Si le Maroc commémore chaque année, le 27 février, l'anniversaire du départ du dernier soldat espagnol du Sahara occidental, le Front Polisario fête l'autoproclamation de sa pseudo «RASD». Derrière l'idée d'annoncer la création d'un Etat seulement sur papier, se cache Ahmed Baba Meska, un diplomate mauritanien qui, sur un coup de tête, avait décidé de rejoindre les séparatistes. Comme chaque fin du mois de février, le Front Polisario commémore l'anniversaire de l'autoproclamation de la pseudo «République arabe sahraouie démocratique». Dans les camps de Tindouf, en Algérie, et même dans la zone tampon qu'il considère comme des «territoires libérés», l'heure est aux festivités et spectacles militaires. En effet, le 27 février 1976, le Front Polisario a déclaré unilatéralement et depuis Tindouf, la naissance de sa «république» fantôme. De nombreux pays du camp oriental se sont alors empressés de la reconnaître. A l'origine de l'idée de l'autoproclamation d'une «république», le diplomate mauritanien Ahmed Baba Maska. Dans une déclaration accordée à Yabladi, Mahjoub Salek nous avait dit que cette idée a été proposée par cet ancien ambassadeur de la Mauritanie à New York. Fondateur du Front Polisario et dirigeant du mouvement Khat Achahid (Ligne du Martyr), Mahjoub Salek avait rapporté que cette idée avait plu à El Ouali Mustapha Sayed. «Ce dernier avait ensuite convaincu l'Algérie au moment de l'annonce fait par lui dans le camps Bir Toulat, le même discours était diffusé sur les télévisions publiques algériennes et libyennes», nous avait-il confié. D'ailleurs, le fait que le Polisario regroupe un certain nombre de Mauritaniens et d'Algériens est un secret de Polichinelle. Plusieurs avaient décidé de rejoindre le Front après le début des combats contre le Maroc, en raison de l'influence tribale à la frontière entre les trois pays. Baba Meska, un parcours entre le Maroc et la Mauritanie L'instigateur de l'idée d'une «république» au Sahara a commencé sa carrière politique à la fin des années 50, en rejoignant le parti mauritanien Nahdha, qui s'opposera par la suite au président mauritanien, Moktar Ould Daddah dès les années 1960. A l'époque, le Maroc évoquait son droit d'annexer la Mauritanie. Les politiques du pays de Chenguit étaient alors divisés entre ceux qui défendent l'indépendance du pays et ceux qui soutiennent une annexion au Maroc. Ould Daddah appartenait au premier camp, ce qui a amené Ahmed Baba Meska à s'approcher des décideurs au Maroc. Il lance alors une campagne politique forte contre le régime d'Ould Daddah, tout en s'alliant aux figures de proue du mouvement national marocain, comme Mahdi Ben Barka. Ahmed Baba Meska se rend aussi à Rabat où il rencontre le roi Mohammed V. Les politiques mauritaniens partisans de l'indépendance, en colère, l'accusent alors de tenter d'obtenir des fonds du Maroc. En 1959, le parti Al Nahda est dissous. Ahmed Baba Meska est arrêté à la suite de son appel à la désobéissance civile et passe deux ans en prison avant d'être libéré en 1961. Après des négociations, il accepte de rejoindre le gouvernement de Moktar Ould Daddah. Ahmed Baba Meska est alors nommé secrétaire général du Parti populaire mauritanien, qui devient l'unique parti de la Mauritanie indépendante. Mais ses divergences avec le président mauritanien persistent. Ahmed Baba Meska avec l'ancien secrétaire général du Polisario Mohamed Abdelaziz. / Ph. DR Pour s'en débarrasser une fois pour toutes, Ould Daddah le nomme ambassadeur de Mauritanie auprès des Nations unies. Ses positions vis-à-vis du Maroc commencent aussi à changer. Il exige ainsi que «le peuple du Sahara occidental, occupé par l'Espagne, obtienne son droit à l'autodétermination». Des propos en contradiction à la position officielle mauritanienne de l'époque. Il est donc convoqué à Nouakchott en 1966 puis emprisonné pour corruption financière. Mais il est jugé et acquitté. Quatre ans plus tard, Ahmed Baba Meska décide de prendre sa retraite du monde politique et s'exile en France. De la Mauritanie aux bras du Front Polisario En 1975, le Maroc, la Mauritanie et l'Espagne signent l'Accord de Madrid, divisant ainsi le Sahara occidental entre le Maroc et la Mauritanie. Cette année marque aussi le retour sous les feux des projecteurs d'Ahmed Baba Meska. Il met ainsi en garde contre l'implication de la Mauritanie dans un conflit sur le Sahara. Mais il ne s'arrêtera pas à ce niveau. Comme plusieurs sahraouis d'origine algérienne et mauritanienne, l'ancien émissaire de Nouakchott auprès de l'ONU rejoint le Front Polisario pour en devenir le porte-parole. Il voyageait beaucoup en Algérie et en France, défendant au passage la thèse séparatiste. Lors du troisième congrès du Front Polisario, tenu en août 1976, le Mauritanien devient même membre du bureau politique du mouvement, puis président du Conseil national de transition. Il s'érige aussi en bras droit du père fondateur du Polisario, El Ouali Mustapha Sayed. Deux ans plus tard, et après le coup d'Etat contre le régime de Moktar Ould Daddah du 10 juillet 1978, Baba Meska joue un rôle de premier plan dans le rapprochement entre le Polisario et les nouveaux dirigeants mauritaniens. Une intervention qui mettra fin à la guerre entre les deux parties et pousseront ces dernières à signer l'accord de cessez-le-feu puis le traité de paix du 5 août 1979. Un texte par le biais duquel la Mauritanie se retire de la région Oued Ed-Dahab, au sud du Sahara occidental. Mauritanie et Baba Meska : je t'aime, moi non plus ! Et avec ce changement de taille en Mauritanie, Baba Meska décide rentrer dans son pays après 14 ans passés à l'étranger. Il est toutefois arrêté à son retour puis relâché. Il part en France mais décide de revenir dans son pays une énième fois. Il est à nouveau emprisonné en 1986 pour ses relations présumées avec les Mauritaniens de peau noire. Il repart donc, après sa libération, en France pour devenir directeur à l'UNESCO. Une fois n'est pas coutume ; l'ancien diplomate ne revient dans son pays natal qu'en 2007. Cette fois, la hache de guerre est déterrée. Il occupe ainsi plusieurs postes politiques sans renoncer pourtant à lâcher prise quant à son soutien indéfectible au Polisario. D'ailleurs, il prendra part au 14e Congrès du front séparatiste et prendra la parole devant ses dirigeants. Le 14 mars 2016, Baba Meska tire sa révérence. Le lendemain, le Front Polisario lui rend hommage. En février 2018, le mouvement de Brahim Ghali va même jusqu'à donner le nom du Mauritanien à une salle du bâtiment qui abrite le pseudo «parlement» du mouvement. Mais Baba Meska tout comme d'autres figures du proue du Polisario ne verra jamais son idée d'une «république sahraouie» au Sahara dépasser le stade d'encre sur papier. D'ailleurs, plusieurs Sahraouis qui défendaient bec et ongles les thèses séparatistes avaient fini par retourner au Maroc.