L'une des recommandations du Conseil Consultatif des Droits de l'Homme (CCDH) reprises par le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) est celle relative à l'appel pour la réhabilitation des cimetières au Maroc. Au cours des investigations sur les violations graves des années de plomb, il a été relevé l'état dégradé des cimetières, la caducité du régime réglementaire de gestion dont ils bénéficient et les multiples défaillances qui les entachent. Cette situation a de lourdes et négatives retombées sur les droits de respect et de dignité dus aux morts, avec profanation de sépultures et des cimetières souillés d'ordures etc. Aucune étude sur l'état des lieux de ces cimetières n'avait été effectuée dans le passé. Le CCDH confie un premier travail de déblaiement du terrain à un chercheur. Ce travail de ce fait s'avère pionnier. Le résultat de cette recherche rédigée en arabe a été publié par les soins du CNDH (éditons la Croisée des Chemins, Casablanca). Il s'agit d'un premier diagnostic des cimetières au Maroc lequel s'avère un constat très négatif sur la situation de ces structures dans les villes et campagnes. L'auteur de cette enquête, Jamal Bammi (lire entretien ci-contre) est anthropologue, spécialiste en Botanique et Ecologie végétale et chercheur en sciences sociales. Dans le travail descriptif, l'auteur dresse un tableau bien sombre des cimetières. Il s'agit, bien entendu, faut-il le souligner, des cimetières musulmans, car les cimetières chrétiens et juifs sont bien entretenus souligne l'auteur. Le constat alarmant est d'une « situation de dégradation sans précédent » à tel point que des tombes de leaders nationalistes sont profanées comme ce qui est arrivé au cimetière des Moujahidine de la ville d'al-Hoceima au Nord du Maroc, un cimetière qui abrite les tombes de nombre de nationalistes, en partie ceux qui avaient combattu le colonialisme espagnol à côté de Abdlekrim Khattabi dans les années vingt du XXème siècle. Parmi les tombes profanées celle du frère de Abdelkrim enterré en 1968. De même des cimetières historiques avec des tombes de rois dont celle d'Aboul Hassan le Mérinide dans le site de Chella à Rabat ou encore la tombe du roi de Grenade, Abdellah Ben Blologhine à Aghmat près de Marrakech. L'auteur affirme avoir fait le constat de ces faits personnellement. Violation de sépultures, atteinte à la sacralité des tombes avec les déchets jetés réduisant le cimetière en dépotoir, la dégradation des murs d'enceinte, la consommation de drogues et de boissons alcoolisées parmi les tombes, voire même des personnes qui s'adonnent à des ébats sexuels. Parmi les faits graves le cas de violation de sépulture au cimetière de Salé où le cadavre d'une fille, exhumé par deux individus pour en abuser sexuellement, avait défrayé la chronique. Les cimetières souffrent d'absence d'eau, d'éclairage public, le mur d'enceinte souvent inexistant, peu élevé ou effondré de vétusté, d'absence de gardien désigné par les collectivités locales, ceux qui existent sont des volontaires qui vivent de l'aumône des visiteurs, les ouvriers s'activant dans le creusage des fosses travaillent de manière anarchique, les cimetières sont des espaces où l'insécurité règne, les déchets tendant à faire de cimetières de véritables dépotoirs avec des odeurs nauséeuses, des cimetières sont dépourvus d'allées, l'accès vers les tombes est entravé par les broussailles et les mauvaises herbes du fait de l'absence totale d'entretien. La responsabilité est engagée des collectivités locales, des conseils élus avec aussi celle des délégués du ministère des Habous et des Affaires Islamiques appelé à protéger ces lieux sacrés du point de vue religieux contre toute agression. Sont concernés aussi les ministères de l'Intérieur et de la Culture celui-ci pour les sites funéraires historiques. Cette multiplicité de responsabilité serait en partie à l'origine de la situation des cimetières. Parfois l'argumentation vire un peu à de l'autodénigrement quand l'auteur compare la gestion des cimetières musulmans à celle des cimetières chrétiens ou juifs dans différentes villes marocaines, ou pire encore quand il déclare que « les cimetières musulmans se portent mieux quand ils sont gérés par des non musulmans » en citant le cas du cimetière de Mellilia comparé aux cimetières de Nador, Sidi Salem et Issebane. L'un des traits positifs relevés, c'est la gestion des cimetières dans les oasis surtout de Draa où les traditions de respect et de vénération des lieux de sépulture sont tellement ancrées dans les mœurs que toute atteinte à ces lieux est condamnée sévèrement par le bannissement des contrevenants qui sont chassés de la tribu sans autres formes de procès, avec leurs familles. Il en découle que le cimetière est entouré de respect et de soins très particuliers. Un respect relatif peut être observé dans les cimetières de campagnes où se trouve un mausolée de saint vénéré par la population. On ne s'y attendrait pas mais le cimetière Alghoufrane à Casablanca serait le seul au Maroc équipé de manière permanente en eau et électricité. Dans les autres cimetières on fait usage de puits ou de citerne. Tout un chapitre est consacré au cimetière Aghoufrane présenté comme un modèle. C'est une association qui le gère. Ouvert le 31 juillet 1989 avec une superficie de 135 hectares, il est doté d'un jardin bien entretenu. Par ailleurs plus de 6000 arbres ont été plantés dans le cimetière. Il reçoit entre 25 à 40 dépouilles par jour, 750 à 1000 par mois et environ 10.000 par ans. Depuis son ouverture à 2010 ce sont 131.839 dépouilles inhumées. L'ouverture de ce cimetière est intervenue après saturation des anciens cimetières de la ville de Casablanca. La saturation des cimetières et le retard d'aménagement de nouveaux sont parmi les plus graves problèmes relevés dans l'étude, entraînant une pression sur les anciens cimetières avec inhumation entre les tombes, sur les allées voire inhumation par superposition sur les anciennes tombes etc. D'après une estimation non officielle, les besoins d'espaces d'inhumation augmentent de 60 hectares par an au niveau national. Des recommandations et des propositions sont avancées comme la mise en action des lois relatives à la maintenance des cimetières, création de cimetières pilotes dans les régions, création d'une instance chargée de l'aménagement de l'environnement écologique des espaces des cimetières, création d'associations de maintenance et de propreté de cimetières, proposition aussi de création d'une journée nationale des cimetières chaque premier vendredi du Ramadan etc. L'idée globale de l'ouvrage c'est que pour sauver les cimetières de leur état déplorable actuel, tout en garantissant respect et dignité aux morts, il faut les intégrer au tissu urbain pour ce qui est des cimetières des villes pour qu'ils puissent trouver leur utilité en tant « cimetières paysages ». C'est-à-dire des lieux de végétation, de verdure, de détente où l'on puisse se promener en toute sécurité en plus de la visite rituelle des tombes des proches. Or leur situation actuelle c'est d'être mis à la marge comme des no man's land d'où le grave état d'abandon et de négligence constaté. Pour le monde rural il s'agirait de protéger les cimetières comme des sites écologiques.