C'est une règle d'or érigée en principe politique cardinal dans toutes les démocraties du monde. Tout pouvoir politique ou équipe gouvernementale, nouvellement arrivé aux affaires, se voit accorder un certain délai, dit de grâce, le temps qu'il puisse baliser le terrain et prendre ses marques. Une période que les nouvelles autorités, débarrassées, pour un laps de temps, de l'étau des revendications sociales et politiques, mettent à profit pour dégager les marges de manœuvres nécessaires et annoncer la couleur de ce que sera leur mandat. Des signaux forts, scrutés attentivement par l'opinion publique, pour qui ces premiers pas à l'épreuve du pouvoir sont attendus telles les premières pluies annonciatrices de la campagne agricole. C'est à peu près le contexte dans lequel interviendront les premières décisions de la prochaine équipe gouvernementale qui aura, légitimement, droit à son délai de grâce, et au sortir duquel les citoyens marocains se feront une idée de la couleur du prochain mandat. Sauf que pour Benkirane, ce délai de grâce risque de s'avérer plus compliqué à gérer que d'ordinaire au vu des attentes grandissantes des citoyens, dans leur ensemble. Une attente amplifiée par une série de facteurs intrinsèques à l'arrivée au pouvoir du PJD par une écrasante victoire, les ambitieuses promesses électorales formulées par le parti et la conjoncture nationale et internationale qui réduisent les marges de manœuvres des nouvelles autorités. Ceci, sans occulter le contexte régional marqué par une série de bouleversements politiques en faveur d'un nouvel ordre plus démocratique. Entre le marteau des attentes citoyennes et l'enclume de la réalité des faits ou, pour faire plus simple, de ce qui relève du possible, le prochain cabinet aura fort à faire pour transformer l'essai de la victoire en réussite effective... réussite qui sera jaugée à l'aune du degré de satisfaction des citoyens. Mesures phares et effets d'annonces Le cabinet Benkirane aura donc 100 jours pour convaincre les citoyens marocains, à la fois ceux qui lui ont fait confiance en lui accordant leurs voix et les sceptiques. Des citoyens qui, comme Saint-Jacques, attendent de voir pour croire. Les initiatives que prendra la nouvelle équipe devront, par conséquent, concourir d'abord à rassurer les marocains sur la capacité des autorités à porter la dynamique de changement tant espéré. Benkirane a, certes, prévenu qu'il ne disposait pas de baguette magique et que, trois mois, c'est peut-être un peu court pour permettre à la nouvelle équipe d'imprimer sa marque de fabrique. Mais c'est un délai suffisant pour annoncer la couleur du mandat qui commence. Chose que confirme Lahcen Daoudi, secrétaire général adjoint du parti de La lampe qui souligne que les premières initiatives sont nécessaires pour «montrer au marocain que le changement est possible et qu'il a bel et bien commencé». Reste à savoir quels leviers seront actionnés pour s'inscrire dans cette logique, qui va au-delà des priorités, assez vagues d'ailleurs, délimités par le chef de gouvernement au lendemain de sa nomination. Priorités qui tournent autour de mesures à vocation sociale que le parti de la lampe a érigées au rang de cheval de bataille. Plus que des concepts de renforcement de bonne gouvernance et d'intégrité, de promotion de l'emploi ou de réduction des inégalités sociales, les marocains attendent que des actions concrètes transforment leur quotidien et concourent à une amélioration de leurs conditions de vies. Au PJD, on reste confiant et même si le fait que le nerf de la guerre qui aurait permis une orientation plus stratégique, à savoir la loi de finances pour 2012 est déjà validée par l'équipe sortante, des mesures phares sont encore annoncés pour traduire ce changement, «par le biais des amendements», souligne Daoudi. Premiers pas Selon un membre de la direction du parti, le gouvernement procédera, ne serait-ce que par amendements, à certains réajustements notamment «la réduction de la TVA sur les produits de base et l'augmentation de celles portant sur les produits de luxe». Des actions qui auront le mérite d'être non seulement visibles mais auront aussi une portée symbolique, de nature à instaurer un climat de confiance et d'optimisme chez les marocains. «Le cœur de l'action du gouvernement va être principalement de coloration politique», analyse en ce sens Najib Mouhatdi, estimant que, pour des raisons d'efficacité, il faudrait privilégier «les décisions à fort potentiel médiatique et qui participent de l'atténuation effective des revendications de la rue». Une thèse plausible vu que la concrétisation des engagements électoraux pris par le PJD, à court et à moyen terme, relève de l'impossible. La priorité sera ainsi donnée aux mesures à effet immédiat et présentant le moins de contraintes en termes de coût et de délai d'exécution. Un chantier qui court à partir de la composition du prochain cabinet ainsi que de la déclaration de politique générale du gouvernement et qui prendra plus d'ampleur lors de l'adoption de certaines lois prévues par la constitution. Lesquelles constitueront le cadre d'exercice durant toute la législature actuelle. Le cabinet de Benkirane est, en tout cas averti et déjà, les manifestations d'inquiétudes commencent à émerger avec le foisonnement des lettres d'interpellations et de revendications à l'adresse du prochain gouvernement. Une pression qui renforcera la prudence de la nouvelle équipe et constituera le baptême du feu de la coalition gouvernementale. Le verdict tombera en mars prochain alors que le compte à rebours estd'ores et déjà enclenché... Najib Mouhtadi Professeur universitaire. Les stratégies de formulation des politiques publiques, dans le domaine économique et social, prendraient beaucoup plus de temps à se mettre en place, même si les mesures phares déjà préparées par le gouvernement précédent (revenu minimum aux démunis, réforme structurelle de la Caisse de compensation et autres) pourraient être appliquées dans un délai raisonnable de trois mois, en réaménageant la loi de finances, s'il le faut. Pour les cent jours à venir, je crois que le cœur de l'action du gouvernement va être principalement d'une coloration politique. Pour des raisons d'efficacité en effet, il devrait privilégier les décisions à fort potentiel médiatique et qui participent de l'atténuation effective des revendications de la rue. Cela peut aller du code du travail et de la refonte des lois sur les manifestations, à la révision du code de la presse, voire à la libération de prisonniers en vue de garantir la paix sociale. Le volet politique en urgence repose également sur une bonne gestion de l'élaboration des nombreux textes de loi et sur la mise en place des institutions prévues par la Constitution, tout en renforçant l'environnement de liberté et de participation.