Durant les mois de janvier et février 2025, le déficit commercial mensuel moyen du Maroc s'envole à -25,3 milliards DH (+632%), tiré par la flambée des importations (+7,4%) et le recul des exportations (-0,8%). Décryptage des cinq principaux secteurs responsables. Le Taux de couverture, indicateur phare de la balance commerciale, s'est détérioré à 59,1% sur les deux premiers mois de 2025, perdant 4,9 points par rapport à la même période en 2024. Une baisse qui reflète une augmentation soutenue des importations (+7,4%) conjuguée à un recul inédit des exportations (-0,8%), creusant le déficit commercial de 22,1%. La comparaison des chiffres de 2024 par rapport à 2025 révèle une détérioration plus rapide que prévu de ce taux de couverture. En effet, celle-ci s'accélère brutalement début 2025. Le ratio passe de 59,8% en 2024 à 59,1% en deux mois seulement, contre une baisse de 0,4 point sur l'ensemble de l'année 2024. Le déficit commercial mensuel moyen explose, passant de -3,464 milliards de DH/mois en 2024 à -25,371 milliards/mois début 2025, soit une aggravation de 632%. Une accélération qui reflète un mélange de chocs conjoncturels (flambée des prix des intrants, ralentissement européen) et de faiblesses structurelles (productivité stagnante, diversification insuffisante). Si la hausse des importations d'équipements (+8,7%) pourrait, à terme, moderniser l'appareil productif, son impact immédiat alourdit la balance courante sans contrepartie exportatrice visible. Ainsi, l'écart se creuse entre les investissements importés et les gains de compétitivité. Une dynamique qui interroge sur l'efficacité des réformes engagées. En effet, malgré les plans sectoriels (Plan Maroc Vert, notamment), le Maroc ne parvient pas à infléchir durablement sa trajectoire commerciale, risquant un cercle vicieux où le financement des importations essentielles grèverait les réserves de change. C'est l'occasion de braquer les projecteurs sur les cinq éléments structurels qui émergent comme les principaux responsables de la dynamique négative du taux de couverture. 1. Le repli des exportations automobiles Le secteur automobile marocain, moteur des performances à l'export, connaît un repli inquiétant de 8,2% début 2025, amputant les recettes de 2,107 milliards de DH (MMDH). Ce déclin s'explique principalement par l'effondrement du segment de la construction automobile (-2,455 milliards), essentiellement lié aux véhicules industriels et composants destinés aux marchés étrangers, ainsi que par une baisse des ventes de véhicules d'export (-131 MDH). Une tendance qui révèle des vulnérabilités structurelles : un ralentissement de la demande européenne, principale destination des exportations, des perturbations logistiques persistantes (coûts de fret, délais d'approvisionnement) et une transition insuffisamment anticipée vers les véhicules électriques. Bien que le segment des poids lourds affiche une légère progression (+130 MDH), celle-ci reste marginale face aux pertes globales. De quoi interroger sur la compétitivité industrielle du Maroc dans un contexte de concurrence accrue avec la Turquie et l'Europe de l'Est, mais aussi face aux nouveaux standards technologiques imposés par l'électrique. Quand on tient compte du fait que la dépendance aux commandes étrangères, sans montée en gamme suffisante, expose le secteur aux aléas de la demande globale, la situation souligne l'urgence de réorienter la stratégie sectorielle vers des chaînes de valeur à plus forte intensité technologique. À cela s'ajoute l'urgence de renforcer l'intégration locale des composants critiques pour réduire la dépendance aux importations. 2. La flambée des importations de produits finis de consommation Les importations de biens de consommation finis ont bondi de 10,1% début 2025, alourdissant la facture commerciale de 2,626 MMDH. Cette hausse est principalement tirée par trois postes : les médicaments et produits pharmaceutiques (+25,1% ou +381 MDH), répondant à une demande intérieure croissante mais révélant une capacité de production locale limitée ; les voitures de tourisme (+10,1% ou +321 MDH), symbole d'une consommation privée dynamique mais aussi d'une préférence pour les automobiles venant de l'extérieur. Un point qui mérite d'être développé. En effet, la hausse de 10,1% des importations de voitures de tourisme, représentant 321 MDH, incarne un double phénomène : une consommation privée résiliente et un attrait persistant pour les véhicules étrangers, au détriment de la production locale. Cette tendance reflète une demande soutenue des ménages, stimulée par un accès facilité au crédit et un renouvellement du parc automobile, mais révèle aussi les limites de l'industrie nationale à capter ce segment. Bien que le Maroc soit un exportateur majeur de véhicules et de composants, le marché domestique reste largement approvisionné par des importations de voitures neuves ou d'occasion, principalement européennes et asiatiques. Une préférence pour les marques étrangères qui s'explique par un déficit d'image des modèles produits localement, perçus comme moins adaptés aux attentes des consommateurs en termes de design, de technologie ou de durabilité. Une situation qui contribue à fragiliser la balance commerciale tout en soulignant une opportunité inexploitée. Le troisième poste qui tire vers le haut les importations de biens de consommation finis est celui des textiles synthétiques (+12,6% ou +258 MDH), utilisés par l'industrie locale mais dépendants de matières premières importées. Une dynamique qui illustre un paradoxe : le Maroc importe massivement des biens à forte valeur ajoutée qu'il pourrait partiellement produire, comme les génériques pharmaceutiques ou les pièces automobiles, faute d'investissements suffisants dans des filières stratégiques, pourrait-on déplorer. Si la demande intérieure soutenue témoigne d'une certaine résilience économique, elle accentue la pression sur la balance commerciale. La dépendance aux importations dans ces secteurs clés souligne également un déficit de diversification industrielle et une fragmentation des chaînes de valeur, limitant les effets d'entraînement sur l'emploi et la technologie locale. 3. L'augmentation des importations de produits finis d'équipement La progression de 8,7% des importations de produits finis d'équipement, équivalant à 2,285 MMDH, traduit une volonté de modernisation des infrastructures industrielles et logistiques. Ces achats, centrés sur des équipements high-tech comme les centrifugeuses (+384 MDH), les avions (+332 MDH) et les véhicules utilitaires (+325 MDH), visent à renforcer la capacité de production dans des secteurs clés tels que l'aéronautique, la chimie ou les énergies renouvelables. Cependant, cette dynamique d'investissement s'accompagne d'un paradoxe : si ces machines sont indispensables pour améliorer la compétitivité à long terme, leur financement creuse immédiatement le déficit commercial, sans garantie de retombées rapides en termes de productivité ou de substitution aux importations. Le Maroc importe des outils pour exporter davantage demain, mais comme le relève un analyste, «cette équation dépend de la capacité à maîtriser les transferts technologiques et à former une main-d'œuvre qualifiée. Sans cela, le risque est de rester tributaire de cycles d'importations récurrents pour maintenir l'appareil industriel». Une tension entre besoins immédiats de financement et gains différés qui illustre les défis d'une économie en transition, obligée d'importer des capitaux matériels pour soutenir sa transformation structurelle. 4. La hausse des importations d'animaux vivants Malgré son statut de puissance agro-exportatrice, le Maroc a accru ses importations alimentaires de 13,3% début 2025, soit 1,938 MMDH, révélant des fragilités persistantes. Les achats d'animaux vivants (+796 MDH), destinés à combler les déficits de l'élevage local, de maïs (+392 MDH) pour l'alimentation du bétail et de tourteaux (+313 MDH) pour les cultures intensives, soulignent une dépendance accrue aux intrants étrangers. Une situation qui découle d'un double choc : des sécheresses récurrentes, réduisant les récoltes fourragères et des lacunes structurelles dans la chaîne de valeur agricole, notamment l'insuffisance de stockage et de transformation locale. 5. Le recul des exportations agricoles et agroalimentaires Le secteur agroalimentaire marocain, deuxième pilier des exportations, enregistre un recul de 4% début 2025, perdant 729 MDH. Ce déclin masque une dualité inquiétante. Si les exportations de produits agricoles bruts (agrumes, légumes) progressent légèrement (+184 MDH), celles de l'industrie alimentaire transformée chutent de 898 MDH, révélant un déficit de valorisation locale. Une asymétrie qui pourrait s'expliquer par des lacunes structurelles : unités de transformation obsolètes, normes sanitaires parfois non alignées sur les standards internationaux et innovation limitée dans les emballages, la conservation ou la certification bio. La faible intégration des petits producteurs dans les chaînes de valeur modernes, couplée à une logistique de stockage défaillante, limite la capacité à répondre à la demande de produits transformés à haute marge (plats cuisinés, aliments fonctionnels). Le modèle marocain reste coincé dans une spécialisation intermédiaire En l'absence de mesures structurelles, le Maroc risque de voir sa balance commerciale continuer à se dégrader, avec des implications sur sa capacité à financer les importations essentielles. La fenêtre d'action se rétrécit, mais les leviers existent. Rappelons que sur la période 2021-2025, le taux de couverture a stagné sous la barre des 60%, un signal de vulnérabilité chronique. Une rigidité qui s'explique par deux dynamiques paralysantes. D'une part, la structure des importations, dominée par des biens non substituables à court terme (énergie, équipements industriels), repart à la hausse début 2025 (+7,4%) après une légère baisse en 2024 (-6,5% pour l'énergie), soulignant une dépendance systémique. D'autre part, les exportations, après une croissance de 5,8% en 2024 grâce aux phosphates et à l'aéronautique, marquent un recul de 0,8% début 2025 (-604 MDH), les secteurs traditionnels (automobile, agroalimentaire) atteignant un plafond de compétitivité, tandis que les nouveaux relais (énergies renouvelables, services informatiques) peinent à émerger. Ainsi, le modèle marocain reste coincé dans une spécialisation intermédiaire. Il exporte des composants automobiles ou des engrais, mais peine à capter les segments à forte valeur ajoutée comme les logiciels embarqués ou les services logistiques avancés. Une inertie qui reflète un déficit d'innovation et de diversification, exacerbé par une concurrence régionale accrue et des barrières non tarifaires persistantes sur les marchés européens. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO