Importer du gaz via l'Espagne, relancer les centrales à fuel de Mohammedia et de Kénitra : telles sont les alternatives immédiates qui s'offrent au Maroc suite à la décision algérienne de ne pas reconduire l'accord sur le GME (Gazoduc Maghreb-Europe). Mais à long terme, la stratégie gazière devrait définitivement permettre au Royaume de se mettre à l'abri des caprices de son voisin. « Un acharnement obsessionnel ! ». Voila comment l'ambassadeur du Maroc auprès de l'ONU qualifie l'attitude hostile de l'Algérie envers le Maroc. Ces propos du diplomate Omar Hilale trouvent leur sens, au regard du dernier acte pas du tout amical effectué par Alger : la non reconduction du contrat liant sa société gazière, Sonatrach, aux Offices marocains en charge de l'électricité et des hydrocarbures, à savoir l'ONEE et l'ONHYM. Pour ces derniers d'ailleurs, cette décision, qui était du reste attendue, « n'aura dans l'immédiat qu'un impact insignifiant sur la performance du système électrique national ». Désormais, l'heure est à l'étude d'autres options pour des « alternatives durables, à moyen et long termes ». En réalité, là est toute la question. Alternatives à court terme L'ONEE et l'ONHYM n'ont pas encore dévoilé leur « Plan B » et attendent probablement le bon timing pour le rendre public. Mais selon l'ancien ministre de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement, Fouad Douiri, trois solutions s'offrent au royaume pour gérer cette non reconduction de ce contrat décennal : « Sur la base de ce qui est convenu auprès des experts, le Maroc pourra, soit importer du gaz via l'Espagne, soit faire utiliser les centrales électriques de Mohammedia et de Kénitra, qui fonctionnent au fuel. Ou tout simplement importer directement de l'électricité via l'Espagne ». Mais pour l'ex-ministre istiqlalien, « toutes ces solutions sont coûteuses et de court-terme » (voir interview). A moyen terme, « il faudra trouver des solutions via le même gazoduc Maghreb-Europe, mais dans le sens inverse », poursuit notre interlocuteur. Infrastructures gazières D'ailleurs, à ce propos, des négociations sont en cours entre Rabat et Madrid. L'objectif pour le royaume est de se mettre définitivement à l'abri des caprices de son voisin de l'Est, tout en continuant de satisfaire à sa demande énergétique, à travers la poursuite du fonctionnement des deux centrales qui étaient irriguées par le gaz algérien. Ces deux centrales à gaz que sont Aïn Béni Mathar et Tahaddart, contribuent à hauteur de 17% à la production électrique nationale. Un autre projet devrait également bientôt être lancé, à savoir la construction et l'exploitation d'une unité flottante, de stockage et de regazéification du gaz naturel liquéfié (FSRU). A ce propos, les délibérations sont en cours pour choisir les entreprises qui seront chargées de réaliser cette infrastructure. D'autres projets similaires pourront voir le jour avec le temps. Stratégie 2050 A très long terme, le Maroc entend en effet activer sa nouvelle stratégie de développement du gaz naturel, étalée sur la période 2021-2050. Cette feuille de route, dévoilée l'été dernier, repose notamment sur la réalisation d'un projet d'infrastructure gazière structurant. L'objectif est non seulement de répondre à la demande électrique, mais aussi de réussir l'amélioration de la compétitivité des industriels marocains exportateurs et le développement d'autres activités annexes de sous-traitance autour de la filière du gaz naturel. De quoi contribuer à répondre à la demande croissante de consommation en gaz. Consommation en baisse Pour rappel, la consommation totale du Maroc via le GME avoisine un milliard de m3 par an. Mais ces dernières années, la demande marocaine avait commencé à décroître, pour s'établir à 889 millions de m3 en 2019, contre 1,05 milliard de m3 quatre ans plus tôt. Le recul du prélèvement en nature (de 445 millions de m3 en 2015 à 300 millions en 2019) et la régression des ventes sous contrat ONEE (de 610 millions de m3 en 2015 à 589 millions en 2019) en sont les principales raisons, bien que 90% du gaz consommé par le Maroc proviennent de l'Algérie. Abdallah MOUTAWAKIL
L'info...Graphie Energies Surchauffe sur le charbon et le gaz en Chine et en Europe
La hausse des cours du charbon a récemment plongé une bonne partie de la Chine dans un cycle infernal de délestages. En Europe, ce sont les contraintes liées aux importations de gaz russe qui sont, en partie, à la source d'une augmentation considérable des tarifs, provoquant une véritable pagaille au sein de la Commission Européenne et entre pays membres de l'UE. Les 27 se sont même retrouvés divisés en trois groupes, dont certains n'hésitent pas à remettre en cause les engagements climatiques de l'UE, notamment la suppression progressive des énergies aussi polluantes que le charbon. Pour l'heure, si à l'instar du Covid-19, la Chine semble mieux gérer cette crise énergétique, les pays européens n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente pour y faire face.
GME La fin d'un rêve euro-méditerranéen
Entré en service en 1996, le gazoduc Maghreb-Europe symbolisait le pragmatisme des différents Etats de la région, malgré leurs divergences sur les plans politique et diplomatique. La rupture de cette belle collaboration décidée par l'Algérie marque certainement un tournant dans le voisinage avec le Maroc, qui a toujours contribué au bon fonctionnement de cette infrastructure. En termes de gains, la redevance en nature perçue sur le GME a permis au Maroc d'installer sa première centrale à cycle combiné de 384 mégawatts (MW) à Tahaddart (Nord), opérationnelle depuis 2005, et la centrale thermosolaire de Aïn Béni Mathar (Oriental) de 472 MW, mise en service en 2010. De même, un accord pour la livraison de gaz naturel au Maroc a été signé en juillet 2011 à Alger entre le groupe public algérien Sonatrach et l'ONEE. Ce contrat, qui porte sur la livraison de 640 millions de m3 de gaz algérien par an sur une durée de dix ans, a également expiré à la même date. L'alimentation de Aïn Béni Mathar et Tahaddart a été jusqu'ici assurée par l'importation de ces 640 millions de m3 depuis l'Algérie, par le GME, et complétée par le gaz de redevance. Selon un document officiel, les quantités qui ont transité par le GME vers l'Europe ont fortement chuté par rapport à leur niveau il y a 16 ans. D'environ 12 milliards de mètres cubes (m3) en 2005, les quantités ont baissé à 8 milliards de m3 en 2017 pour reculer à moins de 6 milliards de m3 en 2019.
3 questions à Fouad Douiri, ancien ministre de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement « Il ne faut pas abandonner nos centrales à gaz »
Pour Fouad Douiri, ancien ministre de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement, il faut chercher des solutions à long terme pour résoudre définitivement l'équation du gaz algérien. - Quelles solutions pour le Maroc face à la non reconduction de l'accord sur le GME ? - Sur la base de ce qui est convenu auprès des experts, le Maroc pourra, soit importer du gaz via l'Espagne, soit faire utiliser les centrales électriques de Mohammedia et de Kénitra, qui fonctionnent au fuel. Ou tout simplement importer directement de l'électricité via l'Espagne. Nous l'avons déjà fait dans le passé pendant plusieurs années. 15% de notre électricité provenaient de l'Espagne. Mais toutes ces solutions sont coûteuses et de court terme. A moyen terme, j'estime qu'il faudra trouver des solutions via le même gazoduc Maghreb-Europe, mais dans le sens inverse. Le Maroc ne manque pas de réserves, mais nous n'avons pas intérêt à abandonner nos centrales à gaz. - Cette situation intervient dans un contexte de flambée des prix du charbon. Globalement, c'est tout le secteur des énergies qui est sous tension ? - En réalité, presque toutes les matières premières ont connu une hausse de leur prix, et ce, partout dans le monde. C'est le cas du pétrole et des autres hydrocarbures, sans parler de leur répercussion sur les produits de consommation. La seule solution à court terme, ce sont les contrats de couverture financière. C'est une assurance certes coûteuse, mais qui prémunit de certains chocs conjoncturels. Cela dit, le Maroc n'est pas forcément perdant dans cette donne, car nous profitons également de la hausse des prix des phosphates et des engrais. - Dans ce contexte de COP26, cela doit pousser à accélérer le rythme sur le renouvelable ? - Nous développons du renouvelable à une vitesse assez élevée, mais à moyen terme, ce n'est pas suffisant. Avec le temps, le renouvelable est appelé à augmenter. Surtout dans les industries automobiles, avec la montée de l'électrique. Mais au Maroc, nos centrales à charbon vont encore continuer de fonctionner pour plusieurs années encore.