne a exprimé son appui à la solution qui lui semble la plus appropriée. Avec une marge de manœuvre limitée, la diplomatie espagnole adopte un langage modulé selon les circonstances et les interlocuteurs : à Rabat et aux Marocains, elle qualifie l'initiative marocaine d'autonomie comme «la base la plus sérieuse et crédible» ; ailleurs, elle présente les trois points qui fondent sa position et déclare attendre de l'envoyé spécial de l'ONU qu'il propose une solution «mutuellement acceptable.» Un exemple pour illustrer le grand écart diplomatique que l'Espagne est obligée de pratiquer : après avoir publié sur son site officiel une carte intégrant l'ensemble du territoire marocain, y compris les provinces du Sud, le ministère des Affaires étrangères espagnol a fait marche arrière et supprimé la carte. Pour faire bonne mesure, les cartes de tous les pays africains ont été retirées. Un jeu d'équilibrisme dont Madrid s'accommode par nécessité. Quoi qu'il en soit, l'Espagne demeure un partenaire central pour le Maroc : son appui – plus ou moins assumé selon les circonstances – n'en est pas moins réel. Madrid soutient le plan d'autonomie, tout en affirmant son attachement au processus onusien. Au reste, ces deux éléments ne sont pas incompatibles, et dans l'état actuel du dossier, il faut s'en satisfaire.