Avec l'éphémérité de l'œuvre, dans la plupart des mouvements contemporains, comme le nouveau réalisme, l'art conceptuel, le happening et la performance, avec son absence même, avec l'anonymat de l'artiste, ne participant souvent qu'avec l'idée et l'initiation, comme dans le mec'art et l'art cinétique, assistons-nous à la mort de l'art ? La mort d'une vision artistique Déjà, en 1965, Abraham Moles écrit avec malaise : « Serions-nous à la fin d'une longue période de mise en question, d'expérimentation et d'essai, qui aurait abouti, à la limite, à une destruction totale de la forme artistique ? L'artiste ne lutte plus avec la matière, mais avec l'idée-ou avec l'administration. Il n'est plus incertain sur sa vie, il est incertain sur le sens de la vie. Il ne fait plus d'œuvres, il fait des idées pour faire des œuvres... Il ne décide plus, il expérimente, il corrige, il améliore ». Je ne comprends pas pourquoi on parle de la mort de l'art, dès qu'il y a un malaise dans la culture ou dans la civilisation. Puisque l'art est créé comme liaison et équilibre entre la religion et la science, au lieu de l'accabler de tous les reproches, dès qu'une crise s'annonce, en bouc-émissaire, on doit penser aussi à la mort de la connaissance, de la science, de la religion, de l'éthique même. Ne comprend-on pas que les facultés, comme l'expression, l'imagination et la pensée, nées avec l'homme, ne s'achèvent qu'avec la disparition de son espèce ?! Certes, certaines facultés, nées ou acquises, peuvent se rétrécir ou s'accroître, selon les besoins et les horizons de l'homme dans son environnement et son époque, mais ne jamais s'éteindre. Depuis Hegel, on n'a cessé de prédire la mort de l'art, surtout avec l'invention de la photographie, puis de la télévision et de l'ordinateur. Ce qui meurt surtout, c'est une vision artistique valable pour une époque, mais qui ne peut plus s'adapter à une nouvelle époque. L'art reste toujours vivant, évoluant dans sa destinée, s'aventurant dans des voies inconnues, aspirant à un nouvel idéal. Le véritable sens de la vie Comme l'a médité Hegel, la création dépasse la pensée, en l'orientant vers une voie nouvelle, vers un horizon nouveau. La destinée de l'art est d'être l'étincelle de toute connaissance nouvelle. Seulement, cette création jaillie de l'intuition, n'est jamais née du néant, mais résulte de tous les agissements du lieu et du moment. Ainsi, toute création répond aux besoins de l'homme, de l'environnement et de l'époque, comme l'invention scientifique et technique. Seulement, la création répond aux besoins cachés de l'homme, propres au sentiment et à la raison, à la fois, optant pour la recherche de la vérité et du spirituel, dans une assimilation esthétique propre au milieu et au moment. Comme on peut le constater, la destinée de l'art est en relation directe et profonde avec le milieu et l'époque qui l'ont engendré. Le XXème siècle est un siècle de mutation, dont la première moitié est passée dans des guerres sanglantes, dans des horreurs inhumaines, reconstituant la carte du monde, avec ou sans raison, bouleversement les identités et les cultures. Sa seconde moitié est passée dans l'extinction du colonialisme et les libertés acquises dans plusieurs domaines ; mais elle est passée aussi dans des guerres froides dans des conflits idéologiques et des convoitises sauvages, qui nous malmènent encore, dans cette première moitié du XXIème siècle. Ne s'agit-il pas, dans cette période longue de plus d'un siècle, avec les mentalités qui s'entrechoquent et les idéologies qui s'affrontent, de la recherche d'un « vrai sens de la vie » ? En parallèle à cette recherche encore mal déterminée, la révélation ou la sublimation de « l'anxiété métaphysique », que nous avons pu déceler dans l'art contemporain, ne cesse de s'exprimer et de se manifester dans l'œuvre, refusant ou glorifiant l'ordre établi. Une œuvre, pour la plupart des cas, éphémère ou anonyme. Une esthétique nouvelle Après l'époque de la subversion, du regard intérieur et du délire ou des grandes utopies, vient l'époque des contestations éphémères qui ne blessent plus, et les intégrations de l'art dans la vie industrielle, éphémères aussi et qui n'émeuvent plus. Les horreurs présentées à la télévision et dans l'internet, et les réalisations scientifiques, dépassent par leur ampleur, toutes les performances et tous les jeux électroniques des imitateurs. Nous sommes encore dans un monde d'expériences artistiques ; nous assistons à des manipulations, à des bricolages et à des tâtonnements, dont certains n'ont rien à voir avec le phénomène artistique. Mais dans ces entreprises, on perçoit tout de même une esthétique nouvelle qui se formule. Cette nouvelle esthétique, propre à notre milieu et à notre époque, s'éloigne de plus en plus de la Beauté formelle traditionnelle, tendant vers un nouvel équilibre des contrastes, vers la recherche et l'élaboration de nouveaux concepts propres à nos « besoins cachés ». Avec les projets artistiques qui tendent en général vers le spectacle et l'intégration, vers un esprit de synthèse plus ordonné, voué à la communication, la galerie et le musée ne sont plus conformes aux manifestations artistiques et culturelles, ne servant encore qu'à protéger les traces du passé et la nostalgie d'un art qui s'agrippe à la modernité, avec un esprit passéiste paralysé par ses crises. Avec l'autonomie de l'art et sa liaison étroite avec les autres formes de la culture, avec la foule émancipée qui participe aisément dans la création, on est à la recherche d'autres espaces conformes aux activités de l'art, plus ouverts mais moins chaotiques, orientés vers le brassage des cultures, l'égalité des races et la tolérance des croyances. Gérés par la liberté consciente et le dialogue, ces trois concepts cités sont essentiels pour tout programme culturel, pour toute démarche artistique, pour le bourgeonnement même de toute esthétique nouvelle.