La culture est issue de la liberté consciente. Sans cette liberté, la création et la pensée ne produisent qu'une culture artificielle et trompeuse. La civilisation est issue de la culture. Seulement, tandis que la culture se veut une libération de toute idéologie quelle qu'elle soit, la civilisation est une orientation d'une ou de plusieurs idéologies à travers les âges. La civilisation détermine le système dominant qui, en même temps, la détermine. Mais, dès que ce système oriente la culture, en la récupérant comme accessoire pour son prestige, ou en la brandissant comme arme pour son pouvoir, la crise s'annonce. Les traces de l'histoire On sait que la civilisation est née avec l'agriculture, deuxième révolution humaine après celle du feu. Avec la découverte du feu et sa domestication, l'homme tend à se libérer de la bête qui est en lui, de la nature, également, tout en s'acharnant à se nourrir d'eux, et à les comprendre, tout en restant nomade, aussi, habitant les grottes et les cavernes. Dans son errance, il affronte l'inconnu, condamné à survivre et à préserver son espèce. De là, on voit jaillir les caractères initiaux de la culture : libération, nomadisme et échange, exploration de la nature et de l'inconnu, recherche de la connaissance. Avec la découverte de l'agriculture, l'homme se sédentarise, tout en inventant pour lui un abri, et pour ses dieux des sanctuaires. Il fonde, avec ses semblables, le village, puis la cité. Il entre dans l'histoire, en inventant l'écriture. La culture, est, ainsi, née avec le feu qui constitue, désormais, son symbole. Les grandes divinités sont présentées et représentées toujours par la lumière (du soleil, de la lune, des astres, de la foudre...) comme Outou, Shamash, Rê, Atun, Apollon, Zeus, Ormuzd et d'autres. La création et la pensée, imprévisibles, jaillissent comme le feu. Le savoir et la connaissance sont clairs et rayonnants, comme la lumière, comme des feux volés aux dieux, dans la mythologie grecque, ou donnés par le divin aux hommes... Avec la sédentarisation, l'architecture et l'écriture sont nées, et, avec elles, la civilisation se fonde. En tout temps, en tout lieu, la civilisation a besoin de toute une période, de toute une légitimité, pour se constituer et s'épanouir. Assimilée à l'architecture, synthèse des formes, elle a besoin d'une culture homogène, d'une religion précise, de canons et de codes, d'une stabilité, d'une autonomie et d'un territoire surtout, pour se former et d'une paix pour s'épanouir. Issue de la culture, la civilisation ne persiste dans la mémoire des hommes que grâce à l'architecture et à l'écriture qui conservent sa trace. Comme on le constate, ces deux dernières activités sont le lien primordial entre la culture et la civilisation, elles sont aussi, les clefs et les armes de tout système étatique pour préserver son statut et sa prospérité, symboliques et matérielles. Ayant comme base initiale la mosquée et le Coran, l'art islamique est le premier art qui a su montrer, dans une assimilation esthétique des contrastes, un dialogue spirituel entre les arts tournant autour de l'architecture et les arts tournant autour du livre. On doit attendre jusqu'au XXème siècle pour voir s'épanouir, dans une vision contemporaine, les arts de la forme, autour de l'architecture et des arts graphiques, avec le Bauhaus. Les arts du senti et du pensé On a insisté sur la liberté de la culture et sur l'idéologie de la civilisation. Vers cette liberté, tendent, tout d'abord, la poésie, la musique, la peinture et le psychodrame, des arts plus proches du sentiment que de la raison, du senti que du pensé, plus proches aussi de l'âme que de l'esprit. A travers ces arts, premières étincelles de la pensée, la culture brandit le flambeau de la révolution contre la dégénérescence. Plus proches du pensé que du senti, de l'esprit que de l'âme, l'architecture, le théâtre, et issus d'eux, les arts utilitaires, le design, le cinéma et la mode, dont l'utilité est immédiate ou lointaine, et qui ne peuvent se réaliser sans un travail d'équipe, ne s'inspirent de la conception des arts cités que tardivement. La plupart des cultures ont débuté leur aventure par l'épopée et la poésie, comme en Mésopotamie, en Inde, en Egypte et en Grèce. La plupart des mouvements artistiques et culturels se sont lancés à travers la poésie (le futurisme et le surréalisme) et la musique (le romantisme) ou la peinture (le cubisme...). L'architecture, le théâtre et le cinéma plus tard, ne viennent qu'après pour, ou bien s'inspirer de ces mouvements, ou bien appliquer leurs règles élaborées. Le style Avec l'application des règles de l'art, on ne parle plus du mouvement mais de style. Dans sa phase primitive, l'art est commandé et déterminé par la magie, pour des besoins vitaux, magiques et utilitaires. Les productions de la Préhistoire et des peuples primitifs restent spontanées et tâtonnantes ; on les considère comme sources de l'art et de la culture, encore loin d'être englobées dans un style. Dans l'antiquité, l'art et la culture sont déterminés par la religion. Pour concevoir l'activité culturelle, confondue, alors, avec celle de la civilisation, les prêtres, les sages et les souverains vont imposer des canons et des règles pour l'art. Les styles naissent, sous le dogme de la civilisation. Le Moyen-âge verra d'autres règles pour l'art, orientées par la religion. Ce n'est qu'avec la Renaissance, et presque juste en Europe que l'art commence à se libérer des orientations idéologiques. Ce n'est aussi qu'au XIXème siècle que les mouvements artistiques et culturels apparaissent. L'art nouveau, De Stijl, le Bauhaus et l'art déco sont des styles internationaux modernes qui ont voulu mettre en synthèse certains arts, d'où le fonctionnalisme, le style organique, l'aérodynamisme et le style international. En s'inspirant d'un mouvement artistique, même parfois expressif, l'architecture et le design, surtout, lui enlèvent toute spontanéité et tout message choquant. Subventionnés par l'Etat et les sociétés privées, ces deux arts de synthèse, ainsi que le théâtre et le cinéma, doivent satisfaire, tout d'abord, le goût de la classe dominante, tout en le bousculant parfois, tout en organisant l'espace et même la vision, d'où leur relation indispensable entre la culture et la civilisation. Parce qu'elle a des effets de purification surtout, la tragédie grecque a joué un rôle important dans la cité, et Aristote insistera sur la catharsis qu'elle produit. Plus proches du pouvoir que du peuple, l'architecture et le design, ainsi que la mode, fonctionnels par essence, sont les premiers arts récupérés par l'idéologie. Assimilant le sentiment et la raison, juste en équilibre entre la peinture et l'architecture, entre la musique et le théâtre ou le cinéma, entre la poésie et l'épopée, se situent la sculpture, l'opéra et le roman, des arts d'équilibre, par excellence. Pour que ces arts arrivent à leur apogée ou s'épanouissent, il faut que tous les arts- ceux où prédomine le sentiment et ceux où prédomine la raison- soient aussi épanouis. Plus que cela ; la liberté consciente, dont ils sont issus tous, doit être à l'origine des activités humaines qui les alimentent, à savoir le tâtonnement, l'expérience et la réflexion.