A sa première rentrée scolaire en tant que nouveau ministre de l'Education nationale en France, Gabriel Attal a annoncé, dimanche 27 août, que l'abaya ne serait plus autorisée dans les établissements du pays. Ce lundi en conférence de presse de la rentrée, le ministre a officialisé la mesure, considérant que ce vêtement couvrant traditionnel au Moyen-Orient était associé à un signe religieux de l'islam. «L'abaya n'a pas sa place dans nos écoles ; pas plus que les signes religieux». C'est ainsi que le ministre français de l'Education nationale a donné le ton de la première rentrée scolaire sous son mandat. Ce lundi en conférence de presse, Gabriel Attal a confirmé l'interdiction de ce vêtement à travers une déclaration officielle, prônant le principe de «neutralité» dans les établissement d'enseignement, du «refus du communautarisme» et de la nécessité de «protéger les écoles du prosélytisme». Par ailleurs, il a promis de former «aux enjeux de laïcité 300 000 personnels par an jusqu'en 2025» et l'ensemble des 14 000 personnels de direction, «avant la fin de l'année» courante. «Notre école est testée. Ces derniers mois, les atteintes à la laïcité se sont considérablement accrues, avec notamment le port de tenues religieuses comme les abayas ou les qamis qui ont fait leur apparition – et se sont installés parfois – dans certains établissements», a fait valoir Gabriel Attal. La veille, le ministre est déjà intervenu sur TF1, pour exprimer son intention de faire interdire l'abaya, tenue présentée sur certaines chaînes de télévision en France comme étant associée à un signe religieux musulman, comme illustré notamment par BFM TV. Il n'existe pas de définition objective de l'abaya Cette annonce désormais officielle n'a pas tardé à susciter une multitude de réactions au sein de diverses instances institutionnelles et auprès des acteurs politiques. Dans un communiqué parvenu à Yabiladi, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a affirmé, ce lundi, que l'organisation avait exprimé sa position dès le 11 juin 2023, en soutenant que «ce vêtement est qualifié à tort par certains de religieux musulman». «Le CFCM rappelle, en premier lieu, que l'école est un sanctuaire de savoir et de connaissance et non un lieu de prosélytisme de quelque nature que ce soit (…) Le CFCM qui n'a pas vocation à défendre le port d'un vêtement en particulier, mais a le devoir impératif de réfuter tout lien erroné entre le port d'un vêtement et la pratique religieuse musulmane», souligne la déclaration. En l'espèce, le CFCM indique être «dans le devoir de lutter contre toute forme de discrimination dirigée notamment contre une personne en raison de son adhésion réelle ou supposée à la religion musulmane», en insistant qu'«aucun texte référentiel de l'islam n'évoque une quelconque abaya». «Au nom de la Laïcité et du principe de séparation des Religions et de l'Etat, le CFCM conteste à fortiori qu'une autorité laïque puisse définir ce qui serait ou non religieux à la place des instances religieuses d'un culte, quel qu'il soit», ajoute la même source. «Bien que pour le CFCM, ce vêtement n'est pas religieux, il est sollicité à juste titre pour intervenir sur cette question car les risques de stigmatisation et de discrimination pour les jeunes filles 'présumées musulmanes' sont très élevés», souligne encore le Conseil. Contrastant les extrapolations médiatiques sur les descriptions de l'abaya, le CFCM rappelle qu'«il n'existe nulle part de définition claire et de critères objectifs» de ce vêtement, le terme renvoyant «uniquement à une robe longue ou manteau qui peuvent prendre des formes diverses et variées». C'est ainsi que le conseil met en garde sur les risques de mesures arbitraires, en l'absence de critères objectifs de définition, ou «en fonction du 'profil' des filles et des femmes» qui portent ces robes longues, «de leur origine et de leur religiosité supposées». Ces situations constitueraient «un précédent extrêmement grave, dangereux et discriminatoire», alerte le CFCM. «A moins d'interdire purement et simplement le port de toute robe longue à l'école et par tous, élèves et professeurs compris, quelle que soit leur appartenance ou non à une religion, il sera impossible d'appliquer une mesure visant spécifiquement la 'abaya' sans tomber dans les travers de la discrimination et de l'arbitraire.» Communiqué du CFCM Les autres débats sur la rentrée scolaire passent à la trappe Depuis dimanche, cette annonce semble avoir éclipsé les autres questions relatives à la rentrée scolaire en France, notamment son coût pour les familles, ou encore le débat sur la situation sociale du personnel pédagogique et administratif de l'enseignement. C'est ce que notent des élus de l'Assemblée nationale, parmi ceux ayant critiqué l'initiative de Gabriel Attal. Député LFI-NUPES du Val-d'Oise, membre de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation à l'Assemblée, Paul Vannier a qualifié cette mesure de «diversion raciste», qui «vise à effacer les vrais enjeux de cette rentrée : le prix des fournitures scolaires qui flambent à +11%, le manque d'enseignants avec 3 000 postes non pourvus, la réforme du lycée professionnel». L'Etat chez lui. L'Eglise chez elle. Que vient faire @GabrielAttal, ministre de la République dans un débat religieux visant à caractériser un vêtement ? Cette polémique raciste, islamophobe, est une diversion visant à masquer les graves difficultés de cette rentrée.#abaya pic.twitter.com/Ws6pYVOrFy — Paul Vannier (@PaulVannierFI) August 28, 2023 «Je suis un fervent défenseur de la laïcité et dans un pays laïc, c'est l'Etat chez lui et l'Eglise chez elle. Je ne comprends pas pourquoi un ministre de la république, le ministre de l'Education nationale, vient s'immiscer dans un débat religieux pour caractériser tel ou tel vêtement. Il le fait alors même que le CFCM a indiqué, à propos de l'abaya, qu'il ne s'agissait pas d'un vêtement religieux», a encore souligné Paul Vannier auprès de BFM TV. Le leader de La France insoumise (LFI) et co-président de l'Institut La Boétie, Jean-Luc Mélenchon, a pour sa part exprimé sa «tristesse» de voir «la rentrée scolaire politiquement polarisée par une nouvelle absurde guerre de religion entièrement artificielle à propos d'un habit féminin». «A quand la paix civile et la vraie laïcité qui unit au lieu d'exaspérer ?», s'est-il interrogé, via ses réseaux sociaux. Concernant le cadre normatif en vigueur, la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ne donne pas expressément de définition à la «tenue religieuse». Mais sa circulaire portant sur le principe de la laïcité proscrit le «port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse». Une mesure qui peut être qualifiée de «raciste» Avocat au barreau de Paris, Me Arié Alimi a pour sa part souligné que «dès lors que l'abaya est un vêtement culturel et non religieux», en référence à la déclaration du CFCM, «une norme interdisant une expression purement culturelle est hors du champ du principe de laïcité et peut donc être définie comme raciste». Par conséquent, il déplore que «la théorie complotiste et raciste du grand remplacement» soit «désormais portée par le gouvernement». De son côté, la Vigie de la laïcité a souligné qu'«une interdiction générale, sans prise en compte d'un comportement marquant une appartenance religieuse, de toute robe couvrante pouvant être communément portée par des élèves en dehors de toute signification religieuse, renverrait à une police du vêtement parfaitement contre-productive, suscitant les provocations d'élèves et entraînant davantage de replis en réaction». En réponse aux déclarations du ministre Attal, selon lesquelles les atteintes à la laïcité auraient augmenté dans le milieu scolaire, un communiqué de l'organisation a indiqué que l'approche la plus adéquate pour «lutter contre tout repli communautaire» était «le renforcement urgent de la mixité socio-culturelle à l'école». «Dans chaque établissement où elle a été renforcée, les atteintes à la laïcité ont drastiquement chuté», a insisté la Vigie de la laïcité.