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Le centenaire de l'abstraction
Publié dans L'opinion le 05 - 02 - 2010

La première aquarelle abstraite est exécutée en 1910 par Wassily Kandinsky (1866-1944). Depuis lors, l'aventure artistique s'est tendue vers un courant nouveau, l'abstraction, à côté de la figuration contemporaine.
Les inspirations et les origines
D'ailleurs, ce courant abstrait n'a pu être créé qu'au bout des recherches plastiques précédentes effectuées dans le post-impressionnisme, l'expressionnisme le fauvisme, le cubisme et le futurisme. Il faut rappeler, aussi que ces recherches ont été élaborées à partir d'un concept de plus en plus prédominant dans l'art, la science et la philosophie : l'épuration.
L'épuration, à son tour, nous ramène à la synthèse, un autre concept qui est à l'origine de l'évolution de l'art en général, et de sa révolution à partir de la fin du XIX siècle.
Ces deux concepts antagoniques en s'unissant dans une assimilation esthétique, scientifique ou philosophique, révolutionnent la vie des hommes et crée un nouvel équilibre dans la culture et la civilisation. C'est l'invention de l'alphabet, ce par quoi l'écriture s'est épurée, c'est l'invention de la philosophie, ainsi que l'apogée de l'art et de la science en Grèce antique, c'est, également, la conception esthétique et l'apogée de la pensée en terre d'Islam, où a prédominé l'abstraction dans une haute spiritualité. C'est, enfin, l'abstraction moderne et contemporaine qui a libéré l'art de toute réalité extérieure, de toute nature apparente, et qui a voulu créer son propre monde, un monde épuré, où s'assimilent les émotions et les idées.
Les premiers mouvements
abstraits
On peut définir l'art abstrait comme la forme d'art qui exclut toute représentation de la réalité extérieure et conçoit la peinture ou la sculpture comme un agencement de formes et de couleurs susceptibles d'éveiller par elles seules l'émotion esthétique.
Avant la première guerre mondiale, se sont développés en Russie le constructivisme, le rayonnisme et le suprématisme. Cependant, c'est le Néerlandais Piet Mondrian (1872-1944) qui a développé le plus rigoureusement la recherche abstraite d'une simplicité parfaite, réduisant la peinture à trois couleurs pures et les formes à l'angle droit, tout en fondant De Stijl en 1917. Juste après la première guerre mondiale, en 1919, l'abstraction s'est développée en Allemagne, à l'école du Bauhaus. Dans ce développement, l'épuration et la synthèse s'assimilent, selon une conception annoncée par l'architecte Louis Sullivan à la fin du XIXème siècle : le fonctionnalisme.
Entre les deux guerres, cette conception engendre l'abstraction géométrique qui reçoit l'adhésion d'un nombre assez grand d'artistes dans toute l'Europe. Une nouvelle génération prend la relève après la deuxième guerre mondiale, ses représentants connaissent bien les recherches de l'avant-garde. Chez les pures et austères tenants de ce courant dont Vasarely est devenu peu à peu le chef de file, il y a un refus conscient des séductions de la matière.
Travaillant d'après de stricts schémas géométrique, les artistes de ce courant utilisent volontiers le tire-ligne, l'équerre et le compas et organisent leurs surfaces en tracés rectilignes ou les couleurs sont réparties en taches nettes, sans modulation. Cette abstraction épurée va engendrer l'opart, l'art cinétique et le minimal art.
L'abstraction et la guerre
La Seconde Guerre Mondiale a marqué une profonde rupture dans la vie artistique, d'abord par les bouleversements qu'elle a provoquées, et aussi par le reclassement qu'elle a entraîné. On prend conscience que la génération de l'avant-garde est dépassée, les grands artistes du début du siècle sont devenus, désormais, des figures historiques.
Le trait commun à beaucoup de peintures, malgré les contraintes imposés par l'occupation, et surtout dans les années 1950 est la non-figuration. Ils continuent de puiser dans le visible , des signes, des rapports de teintes, ou une émotion. Les expositions se multiplient, et on commence à parler de l'abstraction lyrique, d'informel, de tachisme, de nuagisme.
Les informels, dont Fautrier est le chef de file, ont ressenti le tragique de la guerre et la nécessité de profondes remises en question. L'écriture libre, exprimée par l'abstraction lyrique et le gestuel, attire les jeunes qui refusent l'abstraction géométrique. Cette « écriture », qui varie d'un peintre à l'autre, à ses sources : la calligraphie arabe ou chinoise, les images surréalités ou l'écriture automatique. Dans ces sources, également, ont puisé les artistes américains, en créant l'expressionnisme abstrait, un mouvement qui comprend Coloried Field, Hard Edge et Action Painting.
Dans le monde arabe, à côté de ces mouvements cités, des recherches audacieuses ont été élaborées, depuis des années 1960. Les artistes arabes, en étudiant l'art moderne et contemporain, se sont trouvés plus proches de l'abstraction, géométrique ou lyrique, créée par les novateurs occidentaux. Héritiers d'une grande richesse patrimoniale culturelle, ils s'acharnent, au début, à retrouver leur identité bafouée par le colonialisme, en s'inspirant de ce legs.
Puis, en voulant assimiler les concepts de l'époque, authenticité et modernité, certains d'entre ces artistes ont tendu vers une nouvelle tendance, c'est l'Ecole du signe dont le précurseur est Ahmed Cherkaoui (1934-1967). Cette tendance dynamique englobe plusieurs directions non encore distinctes. Parmi elles, on cite l'introduction des signes et des symboles, l'exploitation de la calligraphique, de la lettre et de l'écriture libre, des motifs géométriques, aussi, ou végétaux, dans l'espace plastique. Les inspirations foisonnent ; les arts propres à la préhistoire et à l'Antiquité, les arts islamiques, les arts traditionnels locaux et les expériences effectuées dans l'art contemporain.
Pour une grande exposition
de l'abstraction
Un siècle est passé. Nous célébrons cette année le centenaire du courant abstrait. Au Maroc, pays islamique avant tout, né dans la symbiose des formes abstraites issue de son patrimoine culturel constitue de trois cultures, africaine, berbère et arabe, en plus de la culture occidentale prédominante dans les temps modernes et contemporains, comment les artistes ont-ils réagi devant cette abstraction venue de l'Europe ? de quelle abstraction se sont-ils inspirés ? Quels sont les moyens d'exploitation employés par les artistes abstraits au Maroc ? Trouvent-ils leur identité dans ce courant révolutionnaire ? Y a-t-il une différence dans l'abstraction entre l'Occident et le Monde arabe ? Cette abstraction au Maroc, continue-t-elle à faire des adeptes, à engendrer des directions ? Quels sont les mouvements abstraits au Maroc ? La tendance de l'Ecole du signe, s'est-elle assimilée à la figuration contemporaine ? Y a-t-il d'autres tendances nouvelles mais méconnues au Maroc ?
Pour répondre à ces questions pertinentes et à d'autres encore, il nous faut un étalage complet des œuvres abstraites les plus significatives, créées par des artistes marocains aînés et jeunes, connus et méconnus, suivi d'un grand débat. Il nous faut organiser une grande exposition nationale des œuvres abstraites, concernant la peinture et la sculpture, et même la photographie, l'affiche, la gravure, la céramique et de le design de produit, des dérivés de l'art, qui s'inspirent de l'abstraction ou réinventent un nouveau langage abstrait.
Cette grande exposition nationale peut s'étaler dans plusieurs salles, comme elle peut être itinérante, afin de permettre au large public de la voie. Cette exposition vise, avant tout, le dialogue, mais elle vise aussi la célébration et la fête de l'art, à côté d'elle, on organise aussi un art en direct, en plein air, des concours et des ateliers pour les enfants et les jeunes qui veulent s'exprimer dans l'abstraction.
Mais ce qui intéresse les chercheurs et les critiques, dans cette grande manifestation artistique, est le débat théorique. Ce débat, grand lui aussi, puisqu'il concerne la théorie et la réflexion, peut s'étaler durant toute l'exposition. Il englobe une série de débats qui puissent répondre aux questions soulevées, des interventions et des rencontres entre artistes et intellectuels.
A travers ce grand dialogue, qui sera publié, on l'espère, dans on ouvrage collectif, les mouvements abstraits engendrés par l'Ecole du Signe et d'autres tendances, seront sans doute déterminés ainsi que les caractères généraux et plastiques de chaque direction. Seulement, ce qui est important dans ce dialogue, qu'on souhaite franc et sincère, c'est de créer une plate-forme qui dynamise l'élan créateur chez tous les artistes et ouvre pour l'art contemporain au Maroc des horizons clairs et lointains.
Nous lançons l'appel à tous les artistes abstraits au Maroc pour participer à cette grande manifestation plastique, et pour dynamiser ce projet ouvert. Nous lançons l'appel, aussi, à tous les journalistes artistiques, à tous les critiques d'art et à tous les chercheurs pour intervenir dans les débats qui l'accompagnent. Pour la même occasion, nous souhaitons l'intervention de la promotion de l'art dans ce projet, un projet qui sera, s'il se réalise, une première dans le monde.
* Artiste-peintre, écrivain-poète.


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