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Doper l'emploi, c'est maintenant ou jamais !
Publié dans Les ECO le 01 - 02 - 2011

La CGEM exige que la création d'emplois qualifiés soit érigée en priorité nationale à partir de cette année. Une vingtaine de mesures stratégiques pour inciter les entreprises à recruter plus et résorber le chômage. Pour se faire entendre, le patronat prépare son lobbying, en jouant sur la bataille électorale à venir
C'est ce mardi que la Commission emploi et relations sociales de la CGEM va présenter son rapport, comprenant les 20 mesures à proposer au gouvernement pour doper l'emploi au Maroc. À la clé, le patronat annonce une double exigence de taille.
Primo : un pacte national pour l'emploi à mettre en place et à exécuter pour les cinq prochaines années. Secundo : le travail pour la promotion de l'emploi doit commencer, selon la CGEM, «ici et maintenant», en 2011. À ce propos, Jamal Belahrach, président de la Commission et initiateur du rapport, explique : «Cette année, de vrais débats doivent être initiés sur la thématique et cela doit mobiliser tous les acteurs socio-économiques, y compris le gouvernement». De fait, la nouvelle ambition affichée au niveau de la CGEM est de pousser les acteurs à faire de la création d'emploi qualifié une priorité nationale, en agissant sur l'ensemble des leviers (notamment la formation continue et l'éducation) et de révolutionner les outils incitatifs jusque là proposés à l'entreprise. Sur ce volet, Jamal Belahrach évoque la nécessité de réserver une carotte fiscale aux entreprises championnes en matière de création d'emploi.
Big deal
Le timing de la sortie du rapport du patronat n'est pas fortuit. Le contexte s'y prête, car derrière l'implosion sociale que connaît la région, il y a en toile de fond la problématique de l'emploi, surtout celui des jeunes. À la CGEM, on ne se cache pas que la situation actuelle à laquelle il faut parer au plus vite fera en sorte que les acteurs socio-économiques soient désormais plus enclins à se mobiliser pour contrer le chômage et la précarité, en promouvant la création d'emplois qualifiés. Autre avantage que compte mettre à profit la Commission et les syndicats -qui, eux aussi, ont participé au travail du rapport-, pour faire adopter les nouvelles mesures par les politiques, ce sont les échéances 2012. Là, le patronat compte faire d'une pierre deux coups. En initiant le débat dès aujourd'hui, il espère disposer d'une marge de manœuvre suffisante pour jouer au maximum le lobbying et réussir à insérer certaines des mesures préconisées dans la loi de Finances 2012. La deuxième paire de manches consiste à pousser les partis politiques à s'y engager eux aussi. Sur cet aspect, les partis n'auront pas d'échappatoire. Ceux-ci chercheront à bien se positionner en 2012 et avec le débat sur la promotion de l'emploi qui dominera l'espace public, ils ne pourront vraisemblablement pas atteindre leurs objectifs électoraux sans s'engager en faveur de la création de l'emploi pour les jeunes. Outre ces jeux de timing et les impacts qu'ils sont censés produire, la nouveauté au niveau du patronat, est qu'on ne se voile plus la face. On admet désormais «sans gêne», qu'au Maroc comme dans le Maghreb de manière générale, les questions relatives à l'emploi (surtout concernant les jeunes), n'ont pas été jusque là sérieusement traitées. «Dans la région, on a malheureusement l'habitude de travailler par tâche et de fonctionner par opportunité.
Aujourd'hui, la tâche qui prime, c'est d'abord le développement économique, l'attraction des investisseurs et la croissance», souligne Jamal Belahrach. Et d'ajouter : «Or, on oublie que pour asseoir cette croissance, il faut anticiper l'éducation, la formation et l'employabilité des jeunes...donc œuvrer pour l'emploi».
Réalité et paradoxe
Sur ce point, les analystes ont depuis longtemps multiplié les mises en garde. En janvier 2010, lors d'un séminaire sur l'emploi dans l'espace UMA tenu à Rabat, en présence du ministre de l'Emploi et d'experts venus de divers horizons, la question a été ardemment débattue. En analysant la situation de l'emploi en Algérie, au Maroc et en Tunisie, les experts ont tiré la sonnette d'alarme, sur ce qu'ils appelaient alors le paradoxe maghrébin. Ce paradoxe résulte du fait que, malgré la crise, les trois pays continuent à enregistrer une croissance honorable, mais le hic est que celle-ci est peu génératrice d'emploi. Aussi, lorsqu'elle en crée, ce sont beaucoup plus des emplois peu qualifiés et précaires. Or, les jeunes étant de plus en plus diplômés, ils sont peu preneurs de ce type d'emploi, d'où la montée en flèche du chômage. Conséquence, le taux de chômage des jeunes est au-delà de 23% dans la région et s'établit à 18% au Maroc. La tendance est donc que dans toute la région, le chômage des jeunes diplômés représente le double du taux de chômage national. Outre ce paradoxe, la deuxième source d'inquiétude relevée par les experts, ce sont les disparités (urbain-rural et homme-femme) qui existent en matière d'accès au marché du travail et de qualité de l'emploi. En menant un travail de recherche sur le profil des mauvais emplois, Touhami Abdelkhalek, enseignant à l'INSEA, a conclu l'année dernière qu'au Maroc, 32% des actifs occupés seraient dans de mauvais emplois. Les personnes occupant ces mauvais emplois sont des jeunes de moins de 35 ans, plutôt de sexe masculin. L'antidote, explique-t-on aujourd'hui à la CGEM, serait qu'une fois adopté, le pacte national pour l'emploi soit décliné, en tenant compte des spécificités de chaque région du pays. Le challenge ne fait que commencer !
A saisir
Perspectives 2011, selon le BIT
La semaine dernière, le Bureau international du travail (BIT) a lui aussi livré son rapport sur les perspectives d'évolution du chômage et de l'emploi dans le monde pour l'année 2011. Au niveau mondial, les nouvelles sont encore loin d'être bonnes. Le BIT annonce qu' «en dépit des progrès réalisés par l'économie mondiale, les risques de détérioration de la situation en 2011 l'emportent». L'instance onusienne n'exclut pas l'éventualité de rechute de certaines économies, notamment celles qui sont le plus frappées par la crise. Mais côté marché du travail, on pourrait selon le BIT, s'attendre à une légère amélioration. «Selon les prévisions macro-économiques du moment, le taux de chômage mondial devrait être de 6,1% en 2011, ce qui correspond à 203,3 millions de chômeurs de par le monde, soit une légère amélioration par rapport aux niveaux de 2010», pouvait-on lire dans le rapport. S'agissant de l'espace maghrébin, le BIT mentionne que la région a été certes moins durement frappée que d'autres régions par la crise économique et financière, mais que les difficultés rencontrées sur le marché du travail avant la crise ont persisté. Le rapport pointe du doigt deux réalités déjà bien connues des acteurs de la région, mais que le BIT juge plus préoccupantes en 2011. Il s'agit du taux d'activité des femmes, qui est extrêmement bas dans l'espace UMA (le taux de chômage des femmes en 2010 est de 15% contre 7,8% pour les hommes). Deuxième élément préoccupant : 23,6% des jeunes en âge d'être économiquement actifs étaient au chômage en 2010. Pour le BIT, ces deux situations sont inquiétantes car, même si les perspectives économiques sont favorables pour la région en 2011, aucun pays d'Afrique du Nord n'enregistrera probablement un taux de croissance suffisant pour lui permettre de réduire dans un avenir proche son déficit de travail décent.
Interview avec Jamal Bellahrach, Président de la commission Emploi CGEM : «Il est temps de bâtir un vrai pacte national pour l'emploi»
Les Echos quotidien: La CGEM estime que la question de l'emploi n'est pas sérieusement traitée. Quelle est la teneur des mesures que vous proposez ?
Jamal Bellahrach : ll est temps pour nous, de bâtir un vrai pacte national pour l'emploi. C'est pourquoi, pour la première fois, la CGEM va faire des propositions. La philosophie consiste à dire : oui bien sûr, les entreprises ont besoin d'être aidées pour embaucher les jeunes, de même, il faut que les jeunes qu'on embauche ne soient pas des gens précarisés (c'est-à-dire avec des contrats où ils n'ont qu'un statut de stagiaires). Au lieu des incentives basées sur la réduction des charges sociales, on doit avoir des mesures sur la réduction de l'impôt pour pouvoir financer l'emploi. Une innovation, à travers laquelle toutes les entreprises qui génèrent plusieurs emplois, puissent avoir une carotte fiscale. C'est important, car jusque là, il n'y a que le système Anapec qui n'a pas pu favoriser la création d'emploi qualifié. Le deuxième volet est de revoir tout le système de la formation continue, grâce à de nouvelles incitations. Il y a aussi la dimension éducation. Nous allons essayer de mettre une nouvelle dynamique, pour que toutes les entreprises s'y investissent davantage.
Comment seront concrétisées ces mesures ?
Ces mesures n'ont de sens que parce qu'il va y avoir une mobilisation de tous les acteurs. Il faut savoir que le rapport a été envoyé aux syndicats avant d'être bouclé. L'idée est de créer des débats pour que certaines des mesures puissent être prises en compte, dans le cadre de la Loi de finances 2012, par exemple. Nous souhaitons vivement que 2011, soit l'année du débat sur l'emploi, la formation et l'éducation. Toutes proportions gardées, en 1975, il y a eu une marche pour l'intégrité territoriale. Je pense qu'en 2011, on doit avoir une marche pour l'emploi.
Envisagez-vous la création d'une instance qui sera chargée de la mise en œuvre du pacte national pour l'emploi ?
Il incombe aux acteurs de définir comment cela va fonctionner. C'est au gouvernement de se prêter à l'initiative de la forme que doit prendre la mise en œuvre de ce pacte. C'est lui qui doit réunir l'ensemble des acteurs pour réfléchir à la façon de donner corps à ce pacte. À partir de là, ce sera ce groupe d'acteurs qui devra mettre en place le modèle de fonctionnement et les actions à mener. À mon sens, il s'agit d'un plan quinquennal, pour pouvoir aboutir à des résultats concrets. Quand nous parlons de pacte national, c'est aussi pour travailler sur les éléments de mesure. Aujourd'hui, nous avons la mesure de l'emploi du HCP, qui est statistique. En Europe, ce sont des mesures physiques qui s'y font. La mission de l'Anapec doit être repensée pour qu'elle soit le catalyseur des compétences en quête de travail.


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