Le Maroc entamera la nouvelle année sans loi de finances. C'est le revers de la médaille de la période transitoire engendrée par la mise en œuvre des réformes constitutionnelles engagées cette année et qui constituera, assurément, l'une des problématiques les plus épineuses dont aura à hériter le nouveau gouvernement. Le dossier est d'autant plus compliqué que Benkirane et son équipe seront obligés de composer avec une loi dont ils ignorent tout de l'élaboration. L'équipe de Abbas El Fassi aura, d'ailleurs, tenu jusqu'au bout à jouer sa partition, en adoptant en conseil de gouvernement, mercredi dernier, un décret destiné à assurer le fonctionnement régulier des services de l'Etat. Cette donne n'est pas sans risque de conséquences fâcheuses sur l'économie nationale, déjà plongée dans un contexte assez difficile, en raison des répercussions de la conjoncture internationale. Si, sur le plan réglementaire, des voies et moyens existent pour gérer la période nous séparant de l'adoption par le Parlement de la nouvelle loi de finances, la nouvelle année risque de ressembler à «une année blanche» pour le Maroc. C'est un scénario catastrophe pour la coalition gouvernementale, qui s'apprête à prendre ses fonctions avec un ambitieux programme difficilement applicable avec des marges de manœuvre aussi réduites. Au niveau du PJD, le parti chef de file de la majorité gouvernementale, la question a été déjà passée en revue. La loi de finances 2012 ayant été adoptée en conseil de gouvernement, puis déposée au Parlement, le cabinet Benkirane ne pourra procéder à un éventuel réajustement que par des amendements lors de l'examen de ladite loi par le Parlement. C'est en tout cas ce que confirme Lahcen Daoudi, un des économistes du parti de la lampe. Le nouveau gouvernement n'apportera pas donc de grands chamboulements à l'actuelle mouture, en otage au Parlement. «Nous allons procéder par quelques amendements pour annoncer le changement», promet toutefois Daoudi qui cite, entre autres, la baisse de la TVA sur certains produits de base et son augmentation pour les produits de luxe. Les réajustements porteront donc sur des «mesurettes», plus destinées à parer au plus urgent qu'à intégrer véritablement les engagements dont est porteuse la nouvelle équipe et qui seront déclinés dans la déclaration de politique générale. Celle-ci devant représenter la première annonce gouvernementale pour les orientations stratégiques du Maroc sur les cinq prochaines années. Il y a là de quoi inquiéter le monde des affaires, en mal de visibilité et dont la période d'attente risquerait d'amplifier les craintes d'une «année noire». Absence de visibilité La probabilité d'une loi de finances rectificative que pourrait éventuellement adopter le prochain cabinet pour marquer son empreinte et entamer la concrétisation des engagements qu'il aura souscrits, est de prime abord nulle. «L'adoption d'une loi rectificative suppose un début d'exécution de la loi de finances initiale, de manière à apporter les corrections nécessaires», explique Daoudi. Or, l'adoption de cette dernière risque de prendre «quelques mois». Cela ne laisse évidemment pas assez de temps pour l'élaboration d'une loi rectificative, alors que s'annoncerait déjà l'année suivante. En amont, de surcroît, la coalition gouvernementale s'apprête à amender l'actuelle loi organique des finances. «Le retard dans l'élaboration du budget est un mauvais signal pour les investisseurs», explique l'expert financier tunisien Ouali Jaâfar. Les deux pays partageaient en effet la même situation critique, avant que le nouveau gouvernement ne valide sa loi de finances vendredi dernier. Le retard qui sera accusé avant l'adoption de la loi de finances pour la nouvelle année se répercutera sur le déploiement des investissements qui, au meilleur des cas, seront concentrés sur le second semestre, voire le dernier trimestre de 2012, à moins que le gouvernement n'adopte des mesures spéciales pour l'engagement des dépenses d'investissement stratégiques, dont la mise en œuvre nécessite un certain temps. Au niveau des entreprises nationales, on commence déjà à s'inquiéter pour les prochains mois. «L'année qui commence sera une année très difficile pour le secteur privé», affirme Salwa Karkri Belkeziz, vice-présidente à la CGEM et présidente de GFI, société spécialisée dans le secteur des TIC, où les effets commencent déjà à se faire sentir. Les engagements de dépenses ont d'ailleurs été suspendus la dernière semaine de l'année, le temps que le nouvel Exécutif prenne ses fonctions, nous a confié un chef d'entreprise. Conjuguée aux répercussions de la crise économique qui commence à influer sur le marché intérieur, on comprend aisément la crainte des chefs d'entreprises marocains. Craintes à l'horizon C'est, principalement, le marché interne qui risque de subir le plus durement les effets de cette situation. «Il n'y a aucune disposition, dans la loi de finances, qui concerne les exportateurs qui prend en compte le fait que les exportations dépendent de la demande extérieure», affirme Nezha Lahrichi, présidente de l'Observatoire national du Commerce extérieur. Pour l'économiste Najib Akesbi, l'impact de cette situation est même à relativiser. «L'économie marocaine est au ralenti depuis un certain temps et ce n'est pas cette période d'attente qui aura un impact spécifique», ajoute-t-il. Pourtant, c'est là tout l'enjeu du moment. Le Maroc pourra-t-il se payer le luxe d'un tel scénario, qui risque de plonger son économie dans un état de quasi stagnation, surtout après avoir conclu un cycle de réformes politiques, brillamment réussi et qui l'a distingué de ses voisins ? Une fois en effet que les derniers relents du fameux printemps arabe seront estompés, c'est le secteur économique qui sera le plus sollicité pour maintenir la dynamique de croissance. En prolongeant l'attentisme, le royaume prend de sérieux risques de perdre, d'un autre côté, son avantage par rapport à sa stabilité politique, un argument qui a relativement séduit, jusque-là, les investisseurs. C'est là un défi de taille pour le prochain gouvernement, qui devrait penser dès à présent, aux mesures alternatives les plus efficientes, permettant une judicieuse sortie de crise. Une attente qui risque de durer... L'entrée en vigueur de la loi de finances 2012 risque de prendre du temps. Ce n'est qu'une fois le nouveau cabinet installé et la déclaration de politique générale gouvernementale déclinée que les discussions sur la loi des finances pourront véritablement débuter. Des débats qui prendront, assurément, du temps au vu des nombreux amendements à apporter ne serait-ce que pour intégrer la nouvelle architecture gouvernementale et réorienter les rubriques en fonction des nouveaux départements ministériels. Ce qui augure d'autres interrogations, relatives notamment aux amendements qu'entendait soumettre le PJD, lorsqu'il était dans l'opposition. C'est d'ailleurs là un élément qui s'ajoute à la spécificité de la loi de finances 2012. Le PJD devrait s'accorder avec ses nouveaux alliés du PI et du PPS, qui ont participé à l'élaboration de la loi de finances 2012 puisqu'ils étaient au gouvernement durant la législature précédente. Pour certains analystes, l'entrée en vigueur de la loi de finances 2012 ne pourra pas intervenir avant le mois de mars, dans le meilleur des cas. Un autre aspect à prendre, également, en compte concerne la période pendant laquelle le Parlement pourra se pencher effectivement sur la question. A défaut d'attendre celle d'Avril, Benkirane sera amené à convoquer «une session budgétaire extraordinaire du Parlement». La session ordinaire, ouverte depuis le début octobre, ne devrait, en principe, pas excéder 60 jours, selon les dispositions constitutionnelles.