La destinée de l'art est en liaison profonde ave celle des hommes. Toutefois, l'art ne reflète pas seulement le milieu et l'époque ; il les dépasse, puisqu'il est création, pour exprimer les passions des hommes et leur folie, ou leurs pensées et leur sagesse, et tout en touchant le futur, il exprime leurs horizons, il réalise leurs rêves...et leurs cauchemars. Il concrétise l'invisible. Le reflet et l'inédit L'art est engendré par le milieu et l'époque, certes ; il s'imprègne même de tous les agissements qui l'entourent ; il se nourrit des grandes idées et des activités élaborées dans son temps, comme il s'influence du type de relief et de climat de son milieu, formant ses techniques et ses conceptions à partir des matériaux et des pigments locaux, créant le goût et le mode de vie, tout en participant dans la constitution des mentalités. Chargé de toutes les connaissances et des techniques propres à son domaine, l'artiste crée. Il produit le « jamais vu auparavant ». La création est le phénomène artistique essentiel dans la culture...et on l'oublie souvent, limitant l'art dans l'imitation. En optant pour l'assimilation du physique et du métaphysique, tout en se diversifiant dans le sacré et le profane, l'art éternise le passé, exprime ou décrit le présent, et crée un nouvel équilibre pour l'avenir, dans une vision intuitive, prophétique même. Chaque âge a sa vision propre, concrétisée par l'art et la science qui étaient confondus dans l'Antiquité et le Moyen-âge. Les mythes prédominent dans l'âge antique, tandis que la ferveur religieuse monothoïste domine le monde médiéval. Les grandes connaissances se sont répandues, tendant vers un brassage des cultures. Dans la Renaissance, l'autonomie de l'art bourgeonne avec conscience ; l'artiste s'affirme comme créateur d'une beauté idéale, en tant qu'artisan habile et penseur encyclopédique. A travers les honneurs que le mécénat lui offre, l'artiste, devenu le protégé du prince, ne communique plus qu'avec l'élite du pouvoir, décorant la vie de cette élite. Utilisé comme arme de propagande, dès la fin du XVIème siècle, l'artiste se spécialise comme décorateur de la vie urbaine, et la spécialisation se rétrécit en genres. Les styles imposent des règles. Dans cette destinée tracée, l'art n'accomplit plus sa mission comme équilibre des grandes contrastes ; il se divise même en visions antagoniques, tendant vers le précieux et l'artificiel. D'où la révolution romantique et sociale. Mais la révolution industrielle, provoquée par l'essor scientifique, va bouleverser le monde par sa mentalité industrielle. Les deux révolutions aboutissent à deux visions antagoniques : la subversion et l'intégration. La fonction de l'art Il s'est avéré que dans nos temps modernes, la connaissance a besoin d'un dialogue ouvert entre les protagonistes de la culture et ceux de la civilisation. Tout domaine, scientifique ou artistique, pour se développer et s'épanouir, a besoin d'un esprit d'équipe et de synthèse, et non d'un génie égocentrique. L'artiste actuel n'a que faire de la provocation gratuite qui ne dévoile aucun message sauf le chaos et la déchéance. Il n'a que faire de ces fausses avant-gardes qui glorifient l'inutile et les combinaisons technologiques creuses, tout en rendant mièvres les messages dadaïstes et constructivistes qu'elles imitent avec insolence. La société contemporaine, également, n'a que faire de ces fausses vedettes, semblables aux feux d'artifice, qui, comme l'a voulu la bourgeoisie industrielle d'hier, et comme le veut l'industrie culturelle d'aujourd'hui, ont rendu l'art inutile, décoratif ou éphémère, des vedettes jetées après utilisation, selon l'esthétique du jetable. La fonction de l'art actuel, selon sa destinée esthétique et humaine, est de s'intégrer à la vie et au cadre de vie des hommes. Puisqu'il exprime la vie, dans ses joies et ses malheurs, puisque son activité créatrice est issue de la liberté consciente et de l'intuition, l'art doit rester toujours ce noble flambeau de la liberté, ne courbant l'échine à aucune idéologie, à aucune menace ou récupération, tout en poussant sa mission comme visionnaire ou précurseur, éclairant les hommes, sans distinction de race ou de croyance, vers un sens de la vie conforme à son environnement et à son époque. L'artiste, comme tout homme de culture, est poussé au dialogue, dans une société aussi autonome que lui, ouverte à la démocratie et à la communication, et non opprimée sous le joug de la dictature, du fanatisme ou de l'uniformise. Il est pénible et même dramatique pour l'art d'être une arme aux mains de l'idéologie, de suivre le goût d'une élite quelconque ou d'être assiégé par une administration qui ignore sa valeur et sa noble mission. A cause de la dictature, des guerres et des conflits, que de projets superbes sont restés inachevés, que de recherches ont été brûlées, spoliées ou détournées de leur valeur, que de cultures ont été détruits. Comme on demande à l'artiste d'être un homme de connaissance, de synthèse et de dialogue, comme on demande à l'art d'être en liaison avec tous les domaines de la culture, pour trouver le sens véritable de la vie, on demande aussi à l'Etat de pousser son dialogue vers la recherche culturelle et artistique. On demande aux groupes sociaux, aux conseils municipaux, et surtout aux ministères, d'assumer leur responsabilité envers l'art et la culture, d'œuvrer pour un dialogue homogène entre les partenaires, afin que la culture soit en dialogue permanent avec la civilisation, dans une expression épanouie de la vie et un cadre d'environnement beau et conforme à notre troisième millénaire. Sans dialogue positif et dynamique entre tous les domaines de la connaissance, on n'aura qu'une culture estropiée ; sans dialogue entre les ministères, les protagonistes de la culture et les artistes de synthèse, selon une politique culturelle qui œuvre pour l'éducation et le bien-être de la société, la culture sera aussi aveugle et atrophiée, vouée au chaos et à la déchéance, comme la plupart des installations, des performances, du bric-à-brac et des combinaisons gratuites, dont nos galeries, nos musées et nos rues sont pleines, et qu'on évite de voir, par décence !