Inévitablement, il pleut de plus en plus de technologie. La technologie colle intimement à la peau, electronise l'imagination, se mêle aux vitalités mêmes ; elle mouille intelligemment l'architecture des âmes. Le dispositif s'érige en maitre à penser de la géographie des mémoires. Les doigts excitent la technologie, consument tactilement des jours et des nuits, les rythmant à l'image d'un tapis roulant. Le Mob médite les sambas technologiques, les sambas de vivants de plus en plus mécaniques, capture des spectacles sur l'écran social, descripteur quotidien. L'être portable photographie les récits, pêle-mêle de l'existence, repousse les défaillances au plus loin des profondeurs inaccessibles de la mer. Au gré de l'exploration des existences, il boucle, signe les handicaps d'origine technologique et ceux du temps, les épelle à voix basse dans des espaces virtuels si lointains de la terre. Le Mob ne compte pas la vie. Ni jours ni nuits, plaisir ou grises mines, non plus. Il compose, musicalise aux tons des épices orientales, ses brûlants mektoubs, tranquillement à l'ombre. Oui, le Mob ne se soustrait pas, s'en tient à son destin. Le portable s'oublie dans les foins, couvant chaudement les mots, se fond dans la sémantique des masses, masse sociale ou celle soumise aux tendresses technologiques en ligne. Il rêve de cascades, de cascades aux larmes d'écriture romantique, d'images nourries de substances d'exception. Il aspire aux douces mascarades que dansent des sensations qu'inspirent les films de fiction long métrage, aventure en couleur. Il aspire à effleurer les écumes brillantes en velours, aux fraicheurs océaniques, gouacheuses de fresques souvenirs. Il rêve de finir sur un divan vertigineux tapissé d'encyclopédies humaines, infinies... Loin de là, pas si confuse la vie, allure plus souple, pratique à manipuler, maintenant charriée par l'intelligence artificielle. Le rouage du temps parait seulement plus complexe à cogiter ou à gérer. Le temps est objet de jeu, une balle de ping-pong à «ping-ponguer» habilement. La technologie du Mob cherche à accommoder, à décolleter les ombres, épauler la gestion des âmes. Au besoin, elle transporte au plus haut des cieux, importe à vos pieds vos plus chères sensations ou vos mondes. LE MOB NE LACHE PLUS PRISE ! Plus commode, plus pratique cette vie. Plus pimentée ou frissonnante, pourtant, que tout autre substance, le temps est banalement consommé. Le temps est, bel et bien, techniquement sceptique, vibreur de bien ou détracteur des âmes. Il enchante, ravage, par ailleurs, impitoyablement d'autres biens, des attachements, de multiples affections. Une vie, semeuse de nombreux et intenses changements, étonne et ruine à la fois des traces, secrète de plus chères empreintes, pieds à terre, des amours de l'histoire. Les effets du séisme électronique, de ce nouveau tournant, altèrent bien des choses que le Mob a souvent regrettées amèrement. Il ne se reconnaît plus dans les nouvelles odeurs et le dit hautement publiquement : -J'ai perdu le parfum de la verdure de la menthe fraiche. Je ne vois plus de grand-mères bercer de comptines, câliner les marmots de leur progéniture. Les enfants s'éloignent, déficients du contact de la peau fiévreuse de leurs racines. Désormais, ils méconnaissent la culture affective, ils grandissent dans la tendresse technologique. Ils larguent leur milieu, leurs racines. Le Mob ne lâche pas prise, il s'imagine les personnes âgées universellement. - Aujourd'hui, les grands-mères sont lâchées, en des lieux spécialisés, elles apprennent à somnoler longuement et tranquillement, loin à l'abri des regards publics, des autres vivants. Elles finissent le reliquat de leur existence dans le calme et la douleur de leur mektoub, en des iles urbaines ou lointaines. Elles sont contraintes de se formater, se réformer, enfin de se reprogrammer. Pour s'acclimater au nouvel air du temps, elles s'obligent à s'adapter à leur immobile quotidien, à une nouvelle vie. Beaucoup regrettent d'avoir existées. Rien ne les incommode, elles trébuchent sereinement, ignorées dans l'oubli. De belles maisons spécialisées rien que pour elles. Normal, elles sont en âge avancé, dépassées socialement. Elles creusent les tirelires officielles. Économiquement, elles ne sont plus rentables, considérées et se considérant comme inutiles. Elles ont fini de donner, maintenant elles doivent payer. -J'affirme encore. Je n'aperçois plus personne porter cuire le bon pain au four collectif du quartier, sinon de plus en plus rarement, ni des bains maures qui chauffent au feu du bois. Les fines silhouettes au féminin, amollies d'henné appétissant, sculptées par l'empreinte du temps, ne sont plus que de faux visages habilement émaillés, aux silhouettes faussées, sophistiqués. Cela ressemble à une rupture de stock. On ne déniche plus non plus les délicates mains d'artistes au féminin tissant tendrement des couvertures aux douces laines, des tapis colorés ou affectionnés de lueurs de soie. Tout se procure en prêt à porter, à crédit. Dieu merci, le monde est comblé de commodités. Dans les grandes surfaces rien à discuter, tout est numérisé. En cas de besoin, adressez-vous aux rayons, aux raides étalages métalliques, ou allez parler de vos déboires, raconter au diable, vos larmes technologiques !