Le chef du gouvernement veut faire aboutir le projet de loi organique sur le droit de grève. La CGEM se dit disposée à tout négocier. Les syndicats appellent l'Exécutif à respecter les engagements pris dans l'accord social du 26 avril 2011. Le projet a fait l'objet de plusieurs moutures, mais peine toujours à voir le jour. Il s'agit du projet de loi organique sur le droit de grève, un droit prévu dans toutes les Constitutions du Maroc (article 29 de celle de 2011) mais dont les conditions et les modalités d'exercice, en principe, sont soumises à une loi organique. Mais si par le passé, la promulgation de cette loi dépendait surtout des rapports de force entre le gouvernement et les partenaires sociaux, dans la Constitution de 2011, il est fait obligation de la faire aboutir, au même titre d'ailleurs que toutes les autres lois organiques, au cours de l'actuelle législature. De fait, le projet a été inscrit dans le programme législatif 2013/2014, et il devrait selon toute probabilité être adopté au courant de l'année 2014. C'est en tout cas ce que laisse penser la réaction du chef du gouvernement qui a rappelé récemment les engagements de l'Exécutif sur cette question. Le patronat, lui, espère vivement que le projet soit adopté au plus tard au cours du premier semestre 2014. «C'est un devoir patriotique que de faire aboutir ce texte», estime le président de la commission sociale de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Jamal Belahrach. «Il y va de l'intérêt tout à la fois des syndicats, du patronat et, au bout, de l'économie nationale», poursuit-il. La CGEM, c'est un secret de Polichinelle, fait le forcing depuis quelque temps déjà pour «sortir» ce texte ; elle a même élaboré, voici un an et demi environ, un projet de texte sur la grève, qu'elle a distribué aux syndicats les plus représentatifs. Avec ces derniers, elle a d'ailleurs entamé, il y a un mois, une série de rencontres sur le dossier. «Nous nous sommes déjà réunis avec l'UGTM, et, prochainement, nous devrions rencontrer l'UMT, puis l'UNTM et enfin la FDT et la CDT», confie Jamal Belahrach. Celui-ci juge équilibré le projet du patronat, car, dit-il, «il garantit le droit intangible à la grève et le droit tout aussi intangible au travail, il renforce les syndicats et protège l'outil de production». Pour le président de la commission sociale de la CGEM, l'objectif des réunions avec les syndicats est précisément d'identifier les points de convergence et les points de divergences entre les deux parties. La CGEM ne s'opposerait pas à la révision de l'article 288 du code pénal Il faut bien le dire, les partenaires sociaux, sur cette question, semblent avoir évolué dans leur position. La CGEM, selon Jamal Belahrach, est disposée à tout négocier dès lors qu'il s'agira de parvenir à une sorte de «package» qui satisfera tout le monde. Par exemple, la confédération patronale, contrairement au passé, ne s'oppose plus à la suppression de l'article 288 du code pénal qui punit d'emprisonnement (d'un mois à deux ans) l'entrave à la liberté de travail. De même, elle paraît favorable à la ratification de la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative à la liberté syndicale et la protection de ce droit. Précisément, ces deux points figurent en bonne place dans les revendications des syndicats et constituent même des préalables à toute avancée quant à la promulgation de la loi organique sur la grève. «Sur le principe, nous acceptons de discuter avec tout le monde et sur n'importe quel sujet», déclare à La Vie éco Abderrahmane Azzouzi, secrétaire général de la Fédération démocratique du travail (FDT). «Cela dit, nous ne comprenons pas que les engagements pris, en particulier dans l'Accord du dialogue social du 26 avril 2011, ne soient pas encore tous honorés, alors que la plupart ne nécessite aucune dépense. Je pense en particulier à l'article 288 du code pénal et à la convention 87 de l'OIT. Tout le monde était d'accord pour abroger cet article et pour ratifier ladite convention. Pourquoi on tergiverse là-dessus ?», s'interroge M. Azzouzi. Après l'accord social du 26 avril 2011, le ministre de l'emploi de l'époque, l'usfpéiste Jamal Aghmani, avait pourtant déclaré que le processus de ratification de la convention 87 de l'OIT était lancé. Pour l'instant, et sauf avis contraire, rien n'est encore à l'horizon. Quant à l'article 288, le gouvernement de Abbas El Fassi, dans le bilan social qu'il avait dressé avant les élections de novembre 2011, parlait en fait de «révision» et non pas d'abrogation de cette disposition pénale ; et il liait ce projet de révision, qui devait être conduit par le ministère de la justice, à la loi organique sur le droit de grève. Il y a là une esquisse de compromis sur lequel devaient s'entendre l'Exécutif et les partenaires sociaux: l'acceptation par les syndicats d'une loi sur le droit de grève, en contrepartie d'une révision de l'article 288 du code pénal. Il faut dire que l'Union marocaine du travail (UMT) est la seule organisation syndicale qui s'oppose farouchement à tout encadrement du droit de grève. Ce syndicat a toujours considéré, à tort ou à raison, que légiférer sur ce droit, c'est en diminuer la portée, restreindre les possibilités de son exercice. Pour lui, les conventions collectives suffisent amplement à prévenir les conflits de travail, et, lorsqu'ils ont lieu, à les régler. Il appelle d'ailleurs régulièrement à en multiplier la conclusion, car aujourd'hui peu de conventions collectives (une quinzaine) ont été signées. L'UMT pourrait évoluer dans sa position Est-ce que l'UMT campe toujours sur ses positions ? Rien n'est jamais figé, en réalité. Aussi inébranlable que paraît sa position sur ce sujet, ce syndicat est capable de transiger, de trouver, de concert avec les autres organisations de travailleurs, un compromis dans lequel, finalement, tout le monde trouvera son compte. C'est d'ailleurs, on peut le dire ici, ce que susurrent des syndicalistes proches de la centrale du défunt Mahjoub Benseddik. De surcroît, on imagine mal l'UMT se mettre à l'écart de la négociation sur ce dossier, alors que les quatre autres syndicats (CDT, FDT, UGTM et UNTM) semblent avoir «mis beaucoup d'eau dans leur vin» sur le dossier du droit de grève. Et puis, la grève est certes un droit constitutionnel, mais la Constitution prévoit également qu'une loi organique viendra organiser les conditions de son exercice. Les syndicats savent par ailleurs, et ils le confient parfois bien volontiers, qu'une loi sur la grève permettrait malgré tout de savoir qui fait quoi et, ce faisant, de renforcer les organisations structurées, représentatives. Car, aujourd'hui, tout le monde le sait, il arrive à ces syndicats d'être débordés par des éléments qui ne sont pas des leurs et se trouvent ainsi face à des grèves qu'ils n'ont pas déclenchées. Peut-être même, est-ce là une des raisons de la faible implantation des syndicats dans le monde du travail ; le taux de syndicalisation ne dépassant pas, au mieux, 10% aujourd'hui ! Et ceci n'est bon ni pour les syndicats ni pour le patronat.