L'Observatoire des médias, Acrimed, réputé pour ses critiques acerbes contre les médias et son positionnement à gauche de l'échiquier politique, propose, aujourd'hui, une analyse très critique du dernier sondage de l'Ifop sur l'image des musulmans en France. Entre les a priori des sondeurs, la nature problématique des sondages, et les biais médiatiques, le sondage perd sa substance. Sondage sur «L'image de l'islam en France» ou sur «La mauvaise image de l'islam en France» ? Dans une analyse publiée, aujourd'hui, lundi 12 novembre, par Acrimed, l'Observatoire (très) critique des médias, Blaise Magnin, chercheur en sciences politiques à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, et Henri Miler, philosophe, maître de conférences à l'Université Paris 8 et co-animateur de l'association Acrimed, démontent pierre après pierre le sondage publié par le Figaro, le 24 octobre, et réalisé par l'institut de sondage Ifop. Même si le sondage annonce respecter «fidèlement les principes scientifiques et déontologiques de l'enquête par sondage», Acrimed énumère les problèmes posés tant par la méthodologie que par l'analyse faite a posteriori par le Figaro ; les deux empruntent la même pente. La première question, «Diriez-vous que la présence d'une communauté musulmane en France est ... ?», présuppose qu'une telle communauté existe en France. La France, en contradiction parfaite avec tout principe d'objectivité, est même qualifier de «notre pays», dans la suite de la question «… plutôt une menace pour l'identité de/un facteur d'enrichissement personnel pour notre pays». «Une telle alternative présuppose que ladite «communauté» pourrait être un corps étranger dans le corps de «notre pays», ou n'en fait pas vraiment partie, alors même que les membres de la «communauté musulmane» sont partie intégrante de «notre pays»», souligne les deux auteurs. 67% des sondés culpabilisent ET dédouanent les musulmans Vient ensuite une question sur l'intégration de cette communauté musulmane «Enfin, qui nous dira alors ce que signifie être «intégré» à la société française lorsqu'on en fait partie ?», s'interrogent Blaise Magnin et Henri Miler. Puisque 67% estiment qu'ils ne sont pas intégrés, Ifop précise : «Quelles sont les deux causes qui, selon vous, expliquent le plus que les musulmans et les personnes d'origine musulmane sont mal intégrés dans la société française ?» Cette question «permet de mesurer combien il est absurde d'agréger ainsi les réponses des sondés. Les 67 % (et eux seuls) auxquelles cette question s'adresse semblent très divisés», expliquent les deux analyses. Certains accablent les musulmans eux-mêmes, mais «entre un quart et la moitié choisissent aussi des réponses qui [les] disculpent, peu ou prou, de cette intégration prétendument déficitaire», remarquent-ils. : «Le fait que les personnes d'origine musulmane soient regroupées dans certains quartiers et certaines écoles», «Les difficultés économiques et le manque de travail», «Le racisme et le manque d'ouverture de certains Français». Au-delà de la viabilité du sondage lui-même, les conclusions qui en sont tirées par ses auteurs et par le Figaro, à qui il a été délivré «en exclusivité», vont bien au-delà de ce qu'il serait permis d'en déduire. «Le chapô de l'article du Figaro annonce d'emblée : «Une étude de l'Ifop pour Le Figaro montre que la montée du communautarisme des musulmans accentue leur rejet par l'opinion», notent les deux auteurs, or il n'est nulle part question, dans l'étude, de montée du communautarisme musulman. Il s'agit d'une étude d'opinion et en aucun cas de faits, d'une part, et d'autre part, le phénomène de «montée» du communautarisme n'est jamais évoqué dans l'étude. Marge d'erreur Pour Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop, «Notre sondage démontre une évolution qui va dans le sens d'un durcissement supplémentaire des Français vis-à-vis de cette religion et d'une perception négative renforcée de l'islam.» Et pour cause : 43 % des sondés considèrent l'islam comme une «menace», alors qu'en 2010, ils n'étaient que 42 %. L'étude précise pourtant, dans son préambule méthodologique, que pour 2000 sondés – la présente étude en compte 1736 – la marge d'erreur pour un pourcentage établit entre 40 et 60% est de 2,2 points. «Compte tenu de la marge d'erreur, ce petit point supplémentaire [de 42 à 43, ndlr] ne veut strictement rien dire - et il se pourrait même, sans qu'il soit possible de trancher, que les Français se sentant «menacés» soient en réalité moins nombreux cette année qu'il y a deux ans !», ironisent Blaise Magnin et Henri Miler. «Ce sondage sur «l'image de l'islam» et son commentaire participent pleinement de ce qu'ils prétendent enregistrer et mesurer... En prétendant photographier la peur, ils l'entretiennent. Ce ne sont pas des enregistrements, mais des actes : ils font ce qu'ils disent. Ils sont donc, pour employer un terme en usage chez les analystes du langage, performatifs», concluent les deux auteurs d'Acrimed.