Sous un régime impérial commandé par un pouvoir absolu, comme l'ancienne Rome ou la France de Louis XIV, même après leur épanouissement, l'art perd son autonomie, s'étouffe dans les règles, et n'a comme mission que la propagation pompeuse de ce pouvoir despotique. Malgré les réflexions des historiens, l'art de la Rome antique n'est, en quelque sorte, que le moulage inerte du génie grec, à part son urbanisme qui, justement, a servi la marche des conquérants ; et le classicisme français n'est que l'application rigoureuse des règles créées en Grèce antique, et développées dans la Renaissance italienne. L'art sous les dogmes Il semble que l'art ne se forme sous les Etats autoritaires que pour les servir et décorer la vie politique et religieuse. Depuis l'Antiquité, on a cru que la fonction de l'art se limite à la décoration de la vie du souverain et de la cour impériale, dans la construction des temples et des tombeaux, des forteresses et des châteaux, que l'art doit servir le pouvoir religieux et étatique, sans aucune expression, sans aucun message sauf ceux des dirigeants. Malheureusement, même après des millénaires, l'art reste ainsi sous les systèmes autoritaires, à travers les époques, soumis, courbant l'échine au sceptre et au glaive. Et c'est ainsi que l'art a perdu de ses élans créateurs, sous l'autorité absolue et dans les moments de crise, qu'il est resté longtemps sous l'emprise des ambitions de prestige et de faste, ne pouvant accomplir sa mission esthétique originelle que dans les rares moments de son autonomie. Toutefois, comme on a vu les concepts antagoniques s'opposer dans l'Antiquité et dans l'époque médiévale, entre la sagesse et la folie, entre les règles dogmatiques et le besoin incessant de liberté, illustrés par les mythes, les religions, les invasions et le pouvoir de conquête, on assiste, aussi, au développement de cette dualité des contrastes, au XVII siècle, entre la culture de la Réforme et celle de la Contre-Réforme, et même dans cette dernière, à la confrontation entre le classicisme et le baroque. Le classicisme, orienté par le pouvoir absolu, cherche l'équilibre à travers la raison triomphante, tandis que le baroque, prôné par l'Eglise catholique, tend vers l'épanouissement de la sensibilité et de l'imagination, dans une frénésie éblouissante des formes et des couleurs. Au XVIIIème siècle, dans ce siècle des Lumières, on assiste à une autre confrontation, toujours basée sur les mêmes concepts hérités de l'époque antique, mais plus raffinés : la raison et la sensibilité. Dans les salons mondains et avec les encyclopédistes on ne parle que du progrès réalisé croit-on, par la science expérimentale et positive, et par l'application des sciences. Ce mouvement scientifique naissant est prôné par les princes et les « despotes éclairés », par les philosophes, comme Voltaire Diderot et David Hume, et les savants, comme Newton, Addison et d'Alembert. En contre courant, s'agitent ceux qui croient au retour à la nature, à la sensibilité et à la liberté naturelle, et à leur tête Rousseau, Buffon, l'auteur de l'Histoire naturelle (36 volumes), Pope l'auteur de l'Essai sur l'homme, et Daniel de Foe, l'auteur de Robinson Crusoë. A vrai dire, c'est une confrontation ouverte entre les promoteurs de la notion de la « civilisation » dont la définition est apparue en ce siècle, et les défenseurs de la « culture ». Les deux révolutions Cette confrontation entre l'essor scientifique et le retour à la nature se développera au XIXème siècle en deux révolutions antagoniques : la révolution industrielle brandie par les industriels bourgeois, et la révolution romantique, brandie par les artistes, mais dont les précurseurs sont les philosophes allemands. Toute l'Europe occidentale a acclamé la première révolution dans son essor grandissant valorisant ainsi le fer la fonte et le béton armé comme matériaux novateurs, le positivisme et le fonctionnalisme comme doctrines, et les écoles d'arts appliqués et polytechniques comme enseignement. Quant au romantisme, on ne sait que faire ; est-il un style, une école, un mouvement ? on n'a pas voulu admettre en lui cet état d'esprit général qui aspire à la liberté d'expression et à l'imagination frénétique, ni cet ouragan culturel qui s'est révolté contre les règles établis à la création et à l'esprit. Dans ce bouillonnement, l'art retrouve ses éléments épars : imagination effrénée, quête de l'âme, évasion dans l'espace et le temps, amour du nocturne. En Allemagne c'est la philosophie et la musique qui s'imposent dans cette révolution ; en France, la poésie et la peinture qui se mettent en tête ; en Angleterre, le roman noir et le récit fantastique y sont précoces dans la vision du macabre ; en Russie, on tend vers le spirituel dans les romans de Tolstoï et de Dostoïvski. Avec la révolution romantique et avec cet état d'esprit bouillonnant en Europe, puis dans le reste du monde, on a compris que l'art est dialogue d'égal à égal. Son langage n'est plus soumis aux dogmes ni à la frivolité de la cour, mais agit dans la liberté. Après le néo-classicisme accablant et statique, l'artiste préfère s'inspirer des formes mouvantes de Rubens, des ouragans de Beethoven, des tragédies délirantes de Shakespeare ainsi que de la spiritualité de Tolstoï. Après le criticisme de Kant qui nous a rappelés la relation intrinsèque entre éthique et esthétique, tout en fondant l'autonomie radicale du sensible par rapport à l'intelligible Hegel nous montre que l'art est fils de son époque, que la création est l'étincelle de la pensée, tout en proposant pour l'art un nouveau critère : l'originalité. A la même époque, et contre l'image statique de l' « honnête homme », cet homme soumis aux règles, façonné par le classicisme, une autre image la supplante, celle de l'homme qui agit contre le statisme accablant celle du visionnaire qui prédit pour son époque une nouvelle morale et une nouvelle esthétique, une image inspirée justement du romantisme allemand, sculptée par un Nietzsche révolté et révoltant, dans le personnage de Zarathoustra.