Depuis le 21 octobre 2003, où une soixantaine de tombes sont profanées à coups de battes de base-ball dans le carré musulman du cimetière de Thiais (région Île-de-France), les actes de dégradation des cimetières n'ont cessé d'augmenter en France. Il y en a eu 119 en 2006, 144 en 2007, et 110 pendant les huit premiers mois de l'année 2008. Autrement dit, il se produit pratiquement une profanation tous les deux ou trois jours. «Dans un cas sur huit, il s'agit de profanation à caractère raciste, visant des tombes juives ou musulmanes», selon Jean-Frédéric Poisson, député UMP et rédacteur avec André Flajolet d'un rapport sur les violations de sépultures en France, rendu public le 11 décembre 2008. Lorsqu'elles touchent des tombes musulmanes et juives, les actes de profanation suscitent l'émoi et l'indignation des hommes politiques et des associations. Car, ces actes sont souvent perçus non seulement comme une atteinte à la mémoire des morts pour la France, mais surtout comme une négation de la place des composantes juive et musulmane dans la société française. De ce fait, ils sont assimilés à des actes racistes, antisémites et xénophobes. Mais l'indignation généralisée que suscitent souvent de tels actes, s'arrête hélas aux frontières de la communication des responsables politiques français. Car, lorsqu'il s'agit de la question de la place du fait musulman dans sa globalité au sein de la République, l'attitude des pouvoirs publics reste pour le moins frileuse. Profanations : état des lieux d'une mort du respect Le rapport dresse un état des lieux pour le moins édifiant. Il établit divers constats. Le premier consiste en une “banalisation'' des actes de profanation. Ainsi, le 5 avril 2004, quatre tombes musulmanes et une sépulture juive sont profanées au cimetière militaire de Cronenbourg, près de Strasbourg. Le 14 juin 2004 à Strasbourg, plus de cinquante tombes musulmanes sont profanées par des inscriptions néonazies. Sur un mur placé derrière les tombes, est découvert un appel au meurtre contre le Président du Conseil régional du culte musulman, Abdelhaq Nabaoui. Le 24 juin 2004 à Haguenau (banlieue de Strasbourg), des inscriptions néonazies sont retrouvées sur une cinquantaine de sépultures musulmanes d'un cimetière militaire. Le 6 août 2004, quinze tombes musulmanes sont profanées par des inscriptions néonazies dans le cimetière militaire de Cronenbourg. Le 19 avril 2007, 52 tombes du carré musulman du cimetière militaire Notre-Dame-de-Lorette près d'Arras sont souillées d'inscriptions nazies. Le 6 avril 2008, 148 tombes du cimetière militaire Notre-Dame-de-Lorette sont recouvertes d'inscriptions injurieuses visant directement l'Islam et la garde des Sceaux Rachida Dati. Le 8 décembre 2008, plus de 500 tombes musulmanes du même cimetière sont profanées. Sur une période de quinze ans néanmoins, le phénomène de profanation «paraît relativement stable, même s'il semble en hausse depuis le début de l'année 2008». Les violations de sépultures à caractère raciste ou antisémite, représentent entre 15 et 20 %. Outre le fait que «Les auteurs de délits dans les cimetières sont dans la très grande majorité des mineurs ou de très jeunes adultes, qui agissent à plusieurs», les rédacteurs du rapport notent l'augmentation d'actes de profanation à caractère crapuleux (vol de métaux ou d'objets religieux, notamment les vols de mobilier en bronze). Le deuxième constat fait état d'un incompréhensible “laxisme'' des tribunaux à l'égard des personnes impliquées dans des actes de profanation. Le rapport révèle que les peines prononcées par la Justice à l'encontre des personnes coupables d'actes de profanation sont moins sévères «qu'à la fin des années 1990». L'année 2007, 53 profanateurs ont été condamnés pour ces délits passibles de 45 000 à 75 000 euros et de 3 à 5 ans d'emprisonnement. Sur 310 condamnations pour violation de tombeaux, infligée en dix ans, la Justice française n'a prononcé que 15 peines de prison ferme, pour une durée moyenne d'emprisonnement de 3 à 7 mois ! Le troisième constat, c'est que la majorité des tombes profanées concerne les cimetières chrétiens. Or, le traitement médiatique donne une impression inverse, puisqu'il fait souvent écho aux profanations ayant touché les cimetières juifs ou les carrés musulmans. A dire vrai, ce traitement médiatique inverse, peut s'expliquer par le fait qu'au sein même des médias, le principe de la chrétienneté de la société française est pensé et présenté comme établi. De ce fait, lorsque des profanations touchent un cimetière chrétien,elles ne rentrent pas, du point de vue des médias, dans le cadre du racisme ou de l'antisémitisme. Elles sont plutôt perçues comme des faits divers qui relèvent à fortiori d'autres registres : satanisme, humour noir, insouciance juvénile, etc. Ce traitement médiatique différencié nous renseigne sur le regard porté par les médias et par l'imaginaire collectif sur les musulmans et les juifs en France. Ces derniers demeurent en effet, comme des catégories identifiées à protéger, et non comme des citoyens à part entière vivant dans un espace fondé sur l'égalité. Profanations : un symptôme de la désintégration politique Transposés sur la cartographie des cimetières français, les actes de profanation des carrés musulmans révèlent des aspects particuliers. Ils se concentrent en effet dans quelques régions, notamment en Alsace. Sur les huit profanations recensées par les services de police depuis 2003, quatre d'entre elles sont signalées dans la banlieue strasbourgeoise. Pourquoi donc une telle concentration ? Les spécificités de la région alsacienne peuvent fournir quelques éléments de réponse. Bien évidemment, ces éléments ne constituent aucunement des causes à effet direct, mais tout simplement des pistes à explorer. D'un point du vue historique en effet, la région d'Alsace bénéficie d'un statut spécifique au sein de l'Etat français. Sa réintégration dans la souveraineté française en 1918, après 47 ans de tutelle allemande n'allait pas de soi. L'illusion lyrique n'a été que de courte durée, car dès 1919, la presse abordait déjà «le malaise alsacien». Outre la question des droits économiques et sociaux acquis de la législation de Bismarck, «le malaise alsacien» s'articule autour du statut religieux et scolaire, de la question linguistique et du cadre administratif. S'agissant de l'aspect religieux, la France de la Séparation (des Eglises et de l'Etat) retrouve une Alsace concordataire : d'un côté, la laïcité de l'école et la Séparation des Eglises et de l'Etat ; de l'autre, quatre cultes (catholique, luthérien, réformé, israélite) reconnus et aidés, l'école primaire confessionnelle et l'enseignement religieux obligatoire dans le secondaire. Les lois scolaires, puis la loi de 1905 ont donc créé une situation totalement différente de celle qui demeure en Alsace-Lorraine. Le statut religieux et scolaire sera finalement maintenu, notamment parce que la France était en train de renouer dès 1918 des relations diplomatiques avec le Saint-Siège et tenait, par conséquent, à éviter toute brouille avec ce dernier. n