Le 6 novembre de chaque année marque la commémoration de la Marche verte au Maroc, ayant précipité la décolonisation du Sahara, alors sous occupation espagnole. Cet évènement a également marqué un tournant pour le Front Polisario et la géopolitique régionale. La colonisation espagnole du Sahara remonte à 1883. Avec le retrait du Protectorat français en 1956, le Maroc a réclamé la restitution de ses provinces du sud. Le 23 septembre 1974, il saisit la Cour internationale de justice sur ses liens historiques avec la population de la région. Le 16 octobre 1975, la CIJ rend son verdict. Celui-ci invoque effectivement des liens historiques entre le Sahara occidental, le Maroc et la Mauritanie. Sans clore le dossier, l'avis reconnaît également des rapports d'allégeance entre le sultan marocain et certaines tribus du sud. Hassan II mobilise la population Dès lors, un discours du roi Hassan II (1961 – 1999) annonce la date d'une marche populaire et pacifiste qui a pour but de récupérer le Sahara, sans armes ni confrontation. «Cher peuple, nous devons nous dresser tous comme un seul homme, avec ordre et uniformité, afin de regagner le Sahara et renouveler nos liens familiaux avec nos frères là-bas, annonce-t-il. Serrez la main à chaque Espagnol que vous rencontrez, qu'il soit soldat ou civil. Partagez avec lui votre ravitaillement et accueillez-le sous votre tente. Nous n'avons aucune animosité envers les Espagnols. Sinon, nous n'aurions pas envoyé une population non-armée, mais plutôt des troupes intrépides.» Une semaine plus tard, Hassan II adresse un discours, à l'attention de la population du Sahara. Il lui rappelle ses liens avec le Maroc et son allégeance aux Alaouites : «Par la volonté de Dieu, nous pénètrerons notre Sahara sans crainte. Nous vous retrouverons ravis de cette communion. Ravis de vous affranchir, comme nous, de cette situation de besoin dans laquelle nous avons longtemps été. Nous allons nous serrer la main, nous regarder dans les yeux et célébrer ce moment.» Le 5 novembre 1975, l'ancien roi annonce le début de la Marche verte. Un appelle auquel ont répondu près de 500 000 Marocains. Parmi eux, 350 000 se sont retrouvés à Tarfaya pour franchir la frontière avec le Sahara, sans aucun incident. En préparation de l'évènement, Hassan II s'adresse au peuple par ces mots : «Cher peuple, demain, par la volonté de Dieu, tu pénètreras les frontières. Demain commencera la Marche, par la volonté de Dieu. Demain, tu fouleras une terre qui est la tienne. Vous toucherez un sable qui est le vôtre. Vous embrasserez un territoire de votre cher pays.» La Marche verte se tient alors le 6 novembre et trois jours plus tard, un nouveau discours royal a annoncé le début des négociations avec l'Espagne. A l'international, la Marche verte a eu un grand écho, jusqu'à Tindouf (sud-ouest algérien), chef-lieu du Front Polisario. Ex-membre fondateur du mouvement et auteur de l'initiative «Khat Achahid» en 2004, Mahjoub Salek témoigne auprès de Yabiladi : «C'était une première dans l'Histoire. Au même moment où se tenait la Marche verte à l'entrée du Sahara, des hostilités ont commencé entre l'armée marocaine et le Polisario, le 31 octobre à Haouza et Jdiriya. Mais le monde ne parlait que de la marche.» Un tournant dans l'histoire du Polisario Pour Mahjoub Salek, «la Marche verte a marqué un tournant dans l'année 1975, mais elle s'est accompagnée également d'erreurs commises par le Maroc dans le Sahara, liées à la question des droits humains et à la sécurité des personnes». Au niveau de la politique régionale, ce fait historique a été suivi, le 14 novembre 1975, par la signature d'un accord tripartite à Madrid. Ratifié par le Maroc, la Mauritanie et l'Espagne, ce traité concerne la partition du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie. En vertu du texte, la région d'Oued Ed-Dahab est revenue à la Mauritanie et celle de Sakia el Hamra au Maroc. En échange, l'Espagne a conservé ses exploitations de phosphates à Boukraâ, ainsi que des bases militaires en face des Iles Canaries. Mais alors que cette sortie de crise est plébiscitée dans le royaume, Mahjoub Salek rappelle que ce processus a bouleversé les instances du Polisario et une partie de la population du Sahara. «Pour nous, cela voulait dire que ni le Maroc, ni la Mauritanie ne voulaient de nous. Ils voulaient les richesses du Sahara. Se sentant sous-estimés, beaucoup de Sahraouis ont alors rejoint le Polisario.» Mahjoub Salek Dans cet enchaînement, l'ex-membre du Front confie à Yabiladi qu'El Ouali Mustapha Sayed, fondateur du Polisario, s'est rendu à l'évidence de «l'erreur» commise envers le peuple du Sahara. «En pleurs, il a dit clairement que notre faute était de ne pas nous être alliés à Khalihenna Ould Errachid, pour obtenir l'autonomie du Sahara depuis la colonisation espagnole déjà», se rappelle-t-il. Par ailleurs, il souligne que la proposition a déjà été formulée par Ould Errachid en 1974 à Nouakchott, lors d'une rencontre avec le leader du mouvement. «Le Polisario l'avait alors refusée et El Ouali l'a regretté bien plus tard, car cela a coûté au peuple sahraoui un déménagement massif vers une terre aride où ses enfants meurent encore aujourd'hui de soif», ajoute Mahjoub Salek. Il évoque en outre l'attaque de la capitale Mauritanienne par El Ouali, ayant eu pour but de «montrer au monde que [les Sahraouis existaient] et qu'[ils étaient] déterminés à défendre [leur] terre». «El Ouali est mort pour ses convictions. Il était dans ma tente juste avant son départ pour l'opération et je savais qu'il n'allait pas revenir.» Mahjoub Salek Le 27 février 1976, date de sortie des derniers soldats espagnols du Sahara en vertu d'un accord avec le Maroc, le Front Polisario proclame la «République arabe sahraouie démocratique (RASD)», avec l'appui de l'Algérie et de la Libye. «L'idée est celle d'Ahmed Baba Meska, nous explique encore Mahjoub Salek. El Ouali Mustapha Sayed l'a portée et a convaincu le colonel Kadhafi et l'Algérie. C'est ainsi qu'a été proclamée la 'RASD' pour refuser tout vide politique dans le pays.» «L'avenir doit se construire avec les jeunes générations» Egalement ancien membre et ex-militaire du Polisario, Bachir Dkhil considère que la proclamation de la «RASD» a été hâtive : «C'était là la faute : proclamer un Etat puis exiger un référendum d'autodétermination. Si je suis un Etat, j'exige l'indépendance et non pas un scrutin là-dessus, car je suis déjà une entité souveraine. Mais le Polisario algérien est tombé dans cette erreur-là.» Bachir Dkhil se pose la question sur l'intérêt de ce référendum ayant suivi la déclaration de la naissance de la «RASD». «Est-ce pour décider si l'on bascule vers un Etat souverain, un régime autonome ou autre ? Si c'est après la proclamation de la république, c'est que le président du Polisario est censé devenir un chef d'Etat ! La légitimité doit être populaire et venir des urnes.» Bachir Dkhil Après la création de la «RASD», le Maroc est entré en guerre avec le Polisario, jusqu'à la signature d'un traité de cessez-le-feu, en 1991. «La conséquence de ce conflit entre un mouvement et un Etat a été de saper la jeune élite de l'époque, déplore Bachir Dkhil. Combien de personnes sont mortes au cours de cette guerre ? Pour quels résultats ?» Dans cette configuration, l'ex-membre du Front considère que «tout le monde est perdant : le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie et même le Polisario». Il regrette que «les premières victimes collatérales» soient «les civils vivant toujours dans les camps de Tindouf. Les dirigeants du Polisario les font vivre dans l'illusion quotidienne d'un jour de gloire proche». Misant sur l'avenir, Bachir Dkhil souligne que «nous ne sommes plus dans la même époque : les jeunes d'aujourd'hui veulent vivre dans la paix et l'émancipation en décidant eux-mêmes de ce qu'ils veulent ; intellectuellement, ils croient en leurs singularités en non plus en des groupes homogènes et carrés». «Il est important de comprendre cette situation. Sans cela, tout le monde restera perdant», conclu-t-il.