Le suspense n'aura pas duré longtemps. C'est désormais officiel, Abdelilah Benkirane a reçu la bénédiction royale et est officiellement chargé de former le nouveau gouvernement. Un Exécutif qui, comme nous l'avons souvent noté dans les éditions des Echos, quotidien, de ces derniers mois, aura à faire face à d'énormes défis en matière économique. Il devra notamment s'occuper dans l'urgence des patates chaudes que lui a léguées le gouvernement sortant. Elles ont pour intitulé : Caisse de compensation, déficit public, fonte des réserves en devises et surtout loi de finances. Autant de chantiers sur lesquels le nouvel Exécutif ne peut pas faire l'économie d'une prise en main urgente, au risque de gâter rapidement sa crédibilité gouvernementale. Toutefois, si les orientations économiques du parti de Benkirane sont clairement affichées dans son programme de campagne détaillé, il doit bien évidemment composer avec ses futurs alliés. «Les priorités économiques du nouveau gouvernement doivent être définies avec nos partenaires», nous explique Lahcen Daoudi, éminence économique du PJD, tout en signifiant que son parti ne souhaite aucunement griller ses futurs partenaires en gardant une certaine réserve. En ne se prononçant pas sur le détail des priorités économiques du gouvernement en formation, les cadres du PJD affichent un souci de conciliation, condition sine qua non de la réussite de l'action gouvernementale lors du prochain mandat. Plus encore, dans un contexte marqué par les tractations avec les éventuels partenaires, il faut veiller à n'échauder aucun allié potentiel. Il faut aussi et surtout garantir le droit de parole aux autres représentants de la coalition en formation. Concernant cette dernière, on sait d'ores et déjà que le parti de l'Istiqlal se dirige, selon toute vraisemblance, vers le camp de la majorité en gestation. Son poids sera donc important dans la définition des priorités économiques. Il faudra donc pour sûr composer avec lui, d'autant plus qu'il était dans le gouvernement sortant et connaît de très près les patates chaudes en question (voir l'édition du 30 novembre des Echos, quotidien). Pour le reste, rien n'est encore joué et l'on peut aussi bien se diriger vers une coalition PJD-Koutla que vers une coalition de centre droit PJD-Istiqlal-MP. En tout cas, c'est à l'aune de la composition de la coalition qui va être formée que l'on pourra clairement définir les priorités économiques du gouvernement. Toutefois, au-delà des supputations, on peut d'emblée scruter ces fameuses «patates chaudes», en se basant sur les positions affichées par les cadres du PJD, au compte-gouttes, au lendemain de la nomination de Abdelilah Benkirane à la tête du gouvernement. LOI DE FINANCES 2012 Le groupe parlementaire du PJD, alors dans l'opposition, a suivi de près l'épisode de la présentation puis du retrait hâtif du projet de loi de finances 2012. Il avait, à l'époque, qualifié cet épisode de mascarade en demandant à ce que Abbas El Fassi vienne s'expliquer sur la question devant le Parlement. Une demande qui n'avait reçu que peu d'échos de la part du Premier ministre sortant. Il s'en était suivi une nouvelle présentation d'une version minimaliste du projet de loi de finances, débarrassée notamment des fameux fonds de solidarité qui s'étaient vu opposer une levée de boucliers de la part des lobbys. Au lendemain de sa victoire, lors de la sa première conférence de presse de l'après 25 novembre, Abdelilah Benkirane a déclaré : «Nous allons adopter le projet de loi de finances actuel en y apportant quelques amendements», en justifiant ainsi sa position : «L'élaboration d'un projet de loi de finances est un processus lourd». Pas question pour le PJD de repasser par la case départ. D'ailleurs, l'Exécutif sortant avait lui-même justifié la présentation d'un projet de loi de finances minimaliste par le souci de laisser à son successeur le plus de latitude possible pour mener à bien ses projets. Cependant, qu'a voulu dire Benkirane en parlant seulement de «quelques amendements»? La réponse vient de Lahcen Daoudi, qui valide les propos du chef de gouvernement : «C'est normal de parler de quelques amendements, vu que 80% de la loi de finances portent sur des dépenses de fonctionnement». En clair, ne pas remettre en cause le projet de loi de finances, déposée par l'Exécutif sortant, ne veut pas forcément dire que le PJD minimise la portée des amendements. Beaucoup de choses restent à discuter au sein de la majorité gouvernementale en gestation. DEFICIT Les discussions de la nouvelle majorité devront notamment porter sur les moyens de juguler un déficit public creusé par la l'explosion des charges de compensation et les cadeaux du dialogue social. «Il faut penser la problématique des ressources par rapport aux investissements», avance Lahcen Daoudi, tout en arguant que cela représente l'un des enjeux économiques majeurs du nouveau gouvernement. Il estime d'ailleurs que le maintien du déficit public dans des proportions raisonnables passe par «une restructuration des recettes, pour éviter un recours important à l'endettement». En effet, si l'endettement n'est pas écarté, il s'agit de limiter au maximum le recours à cette solution, qui peut être très coûteuse en termes de charges d'intérêts. Encore une fois, la voie du dialogue est celle qui est prônée par les cadres du PJD, qui tout en affichant leurs orientations, laissent la porte ouverte aux propositions de leurs partenaires. Aussi, la restructuration des ressources peut prendre plusieurs formes, même si pour le PJD on ne peut faire l'économie d'un élargissement de l'assiette fiscale. La contribution des opérateurs économiques et notamment des banques, des assurances et des opérateurs de télécommunication est une autre piste que le partenaire istiqlalien a déjà envisagée ... CAISSE DE COMPENSATION La Caisse de compensation est devenue un boulet que traîne le royaume et que le gouvernement sortant a échoué à réformer. Manque de volonté politique pour les uns, complexité du dossier pour les autres, toujours est-il que même si Nizar Baraka, le ministre istiqlalien sortant, n'a eu de cesse de s'activer pour trouver des solutions, la réforme n'a pas abouti. Pour sa part, l'opposition PJD n'a eu de cesse de souligner l'urgence de cette réforme et de monter au créneau à chaque fois que l'occasion se présentait. Aujourd'hui, Lahcen Daoudi maintient sa position, en faisant mentir tous ceux qui pariaient sur un nouveau report de cette réforme. «Il faut s'attaquer à la réforme de la Caisse de compensation dès 2012, car plus on attend, plus on en pâtit». Cette réforme fait donc bel et bien partie des priorités du prochain gouvernement dirigé par Abdelilah Benkirane. Toutefois, elle doit être mise en perspective des mécanismes de solidarité dans leur ensemble. Les deux fonds de solidarité proposés dans la première mouture, retirée, du projet de loi de finances allaient dans le sens de l'élaboration de nouveaux mécanismes autrement plus efficaces que la Caisse de compensation. Leur retrait de la mouture finale renseigne aussi sur la polémique que ces deux fonds ont dû susciter au sein de l'ancienne majorité. L'éminence économique du PJD argue que le parti pris de l'adoption de nouveaux mécanismes de solidarité est entériné avant d'expliquer : «Nous ne savons pas encore quelle forme cela pourra prendre. Cela reste encore à discuter». La piste la plus sérieuse mène vers l'adoption de taxes sur les produits de luxe. L'exemple le plus éloquent dans ce sens est la vignette qui devrait être appliquée aux véhicules automobiles de luxe et qui viendrait compenser le subventionnement du carburant dont bénéficient leurs propriétaires. CAISSES DE RETRAITE Là encore, Lahcen Daoudi plaide l'urgence : «Il faudra s'attaquer à la réforme des retraites dès 2012». Encore une fois, il estime que tout retard dans cette réforme peut être préjudiciable à l'économie marocaine. D'ailleurs, cela pourrait avoir un impact direct sur les finances du royaume et mettre en péril toute l'action gouvernementale. Le PJD veut donc démontrer que le courage politique qu'il appelait de ses vœux de la part du gouvernement sortant, ne lui manquera certainement pas. Cependant, ce sera loin d'être une partie de plaisir, surtout que dès que la période de grâce sera achevée, le chef de gouvernement devra probablement compter avec une levée de boucliers de la part des acteurs sociaux, réputés sensibles à la question des retraites. Tout dépendra en fait, encore une fois, de la coalition gouvernementale. À ce propos, il faut signaler que le soutien que pourra apporter la Koutla en tant qu'allié potentiel. En effet, les partis qui forment la Koutla, s'ils sont dans la nouvelle majorité, peuvent juguler les syndicats qui leur sont affiliés. En tout cas, la réforme des retraites est déjà étudiée, elle serait même prête. Il reste à s'assoir avec les syndicats pour en discuter. EN ATTENDANT LE MINISTRE DE L'ECONOMIE... Le nouveau chef du gouvernement a aujourd'hui pour principale mission de former son Exécutif. Cela passe par la formation d'une majorité confortable qui lui donnera toute la latitude nécessaire pour mener de front les chantiers cruciaux de son mandat. Ces chantiers, comme on l'a vu, nécessitent du courage politique, beaucoup de doigté et un soutien indéfectible de la majorité. La distribution des portefeuilles ministériels sera un élément clé de la force de la nouvelle majorité. Abdelilah Benkirane a désamorcé d'éventuelles tensions en affirmant que l'intégrité et la compétence, et non l'appartenance aux partis, seront les principaux critères de sélection des ministrables. Est-ce à dire que le PJD est prêt à lâcher un ministère aussi important, pour les réformes à mener, que celui de l'Economie et des finances? Rien n'est moins sûr, d'autant plus que le PJD a affiché sa volonté de présenter un gouvernement ramassé et que son programme présente l'avantage de regrouper un certain nombre de ministères à caractère économique dans un nouveau grand pôle. La priorité des priorités Parmi les problèmes auxquels devra face le prochain Exécutif, il y en a certains qui relèvent du conjoncturel et d'autres du structurel. Or, le déficit de la balance des paiements relève, pour sûr, de la seconde catégorie. Ce déficit est en effet devenu structurel et l'accélération de la chute des réserves en devises renseigne sur la gravité de la situation, même si, il y a quelques semaines encore, le ministre de l'Economie et des finances sortant, Salaheddine Mezouar, défendait que le niveau des réserves était encore tenable. Le Maroc a pris le parti de l'ouverture et devrait en cette année 2012 franchir un cap dans ce sens, avec le démantèlement douanier avec l'Europe. Dans le même temps, le pouvoir d'achat des ménages marocains s'est accru. Ces deux éléments ne peuvent qu'accroître la valeur des importations du royaume. Or, les exportations marocaines sont loin de suivre le même sens. Aussi, les cadres aussi bien de l'Istiqlal que du PJD ont souligné le danger d'une telle situation lors de la campagne électorale. Solutionner ce problème devrait donc représenter la priorité des priorités pour le nouveau gouvernement, car si l'hémorragie des réserves continue, on risque de descendre en deçà d'un niveau psychologique, que certains estiment à 100 milliards de dirhams. Ce franchissement de seuil risque de faire basculer les opérateurs dans la panique. D'aucuns expliquent qu'à ce niveau là, il faudrait baisser la valeur du dirham pour rendre les importations plus chères et stopper la chute des réserves. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous risquons de nous y diriger tout droit si nous n'augmentons pas substantiellement nos unités de production à l'export. Ces dernières regroupent aussi bien les unités touristiques prévues entre autre dans le cadre du plan Azur, les unités industrielles du plan Emergence, que les unités ITO (Information Technology Outsourcing) et BPO (Business Process Outsourcing). Ces nouvelles unités devront résorber un gap d'au moins 50 milliards de dirhams dans notre balance des paiements.