Le mythe, en se développant, crée autour de lui des champs d'interactions surprenants, des zones d'influence confuses, chargeant de symboles dominants et mystérieux tous les éléments de la vie. Ainsi, l'Orient, tout l'Orient, verra naître en lui, à travers le concept du mouvant ou du statique, un grand désir de traduire les éléments de la vie par les mythes et les symboles, une tendance de plus en plus obsédante vers le mystère, le voilé, le clos et l'imagination foisonnante, une valorisation extrême des formes circulaires, onduleuses, agitées ou douces, dorées ou ténébreuses. Naissance des concepts En Mésopotamie, sont créés et formés les concepts des dieux, du Cosmos, de la Nature et de l'homme. Les concepts sont caractérisés par la lutte et la désunion de deux concepts primordiaux ; la lumière et les ténèbres. Les mythes, les schèmes et les thèmes artistiques du mouvant sont nés en Mésopotamie et chez les Perses, issus des « ténèbres, de la déesse-Mère, du sang et de la fragilité des pouvoirs successifs. En Egypte, pourtant voisine mais repliée sur elle-même, à la différence de la Mésopotamie aux frontières ouvertes, les mythes et les schèmes propres au statique sont nés, issus de la « lumière », du Dieu-Père, de la pérennité du pouvoir, des cultes des dieux et des morts, favorisés par les éléments climatiques, géographiques et raciales. Mais, il ne s'agit encore là que d'une naissance ; naissance des schèmes, des mythes et des arts. Seulement, à travers cette naissance, les repères des concepts primordiaux sont indiqués. En Inde, réceptacle des mythes fantastiques, la formation de la symbolique, à travers l'Hindouisme, le Bouddhisme et le Jaïnisme, est délibérée jusqu'à la confusion totale. L'imagination y est débordante jusqu'à l'absurde, jusqu'à se perdre dans l'abstraction extrême, pour tomber dans le matérialisme le plus grossier. Cette imagination débordante et cette symbolique confuse trouvent leur champ adéquat dans l'épopée, le conte, le récit, la poésie, les fables et les hymnes, bref dans le verbe. Mythe et anti-mythe D'ailleurs, tout l'Orient sera plus ou moins caractérisé par le verbe, à tel point qu'il créera autour du verbe toute une esthétique, trouvant ainsi sa source primordiale dans les épopées sumériennes et babyloniennes. Cela ne veut pas dire que toute la création orientale, variée soit-elle à travers les régions et selon l'identité propre à chaque peuple, commence et s'achève dans le verbe, mais que toute la vision orientale est dominée par cette esthétique. Les conceptions engendrées par cette vision, valorisent le mythe, le mystère, le voilé et le symbole, exprimés par le « littéraire ». Théâtre, danse, architecture, peinture ou musique, tous ces arts en Orient, issus du mythe et le valorisant jusqu'à la valeur sacrée, restent symboliques dans l'expression, tournant autour de la description, de la forme épique et du récit, amplifiant même les faits divers et exagérant les représentations artistiques jusqu'au gigantisme. Par contre, en Occident, formé par des peuples maritimes, à la différence des peuples agraires qu'englobe l'Orient, aptes à l'aventure et aux échanges depuis les Crétois et les Grecs, tous les arts sont issus, non pas de la création des mythes, mais de l'anti-mythe, et orientés vers la figuration et l'image. Les Occidentaux ont formé et développée l'esthétique de l'image, c'est-à-dire une vision où l'image et l'effet plastique sont au centre des expressions littéraires et artistiques. Apparemment, nous sommes en présence de deux grands blocs culturels et civilisationnels, toujours en confrontation, depuis les Guerres puniques jusqu'à l'impérialisme civilisationnel actuel. Chacun des blocs glorifie ses faits et ses actions, selon l'idéologie de son système étatique, sans tenir compte des influences, des inspirations et des échanges culturels. A vrai dire, nous sommes en présence, tout d'abord, de deux grandes tendances culturelles que la civilisation, selon ses atouts et ses horizons, s'acharne à rendre antagoniques : la première, issue de la création et la valorisation du mythe et du verbe, originaires de la Mésopotamie, est caractérisée par l'imagination débordante, la médiation, et surtout avec l'Islam, par le spirituel. Sa création la plus abondante sera l'épopée, le conte, la fable et la poésie. Même les études et les analyses qui vont l'aborder, vont créer et développer l'esthétique du verbe. La seconde, issue de la rébellion des dieux, et des hommes contre ces divinités, de l'anti-mythe et de la représentation des divinités en tant qu'hommes, depuis la Grèce antique, est caractérisée par la conception réaliste, la contemplation, et surtout dès la Renaissance, par la « concrétisation » et la « systématisation » des idées et des faits. Ses créations les plus abondantes seront les arts plastiques. L'esthétique en Occident et l'histoire de l'art vont valoriser l'esthétique de l'image. L'art lui-même sera systématisé dans un enchaînement logique et progressif, centré sur la peinture. L'esthétique du spectacle Cependant, ces deux tendances ont trouvé leur source primordiale dans la vision mythique préhistorique, ainsi que dans le spectacle mythique, inconscient et spontané qui la caractérise. Et c'est en Afrique, berceau de l'humanité, que ce spectacle a été créé, rassemblant confusément les mythes, les idées, les sensations et les actions des hommes, puis valorisé à travers les âges chez les peuples, habitant les rites et les coutumes, tout en alimentant les cultures. Toutefois, les deux premières tendances, celle du verbe et celle de l'image, tout en évoluant, à travers les cultures et les civilisations, s'interpénètrent, s'emboîtent, sejuxtaposent ou entrent en conflit. Seulement, l'apogée d'une culture est déterminée essentiellement par l'assimilation de ces deux contrastes, le verbe et l'image, exprimés dans le spectacle. A partir du théâtre grec, cette assimilation commence à se formuler ; mais déjà elle se systématise, perdant sa liberté d'expression avec la philosophie dogmatique. Pour cette raison, tout en s'inspirant des grandes figures du théâtre, comme Shakespeare, Racine, Molière, Corneille, dans les arts dramatiques, les artistes contemporains conçoivent « l'art total » comme un idéal, un art où se formule la synthèse de toutes les expressions artistiques, à savoir la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture et la chorégraphie. Au Maroc, ce n'est pas un hasard si les artistes se sont adonnés au spectacle, depuis l'indépendance. Ils trouvent en lui leur identité ancestrale, comme ceux de la Tunisie, du Sénégal ou de la Côte-d'Ivoire. Avec Tayeb Seddiki, Abdel-KrimBerrechid, les Nass-el-Ghiwane et Abdellatif Zine, l'esthétique du spectacle contemporain se formule.