Les opérations militaires consécutives à l'enlèvement, le 12 juillet dernier, de deux soldats israéliens par le Hezbollah, ont vu Tsahal être mise en échec par la milice chiite. C'est à une véritable guerre et non à de simples escarmouches que se sont livrés l'armée israélienne et le mouvement du cheikh Hassan Nasrallah pendant plus d'un mois. Les adversaires ont eu recours à des stratégies différentes, compte tenu de leurs moyens respectifs. Au début, sous l'influence de son chef d'état-major, Dan Haloutz, issu de l'armée de l'air, l'armée israélienne a privilégié les bombardements aériens – ainsi que le recours à l'artillerie de marine – et pilonné la capitale libanaise, notamment sa banlieue sud, avant de détruire les principales infrastructures de base du pays du Cèdre : routes, ponts, aéroports civils, centrales électriques et installations portuaires. Ces frappes ont visé aussi les populations civiles qui ont payé un lourd tribut à un conflit où elles n'avaient aucune part. Femmes, hommes, enfants et vieillards, c'est par centaines qu'on compte les victimes des raids aériens qui n'ont pas épargné les zones d'habitation. En réponse, le Hezbollah a choisi de faire pleuvoir sur le nord d'Israël, non seulement la Galilée, mais aussi les villes de la bande côtière -Haïfa, Saint-Jean d'Acre, Nahariyah, etc- , plusieurs centaines de Katiouchot, de fusées et de missiles qui ont tué 41 civils -juifs, musulmans, chrétiens ou druzes israéliens- et provoqué une désorganisation totale dans le nord d'Israël déserté par une partie importante de sa population. Très vite, il est apparu que le Hezbollah tenait en échec Tsahal, confrontée à différentes difficultés, tant au niveau logistique que dans la manière dont elle menait les opérations. Loin d'être une armée classique, lourde à manier et diriger, le Hezbollah a su tirer parti de son rôle de milice se mouvant «comme un poisson dans l'eau» au milieu des populations du Sud-Liban, qu'elle contrôle depuis longtemps. Mieux, le mouvement chiite a su s'attirer les sympathies de larges franges de l'opinion publique libanaise, bien au-delà de l'audience qu'il avait jusque-là au sein des seuls chiites qui constituent un tiers de la population libanaise. Depuis l'entrée en vigueur, le 14 août, d'un cessez-le-feu sous l'égide de l'ONU, c'est, de part et d'autre, l'heure du bilan. En Israël, le Premier ministre Ehoud Olmert, après avoir tenu des discours à l'accent «churchillien», fait plutôt profil bas. Il ne parle plus de «victoire» mais invoque «la solidarité gouvernementale» . Récusant l'ouverture d'une enquête sur les responsabilités de l'échelon politique, il préfère se contenter d'une enquête parlementaire sur les «carences de l'armée» dont les responsables risquent fort d'être pris comme boucs émissaires. Cela n'empêche pas un grand quotidien populaire israélien de poser franchement et crûment la question: «Pourquoi n'avons-nous pas gagné la guerre ?». L'éditorialiste constate que la puissance théorique de Tsahal, plus particulièrement de son infanterie, n'a guère été mise en évidence par les opérations menées au Sud-Liban. L'état-major israélien avait cyniquement planifié deux semaines de raids aériens massifs sur Beyrouth en prélude au déclenchement d'une offensive terrestre massive. Dans la réalité, ces beaux plans tirés sur la comète n'ont pas eu l'effet escompté. Selon de nombreux experts, les militaires, «qui avaient demandé aux politiques de les laisser agir à leur guise», n'ont pas obtenu les résultats qu'ils avaient promis. Ce n'est pas faute d'avoir eu les coudées franches. Jamais, dans l'histoire d'Israël, Tsahal n'a eu affaire à des dirigeants politiques aussi conciliants envers elle qui Ehoud Olmert et, surtout, Amir Peretz, le très «civil» ministre de la Défense. Celui-ci s'est avéré être pour l'armée une «bonne surprise» et l'un de ses plus fermes soutiens au sein du gouvernement, reprenant à son compte et couvrant de son autorité les plaidoyers de l'état-major en faveur du déclenchement d'une opération terrestre. Pourtant, en laissant l'armée partir en guerre, Ehoud Olmert s'était contenté de parler d'une «opération» et avait, rappellent les militaires, exigé de donner son aval préalable à «toute opération au-delà de la frontière internationale», ce qui impliquait un changement des plans initialement forgés. A ceci près que l'état-major, pour des raisons essentiellement politiques et tactiques, a tardé à déclencher «l'offensive terrestre massive», estimant qu'elle n'était pas adaptée à la réalité à laquelle l'armée devait faire face sur le terrain. Le véritable sujet de la future enquête parlementaire sera donc de poser la question du retard mis à donner le feu vert au déclenchement de la fameuse «offensive terrestre d'envergure» et à la mobilisation, en conséquence, de plusieurs milliers de réservistes. À vrai dire, l'hésitation de l'establishment politique et d'une partie de l'état-major à procéder à celles-ci viendrait des difficultés rencontrées par Tsahal à s'emparer des places fortes du Hezbollah à Bint Jbeil et Maroun-al-Ras. Ces difficultés ont fait douter de la sagacité des décisions prônées par l'état-major qui, lui, ne cachait pas son agacement devant les «bavures» attribuées au général commandant la région nord et qui lui reprochait à la fois son manque de détermination et ses hésitations. A tel point que cet officier supérieur se vit être coiffé par un «superviseur» censé remédier à ses lacunes et à ses carences supposées. Malgré cela, l'offensive terrestre, programmée sur quatre jours, n'a duré en fait qu'un jour et demi avant d'être stoppée par l'instauration, avec un préavis de 24 heures, du cessez-le-feu. L'échec israélien est également attribué aux carences des services de renseignements israéliens – mais aussi des autres services de différents pays- qui n'ont pas su estimer à sa juste valeur l'arsenal de roquettes dont disposait le Hezbollah ainsi que la détermination de ses combattants et la capacité de ses chefs à imposer leur autorité sur tout le Sud-Liban et à coordonner leur action comme de vrais « professionnels» de la guerre. Sont également mis en cause le manque criant d'équipement et d'entraînement des unités de réservistes israéliens, les défaillances, en matière de commandement, des officiers, ainsi que la vétusté, pour ne pas dire l'absence, des renseignements dont disposaient les militaires israéliens quant à la situation sur le terrain et la sous-estimation des qualités combattantes des miliciens chiites. Ces critiques ont été ravivées par certaines affaires, notamment les révélations concernant la liquidation par le chef d'état-major, quelques heures après le déclenchement des opérations, de son portefeuille boursier, une faute sévèrement jugée par l'opinion publique. Aujourd'hui, tant au sein de l'armée israélienne que dans l'opinion publique et dans les partis, toutes tendances confondues, prévaut l'idée que la stratégie choisie – celle des bombardements aériens – s'est soldée par un échec. Le ministre de la Défense, un civil dépourvu d'expérience militaire, est accusé d'amateurisme. Quant au Premier ministre, Ehoud Olmert, il fait l'objet de comparaisons peu flatteuses avec son prédécesseur, Ariel Sharon, dont on pouvait critiquer les choix politiques, mais qui était un militaire et un stratège hors pair. Certes, nul ne peut nier que le Hezbollah est une émanation politique, militaire et religieuse de la Syrie et de l'Iran. Toutefois, c'est aussi désormais –après son succès- une composante essentielle de l'échiquier politique libanais, avec deux ministres et quinze députés. C'est aujourd'hui un mouvement bénéficiant d'une audience décuplée par la manière dont il a su tenir tête à Tsahal, considérée comme l'une des meilleures armées du monde. Reste à savoir ce que le Liban fera au-delà du cessez-le-feu. Sa mise en œuvre peut être l'occasion pour le gouvernement de Fouad Siniora de rétablir son autorité sur le sud du Liban d'où le pouvoir central est absent depuis trois décennies. Le départ, en 2000, des troupes israéliennes, suite à la décision d'Ehoud Barak, avait permis au Hezbollah de prendre le contrôle de cette région et d'y établir ses réseaux, en se substituant à l'administration beyrouthine défaillante. Maintenant, Fouad Siniora doit s'atteler à la reconstruction de son pays, pas simplement de la capitale, mais aussi du Sud-Liban dont la population a droit à la protection des services de l'Etat et à sa part des bénéfices dégagés jusque-là par l'économie libanaise. Il peut le faire en intégrant dans les rangs de l'armée régulière libanaise les miliciens du Hezbollah après le retour obtenu, de fait de Shebaa au territoire national. Car ne pas négliger le sud entier sera pour lui la condition sine qua non pour mener à bien la démocratisation et l'unité du pays du Cèdre et garantir à tous ses compatriotes le développement et la prospérité auxquels ils aspirent. En un mot, il s'agit bien de la victoire du Liban qui, en recouvrant sa souveraineté nationale entière, saura en faire la victoire du peuple libanais !