Une nouvelle polémique a explosé entre l'Administration pénitentiaire et les Magistrats, suite à l'explosion du nombre de prisonniers. Une prise de bec qui remet sur la table la question du non recourt aux peines alternatives. Pas moins de 100.004 prisonniers occupent actuellement les prisons du Royaume, sachant que la capacité litière des établissements pénitenciers ne dépasse pas les 64.600 lits. Ce chiffre record, annoncé, lundi, par la Délégation générale à l'Administration pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) dans un communiqué sous forme de réquisitoire, témoigne de la défaillance de la procédure judiciaire, où les peines alternatives sont le parent pauvre. Dans son communiqué, l'administration de Mohamed Salah Tamek, connu pour ses critiques à l'encontre de l'emprisonnement systématique, a demandé aux autorités judiciaires et administratives « de trouver dans les plus brefs délais les solutions susceptibles de résoudre la problématique de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires pour éviter les dysfonctionnements ou les complications d'ordre sécuritaire pouvant découler de cette situation inquiétante, outre les problèmes liés aux conditions d'hébergement, de restauration, de soins de santé et d'accès aux programmes de réhabilitation et de réinsertion ».
Des critiques rejetées catégoriquement par l'Association des Magistrats du Maroc, qui a alerté contre toute ingérence qui porterait atteinte à l'indépendance de la Justice ou influencerait les décisions de ses magistrats qui ne sont tenus que par l'application correcte et équitable de la loi. Sans concessions, les magistrats ont appelé la DGAPR à saisir le Chef du gouvernement pour qu'il leur fournisse les moyens humains et matériels afin de régler cette problématique, plutôt que de s'attaquer à la Justice. Par ailleurs, si l'administration pénitentiaire a pris l'opinion publique à témoin concernant le surpeuplement des prisons, les magistrats ont souligné que c'est cette même opinion publique qui appelle la Justice depuis des années à être intransigeante avec les criminels.
La loi est là... place à la pratique !
Ceci dit, et loin des prises de bec, l'application des peines alternatives est aujourd'hui de mise, non seulement suite à l'encombrement des prisons, mais également et surtout parce que les prisons sont devenues une fabrique à délinquants. Ceci est dû aux contacts et aux interactions entre criminels – qui sont tous mis sur un même pied d'égalité peu importe la nature de leurs crimes – qui peuvent renforcer les attitudes et les comportements déviants. C'est ainsi que l'Exécutif a adopté, après des années d'attente, la loi relative aux peines alternatives. Celle-ci constitue la colonne vertébrale de la réforme du Code pénal et semble faire l'unanimité au Maroc, puisque l'introduction des peines alternatives à la réclusion est vue comme un remède contre le recours excessif à la détention préventive, que les avocats considèrent aujourd'hui comme un « réflexe » du corps judiciaire.
Plusieurs rapports, notamment ceux du Ministère public et de la DGAPR, confirment les liens incontestables entre la détention préventive et la surpopulation carcérale. Selon les derniers chiffres officiels, près de 42% des détenus sont emprisonnés de façon préventive, soit en attente de leur procès ou de la fin de l'instruction judiciaire.
Désormais, avec la nouvelle loi, il n'est plus possible d'emprisonner les gens pour la moindre infraction. Les juges se voient attribuer une marge de manœuvre importante avec cette possibilité d'aménagement des peines que le pouvoir judiciaire va expérimenter pour la première fois. Cela ne signifie guère qu'il y aura un recours automatique, insiste le gouvernement, dont le porte-parole a clairement expliqué que la loi adoptée n'a pas vocation à « encourager l'impunité ». Un message implicite destiné à rassurer les détracteurs des peines alternatives qui redoutent que cet assouplissement de la politique pénale soit une aubaine pour les délinquants. Mais si, aujourd'hui, ladite loi n'est pas encore appliquée par les juges, c'est parce qu'il faut du temps pour maîtriser les tenants et les aboutissants d'un tel texte, nous indique un magistrat sous couvert d'anonymat.
Traitement au cas par cas
La loi veut réduire la détention en la remplaçant par des peines alternatives à la réclusion. Elles s'appliqueront pour les peines de prison courtes, c'est-à-dire celles qui sont inférieures à cinq ans. C'est ce qu'on peut lire dans l'article 35 alinéa 1 de la loi. Selon ledit texte, les peines alternatives ne sont pas applicables en cas de récidive. Concernant les cas d'application des peines alternatives, les juges ne peuvent y avoir recours lorsqu'il s'agit d'infractions ou de crimes contre la sûreté de l'Etat, des actes terroristes, de détournement et dilapidation de fonds publics, d'abus de pouvoir et de corruption. Aussi est-il proscrit d'appliquer les peines alternatives en cas de blanchiment d'argent, de trafic de drogue et de stupéfiants et d'exploitation sexuelle des mineurs et des personnes handicapées.
En vertu de la nouvelle loi, le juge est autorisé à remplacer une peine de réclusion par une sanction alternative s'il le juge nécessaire ou s'il reçoit une demande de la part du Ministère public ou de l'avocat de la personne condamnée ou du tuteur légal en cas de mineur. Dans ce cas de figure, la demande doit être motivée et doit mentionner la peine originale en précisant la peine alternative requise et les engagements qui en résultent.
Si la personne condamnée manque à ses obligations, elle sera passible de nouveau d'emprisonnement puisque, dans ce cas, la peine de réclusion est restaurée. Il est possible que le tribunal, s'il le juge nécessaire, ordonne une enquête sur la personne concernée, avant de prononcer les peines alternatives.
Désormais, trois types de peines alternatives sont prévus, à savoir les travaux d'intérêt général, le bracelet électronique et les mesures disciplinaires ou la restriction de certains droits. Les travaux d'intérêt général ne sont ordonnés qu'en cas de personnes âgées de 15 ans ou plus lors du jugement. Le travail est fourni à titre gracieux (impayé) en faveur des établissements publics, des collectivités territoriales, des établissements de charité, des lieux de culte et des associations. Trois questions à Jamila Sayouri, avocate « Il faut que la réforme du Code pénal soit globale » Le gouvernement a adopté la loi relative aux peines alternatives, qu'en pensez-vous ?
L'introduction des peines alternatives fut depuis des années l'une de nos revendications principales et, en tant qu'avocate, je pense qu'il s'agit d'une priorité de la réforme du Code pénal. Certes, l'introduction de ces peines est un pas positif mais il faut revoir le Code pénal en profondeur dans une approche globale. On aurait préféré que les peines alternatives soient intégrées au sein de la réforme du Code pénal dans son ensemble. Jusqu'à présent, les lois liées à la politique pénale demeurent éparses puisqu'il y a eu uniquement des réformes partielles. Aujourd'hui, il y a des actes que la société ne perçoit plus comme des crimes, comme c'était le cas avant. Je pense là à des actes qui entrent dans le périmètre des libertés individuelles. Aussi, l'évolution du crime numérique et ses crimes sexuels nécessite-t-elle de nouvelles réponses pénales.
Pensez-vous que les juges vont recourir moins à la détention préventive après l'adoption des peines alternatives ?
Oui, je pense que les mesures alternatives sont une solution parce qu'elles ont été conçues principalement pour lutter contre le recours excessif à la détention préventive. Il est clair qu'il faut abandonner l'emprisonnement pour des délits surtout lorsqu'il n'y a pas de préméditation. Il en va de même pour les actes punis de peines courtes. Je rappelle que 36% des détenus sont condamnés à des peines de moins de deux ans. Aussi, il ne faut pas oublier que la détention coûte cher à l'Etat aussi bien en termes de ressources matérielles qu'humaines.
Les détracteurs des peines alternatives y voient un encouragement à la délinquance, faut-il craindre ce scénario ?
De toute façon, la politique pénale, telle qu'elle est actuellement, a montré ses limites puisqu'elle n'a pas empêché la récidive qui demeure élevée. Cependant, les peines alternatives ne sont pas la recette miracle. Il faut de véritables programmes de réinsertion. Toutefois, nous étions contre l'amende journalière qui aurait été détournée pour échapper à la prison si cette mesure avait été introduite. Heureusement qu'elle a été abandonnée.
Recueillis par Anass MACHLOUKH Bilan : La population carcérale en chiffres Le nombre de prisonniers est passé de 83.757 à 100.004 entre 2018 et 2023. La Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) a indiqué dans son rapport annuel d'activités au titre de 2022 que la hausse se poursuivrait en 2025 et 2026 où la population carcérale devrait se chiffrer respectivement à 101.512 puis 104.061. Le rapport ajoute que le Maroc compte 251 prisonniers pour 100.000 habitants, sachant que le nombre de nouveaux prisonniers en 2022 s'est chiffré à 116.922 (96% sont des hommes et 4% des femmes). S'agissant de la répartition du nombre des détenus selon le type de crime commis, le rapport précise un total de 41.016 crimes relevant des lois spéciales ; 31.920 crimes contre les biens; 12.597 crimes contre des personnes; 10.897 crimes contre le statut familial et la morale publique; 10.039 crimes contre la sécurité et l'ordre public et 10.456 autres crimes. La durée moyenne de détention est passée de 8,93 mois en 2018 à 9,98 mois en 2022. L'info...Graphie Peines alternatives : Comment ça marche ? La durée des travaux d'intérêt général est fixée de 40 à 1000 heures, selon les cas et en fonction de l'infraction. La nature du travail qu'exécutera la personne condamnée doit être en relation avec sa profession ou, du moins, en être complémentaire. La Cour prend en considération cet élément dans sa décision.
La peine de travaux publics doit être exécutée dans un délai ne dépassant pas une année. Ceci dit, la durée ordonnée par le tribunal doit être scrupuleusement respectée. Cependant, la durée peut être prolongée une seule fois et d'une durée similaire, et ce, sur décision du Juge d'application des peines. Ce dernier peut la prolonger sur la base d'une demande de la personne condamnée ou une autre personne ayant intérêt à cette prolongation.
Lorsqu'il s'agit de mineur, le juge doit s'assurer que le condamné est apte physiquement à exercer le travail d'intérêt général et que ce travail sera bénéfique pour sa réinsertion. Si la personne condamnée occasionne des dégâts lors de l'exécution de son travail, il incombe à l'Etat de verser les dédommagements en réparation des dégâts occasionnés.
Pour ce qui est du placement sous surveillance électronique, le bracelet sert à surveiller les mouvements de la personne bénéficiaire de l'aménagement de peine. Il appartient au tribunal de décider de la durée et de la zone de surveillance de sorte qu'elles soient proportionnées à la dangerosité de l'infraction.
Dans sa décision, le tribunal prend également en considération les conditions personnelles du condamné et la sécurité des victimes, de sorte qu'il n'y ait aucune menace sur leur intégrité physique.