La dernière version du texte sera bientôt adressée aux partenaires sociaux. Les principales raisons de l'opposition des syndicats au texte ne sont pas encore officiellement levées. L'Exécutif est tenu constitutionnel-lement de préparer cette loi organique mais pas nécessairement de la faire adopter. Le projet de loi organique sur le droit de grève sera introduit dans le circuit d'adoption dans moins d'un mois. C'est du moins ce qu'a déclaré il y a quelques jours le ministre de l'emploi et des affaires sociales, Abdeslam Seddiki. Inscrit dans le programme législatif du gouvernement pour les années 2013 et 2014, ce texte, comme toutes les lois organiques, doit être présenté au Parlement au cours de cette législature, selon les stipulations de la Constitution de 2011 (article 86). Ce qui signifie, contrairement à ce que beaucoup pensent, qu'il n'y a pas obligation pour l'Exécutif de le faire aboutir avant la fin de son mandat, mais «seulement» de le préparer et le soumettre à la représentation nationale. A charge pour celle-ci de le voter ou pas. Ceci étant précisé, avant son introduction dans le circuit, le projet devrait avoir été présenté aux partenaires sociaux afin de recueillir leurs avis et leurs propositions. C'est du moins la démarche qui a la préférence des syndicats. Jusqu'au moment où ces lignes sont rédigées, ce n'est pas le cas. Contacté, un responsable au ministère de l'emploi confie que le texte sera incessamment transmis aux syndicats des travailleurs et à celui du patronat. Quelle sera leur position ? Et si tous ne l'approuvaient pas? La déclaration de Seddiki laisse penser que les obstacles qui ont jusque-là empêché l'adoption de cette loi, tout au moins sa présentation au Parlement, seraient désormais levés. C'est d'ailleurs ce que, de manière évasive, admet le responsable du ministère de l'emploi contacté sur le sujet. Celui-ci précise par la même occasion que le projet qui sera présenté a subi quelques retouches par rapport à l'avant dernière version, celle de novembre 2009, préparée par le ministre de l'époque Jamal Aghmani. Il ne dit pas plus, expliquant que le ministère en réservait la primeur, si l'on peut dire, aux partenaires sociaux. Qu'en pensent les concernés ? Cela dépend du contenu de ce texte, répondent, en substance, les syndicats FDT et UNTM, approchés par La Vie éco. Abderrahman Azzouzi, secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT), dit attendre d'examiner le projet dans le détail pour se prononcer, tout en précisant que son syndicat ne s'y s'oppose pas par principe. «L'essentiel est que le droit de grève et les droits des salariés de manière générale soient préservés, sinon renforcés». M. Azzouzi regrette au passage ce qu'il qualifie d'«absence de dialogue» entre les syndicats et le gouvernement, car, argumente-t-il, c'est la méthode la plus appropriée pour parvenir à un consensus sur ce sujet comme sur bien d'autres. Mohamed Yatim, secrétaire général de l'Union nationale du travail au Marocain (UNTM), est lui aussi d'avis que l'important est ce que contiendra le projet du gouvernement, précisant que le débat sur l'opportunité d'une loi sur la grève ne se pose désormais plus, puisque la Constitution a tranché sur la question. Reste l'Union marocaine du travail (UMT) qui, longtemps, avait refusé l'idée même que ce droit constitutionnel pût faire l'objet d'un encadrement, réglementaire ou législatif. Mais c'était avant la dernière Constitution. Aujourd'hui, le syndicat du défunt Mahjoub Bensedik semble avoir évolué sur le sujet, ce que l'on confirme, mezza-voce, au ministère de l'emploi. Des engagements pris dans l'accord du dialogue social d'avril 2011 La question est de savoir maintenant si dans la version de son projet, le ministère de l'emploi a tenu compte notamment des conditions posées par les syndicats pour l'aboutissement de ce projet. Deux en particulier ont toujours été mises en avant: la suppression de l'article 288 du code pénal qui punit d'emprisonnement (d'un mois à deux ans) l'entrave à la liberté de travail, et la ratification de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative à la liberté syndicale et la protection de ce droit. On l'a déjà dit, au ministère de l'emploi, on se refuse pour l'instant à divulguer le contenu du projet. Il y a lieu de rappeler à ce propos que dans l'accord du dialogue social du 26 avril 2011, le gouvernement de l'époque s'était engagé à supprimer ou amender ledit article 288 et à ratifier la convention n°87. D'ailleurs, il avait même été question, quelque temps après, d'engager le processus de ratification de la convention de l'OIT, et d'entamer la procédure de révision de l'article 288 en contrepartie, précisait-on alors, de l'acceptation par les syndicats d'une loi sur le droit de grève. Puis arrive, quelques mois plus tard (novembre 2011), l'actuelle majorité. Celle-ci prend en héritage les engagements de ses prédécesseurs et déclare qu'elle les honorerait tous. Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a aucune raison d'en douter. On peut néanmoins observer que ni la ratification de la convention 87 ni la révision de l'article 288 du code pénal n'ont été entamées, alors même que le projet de loi organique sur la grève est sur le point d'être introduit dans le circuit d'adoption ! Est-ce à dire que dans la nouvelle mouture l'on a trouvé la formule qui satisfait à ces deux conditions ? Le patron de l'UNTM, proche du parti majoritaire de la coalition gouvernementale, n'exclut pas cette hypothèse. Pragmatique, il estime qu'il n'est pas nécessaire d'attendre que l'article litigieux du code pénal soit révisé ; il est tout à fait possible, dit-il, d'introduire dans le corps du projet de loi organique sur la grève une disposition qui rendrait caduc –de fait– le recours au code pénal s'agissant de l'entrave à la liberté du travail. Pour sa part, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), longtemps opposée à la suppression de l'article 288 du code pénal (et pour cause !), est désormais favorable à son amendement, voire à son abrogation. On le voit, chez les uns comme chez les autres, la réflexion mûrit, les lignes bougent. C'est que, au fond, le patronat a pris conscience de l'intérêt à avoir en face de lui des syndicats forts et organisés, et les syndicats d'entreprises stables et prospères. Chacun, à sa façon, a déjà exprimé ce besoin, et les multiples rencontres entre la CGEM et les organisations syndicales les plus représentatives pour bâtir des partenariats en sont la traduction. La réalité est toutefois plus nuancée que cela : les syndicats continuent de dénoncer des manquements aux droits des travailleurs (voir encadré) et les chefs d'entreprises des atteintes à la liberté de travail. Et le code du travail, qui a maintenant dix ans d'existence et qui aurait pu apaiser plus substantiellement les conflits de travail, est régulièrement, pour ne pas dire quotidiennement violé. Moyennant quoi, une loi sur la grève –certes inévitable puisque constitutionnellement prévue– sera en réalité ce que les partenaires sociaux voudront qu'elle soit, comme la loi sur le travail est aujourd'hui ce qu'ils en ont fait. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas légiférer, bien au contraire.