Le gouvernement a adopté le projet de loi relatif aux peines alternatives. Un texte sur lequel tout le monde place ses espoirs pour mettre fin à l'arbitraire de la détention préventive et la surpopulation carcérale. Décryptage. Après des années de marasme législatif, le gouvernement a enfin sorti la loi relative aux peines alternatives. Après l'avoir reporté le 5 mai, le Conseil de gouvernement a adopté, jeudi dernier, le projet de loi 43.22, porté par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui a pris soin de refaçonner le texte hérité du gouvernement précédent. Adopter un tel texte aussi important n'était pas aisé pour l'Exécutif qui a dû recourir à des arbitrages juridiques pour le finaliser. Cette loi, qu'on le rappelle, a fait l'objet d'un vif débat entre le ministère de tutelle et le Secrétariat général du gouvernement au sujet de l'emplacement des peines alternatives dans le Code pénal. Ouahbi semble avoir obtenu gain de cause en élaborant une loi séparée. Celle-ci a été très attendue parce qu'elle constitue la colonne vertébrale de la réforme du Code pénal et semble faire l'unanimité au Maroc, puisque l'introduction des peines alternatives à la réclusion est vue comme un remède contre le recours excessif à la détention préventive. Il va sans dire que l'emprisonnement s'est ancré profondément dans la politique pénale comme une pratique fréquente. Cela a pris des proportions telles que les avocats parlent d'un « réflexe » du corps judiciaire. Pour le gouvernement, il s'agit d'une « loi révolutionnaire », comme l'a fait savoir le porte-parole de l'Exécutif, Mustapha Baitas, lors de sa conférence de presse hebdomadaire. En effet, c'est une priorité de la politique pénale puisque les établissements pénitenciers sont peuplés de gens détenues à titre provisoire. Plusieurs rapports, notamment ceux du Ministère public et de la DGAPR, confirment les liens incontestables entre la détention préventive et la surpopulation carcérale. Force est de constater que près de 42% des détenus sont emprisonnés de façon préventive, soit en attente de leur procès ou de la fin de l'instruction judiciaire. Désormais, avec la nouvelle loi, il n'est plus possible d'emprisonner les gens pour la moindre infraction. Les juges se voient attribuer une marge de manœuvre importante avec cette possibilité d'aménagement des peines que le pouvoir judiciaire va expérimenter pour la première fois. Cela ne signifie guère qu'il y aura un recours automatique, insiste le gouvernement, dont le porte-parole a clairement expliqué que la loi adoptée n'a pas vocation à « encourager l'impunité ». Un message implicite destiné à rassurer les détracteurs des peines alternatives qui redoutent que cet assouplissement de la politique pénale soit une aubaine pour les délinquants.
Uniquement les peines inférieures à 5 ans La loi veut réduire la détention en la remplaçant par des peines alternatives à la réclusion. Elles s'appliqueront pour les peines de prison courtes, c'est-à-dire celles qui sont inférieures à cinq ans. C'est ce qu'on peut lire dans l'article 35 alinéa 1 de la loi, dont « L'Opinion » détient copie. Selon la loi, les peines alternatives ne sont pas applicables en cas de récidive. Concernant les cas d'application des peines alternatives, les juges ne peuvent y avoir recours lorsqu'il s'agit d'infractions ou de crimes contre la sûreté de l'Etat, des actes terroristes, de détournement et dilapidation de fonds publics, d'abus de pouvoir et de corruption. Aussi est-il proscrit d'appliquer les peines alternatives en cas de blanchiment d'argent, de trafic de drogue et de stupéfiants et d'exploitation sexuelle des mineurs et des personnes handicapées. En vertu de la nouvelle loi, le juge est autorisé à remplacer une peine de réclusion par une sanction alternative s'il le juge nécessaire ou s'il reçoit une demande de la part du Ministère public ou de l'avocat de la personne condamnée ou du tuteur légal en cas de mineur. Dans ce cas de figure, la demande doit être motivée et mentionner la peine originale en précisant la peine alternative requise et les engagements qui en résultent. Si la personne condamnée manque à ses obligations, elle sera passible de nouveau d'emprisonnement puisque, dans ce cas, la peine de réclusion est restaurée. Il est possible que le tribunal, s'il le juge nécessaire, ordonne une enquête sur la personne concernée, avant de prononcer les peines alternatives.
Travaux d'intérêt général, bracelet électronique : ce que prévoit la loi Trois types de peines alternatives sont prévues, à savoir les travaux d'intérêt général, le bracelet électronique et les mesures disciplinaires ou la restriction des certains droits. Les travaux d'intérêt général ne sont ordonnés qu'en cas de personnes âgées de 15 ans ou plus lors du jugement. Le travail est fourni à titre gracieux (impayé) en faveur des établissements publics, des collectivités territoriales, des établissements de charité, des lieux de culte et des associations. La durée est fixée de 40 à 1000 heures, selon les cas et en fonction de l'infraction. La nature du travail qu'exécutera la personne condamnée doit être en relation avec sa profession ou, du moins, en être complémentaire. La Cour prend en considération cet élément dans sa décision. La peine de travaux publics doit être exécutée dans un délai ne dépassant pas une année. Ceci dit, la durée ordonnée par le tribunal doit être scrupuleusement respectée. Cependant, la durée peut être prolongée une seule fois et d'une durée similaire, et ce, sur décision du Juge d'application des peines. Ce dernier peut la prolonger sur la base d'une demande de la personne condamnée ou une autre personne ayant intérêt à cette prolongation. Lorsqu'il s'agit de mineur, le juge doit s'assurer que le condamné est apte physiquement à exercer le travail d'intérêt général et que ce travail sera bénéfique pour sa réinsertion. Si la personne condamnée occasionne des dégâts lors de l'exécution de son travail, il incombe à l'Etat de verser les dédommagements en réparation des dégâts occasionnés. Pour ce qui est du placement sous surveillance électronique, le bracelet sert à surveiller les mouvements de la personne bénéficiaire de l'aménagement de peine. Il appartient au tribunal de décider de la durée et de la zone de surveillance de sorte qu'elles soient proportionnées à la dangerosité de l'infraction. Dans sa décision, le tribunal prend également en considération les conditions personnelles du condamné et la sécurité des victimes, de sorte qu'il n'y ait aucune menace sur leur intégrité physique. Anass MACHLOUKH
Trois questions à Jamila Sayouri « Il faut que la réforme du Code pénal soit globale » Le gouvernement a adopté la loi relative aux peines alternatives, qu'en pensez-vous ? -L'introduction des peines alternatives fut depuis des années l'une de nos revendications principales et, en tant qu'avocate, je pense qu'il s'agit d'une priorité de la réforme du Code pénal. Certes, l'introduction de ces peines est un pas positif mais il faut revoir le Code pénal en profondeur dans une approche globale. On aurait préféré que les peines alternatives soient intégrées au sein de la réforme du Code pénal dans son ensemble. Jusqu'à présent, les lois liées à la politique pénale demeurent éparses puisqu'il y a eu uniquement des réformes partielles. Aujourd'hui, il y a des actes que la société ne perçoit plus comme des crimes comme c'était le cas avant. Je pense là à des actes qui rentrent dans le périmètre des libertés individuelles. Aussi, l'évolution du crime numérique et ses crimes sexuels nécessitent-ils de nouvelles réponses pénales.
Pensez-vous que les juges vont recourir moins à la détention préventive après l'adoption des peines alternatives ? - Oui, je pense que les mesures alternatives sont une solution parce qu'elles ont été conçues principalement pour lutter contre le recours excessif à la détention préventive. Il est clair qu'il faut abandonner l'emprisonnement pour des délits surtout lorsqu'il n'y a pas de préméditation. Il en va de même pour les actes punis de peines courtes. Je rappelle que 36% des détenus sont condamnés à des peines de moins de deux ans. Aussi, il ne faut pas oublier que la détention coûte cher à l'Etat aussi bien en termes de ressources matérielles ou humaines. Les détracteurs des peines alternatives y voient un encouragement à la délinquance, faut-il craindre ce scénario ? - De toute façon, la politique pénale, telle qu'elle est actuellement, a montré ses limites puisqu'elle n'a pas empêché la récidive qui demeure élevée. Cependant, les peines alternatives ne sont pas la recette miracle. Il faut de véritables programmes de réinsertion. Toutefois, nous étions contre l'amende journalière qui aurait été détournée pour échapper à la prison si cette mesure avait été introduite. Heureusement qu'elle a été abandonnée.
Recueillis par Anass MACHLOUKH
Amende journalière : Ouahbi maintient le suspense Bien qu'elle soit prévue initialement dans la réforme, l'amende journalière n'a pas été intégrée dans la liste des peines alternatives qui semble avoir été abandonnée. Interrogé sur ce point lors de son passage à « Al Aoula », le 9 juin, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a pourtant maintenu le suspense en affirmant que cette mesure est toujours en discussion et qu'elle peut être intégrée un jour. Cette meure, rappelons-le, a été fortement décriée et n'a pas manqué de provoquer une vive polémique, puisqu'elle donne la possibilité de « racheter » des jours de prison. Nombreux sont les observateurs et même les avocats qui s'y sont opposés lorsqu'elle a été annoncée pour la première fois. Si cette amende était adoptée, une personne condamnée pourrait acquérir sa remise en liberté en échange d'une somme d'argent. Le prix d'un jour d'incarcération varie de 50 à 3000 dirhams, selon les chiffres avancés par Ouahbi. Cette « option d'achat » a été conçue uniquement pour les cas d'infractions peu dangereuses, et cordonnée par l'obligation de passer une partie de la peine de réclusion, de la discipline et de la renonciation des victimes. L'info...Graphie Application des peines : Le modus operandi La loi est claire à ce sujet. Il incombe à l'administration carcérale de suivre l'application des peines alternatives que ce soit au niveau central ou local, selon la loi qui stipule que les prérogatives de la DGAPR seront définies par un texte d'application. Mais, en gros, il est de la compétence de l'administration carcérale de surveiller la mobilité d'une personne soumise au bracelet électronique. La loi est très stricte en cas de manquements. Toute personne qui se débarrasse du bracelet pour prendre la fuite est passible d'un à trois mois de prison ferme avec une amende de 2000 à 5000 dirhams. Juridiquement parlant, l'application de ces peines est régie par un processus. Après le verdict, le Ministère public transmet l'arrêté de la peine après avoir acquis la force de la chose jugée au Juge d'application des peines qui, à son tour, ordonne à l'établissement pénitentiaire relevant de la juridiction de la Cour concernée d'exécuter la peine par un arrêté exécutoire. Le Juge d'application des peines peut saisir le Parquet en cas de non-exécution de la peine ou en cas de complications procédurales. Il est de son ressort de trancher tous les différends relatifs à l'exécution. Par ailleurs, au cas où la peine alternative est prononcée par une Cour d'Appel, il appartient au Juge d'application du Tribunal de Première instance de veiller à son exécution. En outre, le Juge d'application est habilité à ordonner l'emprisonnement d'une personne qui refuse d'exécuter la peine alternative, comme il peut décider d'en prolonger la durée le cas échéant.