Avec l'entrée des impressionnistes, à côté de l'Art nouveau, dans l'Exposition Universelle de 1960 à Paris, tout semblait entrer dans l'ordre. Rien ne permettait de prédire qu'une époque tourmentée par ses contrastes violents, joyeuse et désespérée à la fois, comme l'humanité trouble exprimée par son dernier peintre de génie, Toulouse-Lautrec, jetant là ses derniers feux. Une autre époque naissait, plus violente que la précédente, penchée, toutefois, sur la raison et la méthode. Mais elle débutait par l'expression et le retour aux sources. Le retour aux sources Malgré les aspects disparates des évènements qui se précipitent dans cette nouvelle ère, plusieurs traits communs s'établissent durant les années qui suivent, se distinguant par une grande curiosité pour les origines de la connaissance, constituant ainsi des tendances, comme le retour aux sources, primauté de l'expression et de l'instinct, besoin de simplification et d'épuration, volonté de puissance et exaltation du sentiment national. Ce retour aux sources locales, penché sur le folklore, que se soit en musique ou en littérature, s'est accompagné des emprunts fragmentaires des arts primitifs et préhistoriques, des civilisations préhelléniques ou médiévales, méconnus ou sousestimés, comme si l'esprit européen, assourdi par le vacarme machiniste, recule en arrirèe pour mieux comprendre le monde et agir avec raisonnement. L'ethnographie s'est constituée en tant que science ; avec la découverte du premier fossile d'Homo erectus en 1891, on s'intéresse encore plus à la Préhistoire ; des érudits, à l'instar de Winckelmann, se préoccupent, dans leurs études, à mettre en valeur les divers aspects des cultures disparues et à élargir le champ de l'histoire de l'art. Dans les musées et les manuels, une place importante est donnée aux arts primitifs et barbares, supplantant la grande valeur offerte à l'art classique. Ce désir de revoir l'histoire et la nature touche les hommes de science, les artistes et les écrivains, aboutissant à des conclusions semblables : refus des apparences et négation de la réalité trompeuse qui se dérobe et n'offre que le trouble. Tandis que les psychologues, comme Janet et Freud se penchent vers l'exploration du monde intérieur, les artistes s'aventurent dans le monde primitif, tendant vers le déchaînement lyrique, voulant retrouver la pureté et la force sauvage libérées par les instincts et la passion. Les sources picturales Deux tendances apparaissent en 1905, l'une en France, l'autre en Allemagne, les deux créant les premiers mouvements artistiques au XXème siècle. Il s'agit du fauvisme et de l'expressionnisme. Ces deux mouvements prennent leur soucre apparente dans l'Art nouveau, ainsi que dans les aspects expressifs de l'œuvre de Van Gogh, et primitifs de celle de Gauguin. La nature des Germains tend vers l'expression. Dans les romantisme allemand, on distingue cette primauté du tempérament germanique, violent et rude, manifestée dans la représentation dramatique de la nature du nord, hostile et austère. Mais les deux mouvements, le fauvisme et l'expressionnisme, puisent leurs sources profondes dans le primitivisme de l'Océanie et de l'Afrique noire. L'impact des arts primitifs est considérable sur la plupart des mouvements d'avant-garde du XXème siècle, dans une époque épuisée déjà par son machinisme troublant orienté par la civilisation industrielle, mais assoiffée d'une liberté jaillissante mal orientée après le romantisme. Le culte de la solitude Dans l'expressionnisme, les formes deviennent bizarres et fantastiques, annonçant déjà l'abstraction lyrique et le surréalisme. Derrière l'apparence visible d'une figure, rôde sa caricature. Une vie spectrale et inquiétante, présidant les effroyables guerres à venir, règne entre les formes qui se dissolvent et qui émèrgent dans les eclaboussures de couleurs criardes, dans une métamorphose grotesque. Edvard Munch et James Ensor, Ferdinand Hodler et Van Gogh sont possédés d'un désir incessant de représenter « un réel dénaturé et rehaussé en irréel ». au fond de l'expressionnisme, dont ces artistes hantés par l'idée de la mort, sont les véritables précurseurs, on remarque le culte de la solitude. Deux groupes d'artistes se sont distingués dans l'élaboration de ce mouvement qui s'exprime avec toute la sauvagerie de l'être : Die Brücke (le Pont) à Dresde, et Der Blaue Reiter (le Cavalier bleu) à Munich. Le premier groupe est connu, entre autres, par Emile Nolde, un tempérament primitif, entraîné dans son amour de la sauvagerie jusqu'en Nouvelle Guinée, tendant vers les simplifications brutales dans ses œuvres. Le second groupe est orienté par le Russe Wassily Kandinsky, créateur du courant abstrait, qui, avec son ouvrage « Du Spirituel dans l'art », a pu discerner « la nécessité intérieure » propre à tout art. Les fauves En même temps que l'expressionnisme, le fauvisme est révélé à Paris par son scandale manifesté au Salon d'automne de 1905. Il a donné l'impression d'une irruptioon de fauves dans le monde artistique, encore enivré par le superficiel de l'Art nouveau. Ce mouvement rassemble des groupes divers, unis par l'amitié et la technique Matisse, son chef de file, juxtapose les aplats de couleurs pures, tendant vers un art d'équilibre et de purté. Mais Friesz a su concevoir une définition valable : « Donner l'équivalent de la lumière solaire par une technique faite d'orchestrations colorées. Transposition passionnelle ayant pour point de départ, l'émotion sur nature, dont les vérités et les théories s'édifièrent par des recherches ardentes et dans l'enthousiasme ». Comme Van Gogh, les peintres fauves aspirent à des couleurs intenses pouvant traduire leur émotion. Ainsi, ils préfèrent les tons purs, foçant les contrastes pour exalter l'expression. A l'instar de Gauguin, aussi, ils appliquent ces couleurs ardentes par grosses touches ou par larges bandes, avec une frénésie sauvage, propre aux primitifs océaniens. Dans l'art comme dans leur façon de vivre, ils veulent renier le passé avec lois dégénérés, voulant s'affranchir des règles, en devenant purs et naïfs, comme des sauvages, et recontruire leur monde selon leurs désirs. Ainsi, ils se sont détournés de la civilisation, pour s'énivrer de l'art simple mais sauvage, découvert par Gauguiin, voulant retrouver la pureté de la couleur intense. En face du dandysme de certains artistes et du conformisme bourgeois chez d'autres, ils affichent une liberté agressive, tirant gloire de leur misère et de leur attitude de bohème, fréquentant les bistrots de Montmartre, tout en créant, avec la mort de Modigliani, la mode et la légende du « peintre maudit ». L'unité du fauvisme se disperse après trois ans. Seul Matisse continue à chercher un style loin des conceptions du début, mais tendant vers l'épuration de la couleur. Comme Cézanne avant lui, selon Matisse, l'art ne doit pas enregistrer seulement les sensations fugitives, ni s'orienter vers l'éphémère, mais exprimer un « sentiment presque religieux à l'égard de la vie », un art de l'esprit, possédant un caractère de permanence et de sérénité.