Le temps de l'indifférence des voisins du Nigeria face à la menace Boko Haram est révolu et le principe d'une riposte régionale contre la secte islamiste se renforce chaque jour davantage. Alors que le Tchad a déjà envoyé ses soldats batailler au Nigeria, au Cameroun et au Niger, officiers et diplomates africains et occidentaux se sont concertés à Yaoundé, la capitale camerounaise, pour élaborer les contours d'une Force multinationale mixte (FMM). A l'issue de trois jours de discussions, ceux-ci se sont accordés, samedi 7 février, sur le principe d'une force de 8 700 hommes dont le mandat sera notamment de « créer un environnement sûr et sécurisé dans les régions affectées par les activités de Boko Haram et d'autres groupes terroristes ». Toutes les conclusions de la réunion n'ont pas été rendues publiques mais, selon des sources concordantes, le Nigeria et le Tchad se sont dits prêts à mobiliser chacun entre 3 200 et 3 500 soldats, policiers et civils dans cette FMM. Le Bénin, le Cameroun et le Niger devraient pour leur part contribuer chacun à hauteur de 750 hommes. Les questions de financement et de budget n'ont pas encore été tranchées, et les politiques et les organisations internationales (Union africaine et ONU) doivent encore approuver ces propositions, mais il est d'ores et déjà acquis que le quartier général de cette force sera basé à N'Djamena, la capitale tchadienne, et que le commandement sera tournant entre les cinq pays contributeurs. « Nous nous sommes fixé jusqu'au 30 mars pour que la force soit opérationnelle mais nous n'allons pas rester les bras croisés en attendant », prend soin de préciser un officier camerounais, dont le pays connaît ces derniers mois une intensification des attaques de Boko Haram. Opter pour une solution régionale Plutôt que d'envisager la création d'une force africaine sur le modèle de l'Amisom, la mission qui opère en Somalie, les experts représentés à Yaoundé ont finalement opté pour une solution régionale en réactivant la force embryonnaire placée sous l'égide de la Commission du bassin du lac Tchad, à laquelle vient s'ajouter le Bénin. « Cela n'empêchera pas chacun des participants de signer des accords bilatéraux avec d'autres pays », admet le Capitaine de vaisseau camerounais Emmanuel Miss, alors que l'Ouganda s'était proposé quelques jours plus tôt d'envoyer des troupes au Nigeria. Si les soldats tchadiens ont déjà franchi les frontières du Nigeria, et si le Parlement du Niger s'apprête à autoriser, lundi 9 février, ses militaires à faire de même, le principe de cette force permettra de régler la question du droit de poursuite dans la lutte contre Boko Haram, alors qu'il n'existe aucun accord sur ce point entre Abuja, la capitale nigériane, et Yaoundé. Les soldats intégrés à cette opération pourront donc se déplacer dans l'ensemble des pays concernés sans requérir d'autorisation. Sur le plan stratégique, l'objectif avoué des militaires de la région est de prendre en étau les combattants de Boko Haram avec des soldats tchadiens descendant progressivement vers le sud pendant que l'armée nigériane remontera vers le nord de l'Etat de Borno. Les autres forces seront quant à elles chargées de bloquer les frontières pour empêcher les djihadistes de se disséminer dans les pays voisins. Jusqu'à quel point l'armée française participera-t-elle à cette lutte ? François Hollande a précisé, lors de sa conférence de presse du 5 février, que « la France soutient de façon logistique ; elle soutient de façon opérationnelle, en fournissant en carburant et parfois en munitions les forces africaines qui luttent contre le terrorisme ». Selon une source à l'Elysée, Paris, avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, fournit également des renseignements obtenus par des moyens aériens et satellitaires aux pays de la région. Par ailleurs, l'état-major français a reconnu la semaine passée qu'une quinzaine de soldats ont été envoyés à Diffa, dans le sud-est du Niger, afin d'effectuer également du travail de renseignement. Extrêmement réticentes jusque-là à toute intervention régionale, les autorités nigérianes ont finalement changé d'attitude. « Lors des discussions, ils ne se sont opposés à rien, mais on voyait que les Nigérians étaient plus préoccupés par leurs élections que par Boko Haram », raconte un diplomate présent à la réunion de Yaoundé. Et pour cause, l'action militaire en cours contre les insurgés islamistes a servi d'argument au président Goodluck Jonathan et au parti au pouvoir pour faire retarder de six semaines les élections générales, initialement prévues le 14 février.