Effet buzz garanti, dissémination éclair sur la Toile et dans les esprits, la flashmob envahit nos vies. Si vous voyez des dizaines, des centaines ou même des milliers de personnes faire quelque chose d'«insolite» dans la rue, ne prévenez pas tout de suite la police ou l'hôpital psychiatrique, vous assistez simplement à une flash mob. «Rendez-vous ce soir à 19h, apportez vos parapluies.» Un signal (e-mail ou SMS) vous informe d'un rendez-vous pour le moins étrange. C'est nouveau, ça vient de sortir ! C'est un «flash mob», une mobilisation éclaire. Des personnes qui ne se connaissent pas se rencontrent pendant quelques minutes pour des actes absurdes «les mobs projects». A New York une petite foule rentre dans une boutique rapidement et en sort. A Rome, sur une place, un groupe mime des visiteurs d'une librairie imaginaire. À Paris, une centaine de personnes sous la pyramide du Louvre se couche par terre, pendant quelques secondes. Des appels indépendants, ludiques, initiés et réalisés dans l'anonymat, incontrôlés, à l'image d'une nuée de papillons. Le phénomène ne serait pas aussi futile qu'il paraît, si on en croit Howard Rheingold, personnalité fameuse du monde numérique (l'un des éditeurs de Wired), auteur de «Smart Mobs - The Next Social Revolution». Rheingold parle de foules intelligentes ou smart mob. Rheingold s'intéresse plus particulièrement aux implications sociales des technologies. C'est à Tokyo en 2000 qu'il découvre le phénomène du «texting», ces utilisateurs de téléphone qui communiquent par SMS, «signe avant-coureur de changements plus profonds dans les dix prochaines années», écrit-il. D'après lui, c'est la prochaine révolution sociale ! Revolution over the air Certes, le principe de performance n'est pas nouveau, on pense aux happenings artistiques nés dans les années 50/60, œuvres d'art vivantes et éphémères. Mais les technologies renouvellent le genre apportant l'instantanéité : e-mails, SMS, messagerie instantanée, blogs, wiki, chats. Les mobbers se réapproprient l'espace publique. Urbains et très branchés, les «sans fils» s'amusent en inventant le bouche à oreille électronique (les «off line» sont par définition exclus). En quelques minutes, des appels peuvent rebondir de téléphone mobile à téléphone mobile. Cet été, l'industrie du cinéma américain en a fait les frais. Dès la sortie des salles, les ados cassaient plus vite que leur ombre la réputation d'un film avec des SMS assassins : «c nul !» Certaines productions ont vu leur déclin accéléré par ces transmissions instantanées au grand dam des studios. Il y a des flash mobs pour tous les goûts, certains plus «smart» que d'autres ! Car après tout, le «smart mob» est un concept en copyleft qui appartient à tous, et d'autres tribus vont s'en saisir. Il y a les amuseurs qui ne veulent que du fun et les autres, les poètes, artistes ou protestataires. L'émergence prochaine des smarts mobs symboliques et poétiques ne saurait tarder. Car les genres ne peuvent que fusionner : smart mob + performance artistique ou smart mob + RTS, smart mob + BookCrossing, smart mob + sit in ? Même les anti-flash mob existent ! Le principe du non-événement consiste à non pas réunir des foules, mais en appeler à l'absence de gens dans certains lieux publics pendant quelques minutes, le vide au lieu du plein… Les actions contestataires peuvent également être ludiques ! Convivialité, politique et non-violence sont les mots-clés de cette génération d'activistes en pleine éclosion. Côté happening engagé, citons quelques exemples : contre la téléréalité, un groupe a lancé un acte de résistance artistique face au mur d'enceinte du premier Loft Story. Imaginez des musiciens s'organisant en smart mob et des cyclistes se regroupant pour militer pour l'écologie. Depuis dix ans en Californie puis dans l'ensemble des Etats-Unis, des militants écolos ont lancé le mouvement Reclairn the Streets (RTS) ou Critical Mass, afin de reconquérir les rues, des cyclistes se rassemblent en masse en opposition aux voitures. L'arbre qui cache la forêt Les vidéos qui circulent suite à ces flash mobs sont bien plus que de simples anecdotes ludiques. On rêverait d'un rassemblement véritablement spontané et désintéressé, mais la majorité des flash mobs est organisée dans un but mercantile. Les producteurs de «I Gotta Feeling» des Black Eyed Peas ont eu le nez fin et une vaste ambition. A l'occasion du concert du groupe donné pour la 24e saison du talk show d'Oprah Winfrey, les 20 000 fans ont entamé les mêmes gestes au beau milieu de Chicago. Un effet bœuf qui donne des frissons, un rassemblement sacré «plus grande flash mob du monde», des vidéos qui explosent les records de visionnage. Un coup de pub sans précédent, animé par une armée de bénévoles. Mais au-delà des buts mercantiles ou humanitaires, toutes ces flash mobs révèlent une envie d'être ensemble aux antipodes de l'individualisme et du nombrilisme ambiants. Sur le marché du buzz depuis plus de quatre ans, elle a eu le temps de se décliner en des formes aussi variées qu'originales : chute soudaine, chant entonné par tous, l'espace de quelques secondes, mise à nu des participants, immobilisme total. Alors que le lip dub reste confiné entre les murs d'une institution ou d'une société et n'intéressera que les collègues, la flash mob est à destination de tous en investissant l'espace public. Quand «X-Factor» ou «La Nouvelle Star» prétendent dénicher un talent artistique, l'attention médiatique se porte sur l'ego alors que la flash mob célèbre l'union de la diversité. En bref, la flash mob est devenue l'expression d'une volonté de se réapproprier l'espace public à plusieurs, dans une tentative d'être ensemble mise à mal par l'entertainment actuel qui privilégie l'acte individuel et égotiste. Un signe plutôt positif, finalement. Yassine Ahrar Le Maroc aime le freeze Dimanche 6 mars 2011. Il est 17 heures tapantes sur la grande horloge de la poste centrale de Rabat, lorsque des centaines de jeunes se figent pendant quelques minutes, comme pétrifiés par une force invisible, faisant, pour certains, le «V» de la victoire. Les rassemblement spontanés ont la cote au Maroc et servent autant les marketiciens que les activistes. Depuis 2008, les mobbers marocains utilisent facebook comme courroie de transmission pour des happenings. Certes, ils sont moins médiatisés qu'ailleurs, mais ils détonnent par une belle capacité à rassembler le citoyen lambda pour dire que ça va trop vite, ou trop lentement, ou simplement croquer du biscuit.