Dans deux sites historiques, se tiennent deux expositions d'œuvres plastiques. A travers celles, on a voulu fêter le centenaire de la capitale du Royaume et l'inscription de cette ville prestigieuse comme patrimoine universel de l'humanité. Dans cette fête, que les responsables de la culture ont voulu partager avec le public, on ressent déjà les contradictions, rien qu'en jetant un coup d'œil sur le titre donné à cette fête. Lorsqu'on parle d'une ville, d'une capitale ou d'un territoire, délimité par une période précise, un siècle par exemple, on met en valeur une civilisation donnée, mais lorsqu'on parle d'un patrimoine de l'humanité qui reste délimité, on s'annonce pour une culture. Donc, ici, dans cet événement, les deux termes se mêlent et s'interpénétrèrent, sans aucune méthode, troublant même la joie de la fête. Ni la culture, ni la civilisation ne sont prises en considération. On sait, désormais, que le propre de la civilisation réside dans son architecture et les arts qui la mettent en valeur et l'entourent, à savoir les arts traditionnels et les arts industriels. On sait aussi qu'au cœur de la culture résident la poésie, la peinture et la musique. On sait, enfin, que ces trois formes d'art, ainsi que le théâtre et le cinéma qui mettent la culture en valeur et l'enrichissement, en évoluant à travers le temps, sont orientées par la liberté consciente, tandis que dans l'architecture et les arts qui l'accompagnent prédominent l'ordre et la raison. Dans un événement pareil, où l'on veut mettre en valeur la ville de Rabat, capitale du Maroc et patrimoine universel de l'humanité, on n'expose que les pièces et les œuvres qui révèlent les caractéristiques culturelles et techniques de cette ville, devant une période distincte. Dans cette exposition, on vise certainement l'architecture, l'urbanisme et le design d'environnement, ainsi que la gastronomie, le costume et les métiers d'art, c'est-à-dire les arts qui reflètent la ville. Par contre, la poésie, la peinture et la musique ainsi que les arts qui les englobent, mouvants par essence, sont indépendants et ne se résignent ni au temps ni à l'espace, ils les dépassent. Il est difficile d'organiser une exposition d'œuvres plastiques concernant une ville ou une capitale, sauf si on opte pour une idéologie, l'école de Paris a un caractère chacun, en voulant rassembler des artistes du monde sous un titre qui les délimite. A la même époque, des collectionneurs, poussés par l'idée de constituer un art national autour du premier mouvement américain, l'expressionnisme abstrait, créent l'Ecole de New York, tandis que dans l'autre côté, à Settat, d'autres créent l'Ecole du Pacifique. Toutefois, où qu'il soit l'artiste, en dépassant, par sa vision, son local et son époque, est considéré comme un artiste du monde. Schopenhave s'est déclaré, et à juste titre, « citoyen du monde », car son art appartient à l'humanité et non à un territoire délimité par des frontières. Limiter un artiste ou son œuvre dans une localité, c'est mésestimer ses inspirations, sa recherche, ses élans et ses horizons. Il est vrai que l'œuvre, surtout au début de la carrière de l'artiste, appartient à son local, à son terroir, car l'artiste en ce moment, est influencé par ce qui l'entoure, dominé par les faits-divers qu'il interprète ou les copie, selon ses sensations et sa technique. Mais, progressant dans ses recherches, l'artiste s'ouvre aux conceptions et aux techniques de l'art de son époque. Il ne délaisse pas son local, mais le dépasse pour analyser les problèmes humains et artistiques de son époque. Peut-on parler d'un Delacroix parisien et artistique de son époque. Peut-on parler d'un Delacroix parisien au même Français, alors qu'il cherchait la lumière dans les « Femmes d'Alger », et la dénonciation de l'oppression dans les « Massacres de Scio » ? peut-on parler d'un Kandinsky russe, allemand ou Français, alors qu'il s'est inspiré de toutes les visions abstraites et spirituelles de l'humanité ? Dans l'exposition de Bab Rouah, on n'a rien respecté, ni les inspirations, ni les conceptions, ni les techniques, sans le vouloir peut-être ou a humilié, et l'artiste, et sa tendance, et son niveau. On a bâclé, dans un étalage effrayant et un mélange hétérogène le petit art, l'art officiel et l'art de recherche. Sans se fatiguer, aussi, et sans sélectionner, on s'est dirigé vers les collections des banques, puis, pour compléter le lot, on s'est adressé à des peintres qui se sont bousculés pour être mis en évidence. Le public, qui croit être invité à une fête, sort plus troublé qu'avant, tous les styles engendrés dans le siècle précédent se galvaudent devant lui se bousculent, comme les artistes, et se serrent, sans aucune classification. Je me suis demandé comment les artistes qui se respectent ont pu accepter d'exposer dans cette débâcle qui ne nous révèle qu'un seul message : la crise que nous vivons, humaine et artistique. Du moins, comme les Oudayas pris comme thème à Bab El Kbir, on aurait pu proposer aux artistes la ville de Rabat comme thème d'inspiration, tout en se donnant le temps pour la préparation du catalogue (ou d'un ouvrage axé sur l'événement) et l'organisation de l'exposition, tout en réservant aussi un autre espace pour les orientalistes. Dans cette exposition thématique, on invitera des critiques et des journalistes dans des journées d'études, afin de classifier et d'analyser les tendances présentées. On a assez vu d'exposition et des présentations qui nuisent à notre patrimoine, à notre culture et à notre civilisation, plus qu'elles ne les montrent. On a assez vu d'expositions qui montrent notre patrimoine comme un mélange folklorique assourdissant, sans aucune étude logique et objective dans le domaine. Dans la formation de notre art contemporain, on doit exiger l'organisation des expositions selon une vision contemporaine, et non un tri aux hasards des circonstances, et une nostalgie du « bon vieux temps », cher à un certain orientalisme dégénéré.