Alors qu'il est abolitionniste de fait depuis 1993, le Maroc peine à abolir la peine capitale, alors qu'institutions et ONG espèrent voir le royaume franchir ce dernier pas en votant notamment en faveur du «Moratoire sur l'application de la peine de mort» à l'Assemblée générale des Nations unies, en décembre prochain. Le monde a célébré, lundi 12 octobre, la Journée mondiale contre la peine de mort. Une 20e célébration qui se tient, cette année, sous le thème «La peine de mort, un chemin pavé de torture». Ce mercredi, le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), en partenariat avec plusieurs institutions et associations, a organisé une conférence de presse à l'occasion de cette journée. Intervenant à cette occasion, la présidente du CNDH, Amina Bouayach a rappelé l'initiative du conseil visant à publier les témoignages de détenus condamnés à la peine capitale sur son site et sur sa page Facebook. Il s'agit, selon elle, d'une occasion pour leur «offrir l'opportunité de parler de leurs vies, de leurs arrestations à leur condamnation à la peine de mort», a-t-elle expliqué. «Ce traitement permet de présenter le point de vue des détenus condamnés et leurs droits dans l'institution pénitentiaire, leurs conditions de détentions…Il a permis de souligner l'importance du suivi psychologiques des détenus en général, et de la prévention du suicide en particulier», a-t-elle noté. Amina Bouayach s'est dite «soulagée» d'apprendre la libération du Marocain Brahim Saadoun, condamné à la peine de mort par un tribunal du Donetsk autoproclamée dans l'est de l'Ukraine. «J'ai vécu ce moment comme un triomphe de la détermination des abolitionnistes», a-t-elle assuré. «Ce cas nous interpelle et nous rappelle qu'il est temps de rompre avec la peine de mort. Le CNDH espère que l'année prochaine, qui coïncide avec les 30 ans de la suspension de l'exécution de la peine au Maroc, le Royaume vote en faveur de la résolution onusienne de décembre, ce qui constituera un pas dans notre chemin en tant que société pour l'abolition définitive de la peine de mort.» Amina Bouayach Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire «responsables» Si la présidente du CNDH a appelé à «rompre cette année avec l'hésitation» en votant en faveur de la résolution «Moratoire sur l'application de la peine de mort» à l'Assemblée générale des Nations unies, le Coordinateur du Coalition marocaine contre la peine de mort (CMCPM), le bâtonnier Me Abderrahim Jamaï a mis en avant le front des abolitionnistes, rappelant que sa mobilisation a notamment permis au sujet de faire son entrée au Parlement. «Nous sommes convaincus que le vrai défi consiste dans les croyances chez certains au sein des autorités et dans l'échiquier politique et culturel, selon lesquelles l'universalité des droits humains ne nous concerne pas au Maroc, ne concerne pas notre société et qu'il s'agit d'une culture occidentale étrangère pour les Marocains. Ce sont ces croyances qui causent l'hésitation et l'abstention à présenter des réponses réelles à la question de l'abolition de la peine de mort au Maroc», a-t-il souligné. Me Abderrahim Jamaï a estimé que le maintien de cette peine dans le système juridique marocain consacre la torture, qui est interdite par la Constitution et par les lois nationale et internationale. «La peine de mort est une peine violant les droits humains et la Constitution marocaine», a-t-il insisté. «Le pouvoir exécutif est responsable, moralement et politiquement, du maintien de la peine de mort, car le gouvernement décide de la criminalisation et de la punition. Le pouvoir législatif a également une responsabilité politique, en décidant ne pas discuter les propositions de loi qui ont été déjà déposées. Enfin, le pouvoir judiciaire est responsable des prononcés de la peine de mort, sachant qu'il doit appliquer la Constitution.» Me Abderrahim Jamaï Le Coordinateur du CMCPM a appelé le gouvernement à «écouter les voix des abolitionnistes et prendre la décision de voter en faveur d'une abolition de la peine de mort et en faveur du moratoire en décembre prochain. «S'il vous plaît, ne soyez pas royalistes plus que le Roi», a-t-il conclu en rappelant que les décisions de grâce du souverain pour les détenus condamnés à cette peine. Une «anomalie» dans un contexte pourtant favorable à l'abolition De son côté, Abdellah Mesdad, secrétaire général de l'Observatoire marocain des prisons (OMP) a dit espérer la publication d'une résolution «forte» du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies en novembre prochain, qui «renforcera les efforts des abolitionnistes». L'associatif a assuré la poursuite de la lutte jusqu'à ce que le Maroc ratifie le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine capitale, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le Moratoire sur l'application de la peine de mort, entre autres. Pour sa part, le directeur des programmes de l'ONG internationale Ensemble contre la peine de mort (ECPM) a reconnu les progrès «considérables» du Maroc. «Cela nous laisse dubitatif face à la question de savoir pourquoi le Maroc n'abolit pas la peine de mort», a enchaîné Nicolas Perron, regrettant que la décision de l'abolition «tarde à venir» et pointant une «anomalie dans un tel contexte favorable». «Au vu du chemin parcouru par notre pays en matière des droits humains et à l'égard de la peine de mort, notre espoir est grand de voir tous nos efforts couronnés à travers le vote du Maroc en faveur de la résolution des Nations unies pour un moratoire (…) et la décision du Maroc d'enfin abolir purement et simplement cette peine atroce», a plaidé de son côté Nouzha Skalli, Coordinatrice du Réseau des parlementaires contre la peine de mort au Maroc. Et d'annoncer que le réseau travaillera sur une proposition de loi et est «déterminé à mettre la question au cœur de l'agenda parlementaire».