Les dernières pluies ont permis de reverdir l'arganeraie après une période de sécheresse historique qui a considérablement dégradé le couvert végétal et paralysé la filière de l'arganier, faisant peser un risque important sur le tissu coopératif féminin, et le patrimoine immatériel. La résilience de cet écosystème emblématique, déjà affaibli par le changement climatique et les pressions anthropiques croissantes, est-elle à bout de souffle ? Face à la vulnérabilité croissante, l'arganeraie tiendra-t-elle encore longtemps ? Dans les régions du Souss et de Haha où l'écosystème national de l'arganier est principalement localisé, le couvert végétal est en train de ressusciter après les récentes pluies salvatrices issues de la dépression atmosphérique «Jana». Totalement desséchés en raison de la succession inédite de sept années de sécheresse, les arganiers multi-centenaires retrouvent enfin leur éclat verdoyant. Cette embellie intervient après une longue période d'agonie, dans les plaines comme dans les massifs montagneux de la Réserve de biosphère de l'arganeraie (RBA), étalée sur plus de 2,5 millions d'hectares. Le renouveau naturel de l'écosystème ne cache pas les séquelles encore visibles de cette rude épreuve climatique où le tissu coopératif a été paralysé en raison de la chute de la production et de l'indisponibilité de la noix d'argan, la matière première, occasionnant une flambée des prix. Bien que le récent épisode pluvieux ait permis de mettre fin à l'hémorragie économique et sociale de la filière, tout en compensant une partie des déficits hydriques accumulés, ce contexte ne devrait pas occulter l'épineuse question des limites de la résilience de l'arganeraie. Un vaste berceau végétal qui s'étale sur près de 12% de la superficie nationale, couvrant trois territoires du centre du Maroc (Souss-Massa, Marrakech-Safi et Guelmim-Oued Noun) où plus de 2,5 millions de personnes dépendent directement de cette forêt. Cette barrière naturelle s'étend sur près de 1,05 million d'hectares, en se référant au recensement forestier national de 2022 élaboré par l'Agence nationale des eaux et forêts (ANEF). Elle se dresse, d'un côté, comme un symbole de résilience climatique et, de l'autre, comme le dernier rempart face à l'avancée de la désertification. Aujourd'hui, elle est en péril en raison de l'accélération de sa vulnérabilité occasionnée par la recrudescence des changements climatiques et l'alternance des phénomènes extrêmes, mais aussi d'un ensemble de facteurs structurels en interaction. La crise de l'écosystème de l'arganier inquiète et devrait interpeller aussi bien la communauté scientifique que l'ensemble des autres intervenants. Cet écosystème, centre de gravité de l'enracinement social de la femme, qui en est la gardienne ancestrale, appelle à une vraie refonte stratégique. Une régression tant en surface qu'en densité Aujourd'hui, le miracle économique de l'arganier, arbre endémique du Maroc, est-il en train de s'essouffler ? Sa capacité de résilience est-elle en péril ? Quel a été l'impact des sept années consécutives de sécheresse sur la dégradation de l'arganeraie ? Quels sont les aspects les plus sensibles à cette vulnérabilité irréversible ? Comment les changements climatiques affectent-ils la femme rurale et ses moyens de subsistance ? Quel risque le contexte actuel fait-il peser sur les savoir-faire et leur transfert générationnel ? Autant de questions qui sont soulevées dans cette enquête qui tente d'explorer la fragilité à laquelle est confrontée l'arganeraie , confrontée à des conditions environnementales extrêmes et à des pressions anthropiques croissantes. Le tout accompagné d'un foisonnement d'acteurs intéressé par son fruit, «afyach», à l'origine de la production de l'huile d'argan alimentaire et cosmétique. Déclaré patrimoine mondial de l'humanité depuis 1998, l'arganeraie est régie par une législation spécifique, notamment un dahir chérifien qui définit et réglemente la gestion de la forêt. Depuis 2021, l'arganier a sa Journée internationale dédiée, célébrée le 10 mai par l'ONU et le Maroc. Par ailleurs, il a bénéficié, en 2016, d'un financement de la part du Fonds vert pour le climat dans le cadre du projet de «Mise en place de l'arganiculture en environnement dégradé» (DARED). Des acquis qui témoignent de l'intérêt accordé à cet héritage actuellement menacé par l'alternance de longues périodes de sécheresse et de courtes périodes de pluie. Des phénomènes climatiques qui limitent le potentiel productif de l'écosystème arganier, sa réhabilitation et son reboisement. En dépit de cet intérêt national et international, pour l'arganier, son couvert forestier régresse en surface et en densité. Certaines sources évoquent une perte annuelle de 600 ha de forêts d'arganier. L'ANEF avance de son côté une réduction annuelle de 89 ha au cours des cinq dernières années. En cause : des projets d'investissement, notamment 28 projets totalisant 441,45 ha. À l'heure actuelle, aucune étude approfondie n'a été réalisée pour mesurer l'impact de cette période inédite de sécheresse sur la dégradation de la forêt. Toujours est-il que, selon cette agence, «l'écosystème de l'arganier reste fragile face à des conditions environnementales extrêmes et des pressions anthropiques croissantes». Sécheresse problématique L'arganeraie a besoin d'un niveau de précipitations de 100 à 150 mm/an entre décembre et avril pour assurer une production moyenne. Plus on descend en deçà de cette quantité, plus la forêt est exposée à des phénomènes d'adaptation et d'atténuation, sachant que l'indice d'aridité révèle l'extrême vulnérabilité à la variabilité climatique et aux changements climatiques de la zone où se situe la RBA. Rien que dans la région du Souss, deux records absolus de température quotidienne ont été enregistrés au cours des sept dernières années, notamment 49,5°C le 6 juillet 2020, et 50,2°C le 11 juillet 2023. Il faut ajouter à cela d'autres événements caniculaires extrêmes et un déficit pluviométrique inédit depuis plus de quatre décennies. C'est pourquoi ces sécheresses récurrentes impactent 95% des terres concernées de l'arganier, selon l'ANEF, et exposent 70% d'entre elles à la désertification. L'une des contraintes est également la surexploitation des ressources naturelles, avec un surpâturage y compris celui des nomades. Ces épisodes de sécheresse ont, également, aggravé la rareté des pâturages, exacerbant les conflits d'usage, notamment avec les populations nomades provenant de zones encore plus affectées par la sécheresse. Face à cette aridité, le surpâturage exerce une pression sur les strates inférieures du couvert forestier et amènent les troupeaux à brouter sur les arbres. Ceci conduit à une surexploitation des forêts d'arganier, compromettant leur régénération et contribuant à la dégradation des nouvelles plantations. À cela s'ajoutent une consommation de bois de chauffage dépassant largement la capacité de production de la forêt, un déséquilibre hydrologique marqué par le tarissement des nappes phréatiques et le stress hydrique accru. «Sur le plan historique, la réserve de biosphère n'a jamais vécu sept années consécutives de sécheresse. Les périodes documentées, jusqu'à présent, font état d'une moyenne de deux à trois années, ce qui rend cette situation exceptionnelle à plus d'un titre. De ce fait, l'espèce qui utilise plusieurs stratégies d'adaptation et des mécanismes physiologiques afin d'assurer sa longévité s'est trouvée très impactée par cette longue période de sécheresse alors que la viabilité de l'arbre a été gravement touchée», explique Abderrahman Ait Lhaj, chercheur et expert de l'arganier. Une chose est sûre, l'arganeraie ne sera pas régénérée aussitôt après les récentes précipitations malgré sa diversité génétique lui permettant de supporter les fluctuations climatiques. Quel péril pour l'arganeraie ? «Pour constater l'ampleur du taux de mortalité des arbres dont les proportions sont inconnues, il faut attendre au minimum trois mois. Ce délai est nécessaire pour percevoir la reprise des arbres étant donné l'aridité des sols avant le récent épisode pluvial, ce qui a aggravé la situation du système racinaire et sa capacité de survie», ajoute Ait Lhaj. Selon l'Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l'arganier (ANDZOA), «la réserve de biosphère est sérieusement impactée par cette septième année consécutive de déficit hydrique, combinée à la sécheresse atmosphérique causée par les vents chauds et caniculaires qui ont soufflé tout au long de l'année. «Bien que l'écosystème de l'arganier soit très résilient, les répercussions sur l'arbre avant les précipitations ont été palpables, car le couvert végétal a été complétement desséché. Sur le plan scientifique, on ne dispose pas de données solides par rapport à la capacité de résilience dont les limites doivent être étudiées de façon très poussée», souligne Lahcen Kenny, enseignant-chercheur et expert en arganier. Pis encore, l'effet de cette sécheresse ne s'est pas limité qu'à l'arganier, mais a touché l'ensemble du couvert végétal qui accompagne l'espèce. Il s'agit selon Lahcen Kenny, «des filières des plantes aromatiques et médicinales qui sont endémiques du Maroc et de la région de l'arganier en particulier, des cultures fourragères pour l'élevage ainsi que de l'activité apicole qui a subi de plein fouet les conséquences de la dégradation de la biodiversité floristique». Selon l'ANDZOA, au niveau de certaines stations géographiques, plusieurs variétés d'arbres sont en difficulté du fait du stress hydrique, ce qui les rend plus vulnérables aux attaques de certains parasites. Selon Ait Lhaj, «ce phénomène d'attaques d'insectes opportunistes, bien qu'il ait toujours été présent au sein de la forêt, a profité de la vulnérabilité de l'arbre. Son ampleur est constatée actuellement à l'œil nu puisque plusieurs galeries d'insectes ont gagné les bois robustes des arganiers, facilitant leur chute». La pollinisation par le vent ou par les insectes a été également affectée par cette succession de périodes de sécheresse et par la pénurie d'eau. Les changements climatiques entravent la réhabilitation et la régénération «En temps normal, pour produire un fruit d'un bon calibre, il faut avoir un croisement entre arbres (plantes allogames) grâce à la pollinisation», explique Ait Lhaj. Ce dernier insiste sur la réalisation d'une évaluation de la situation sur les limites de la résilience de l'arganeraie face aux changements climatiques et aux phénomènes extrêmes. «La majorité des publications scientifiques traitent de l'huile d'argan et de ses effets, mais on a oublié l'écosystème de l'arganier. La recherche scientifique doit s'orienter sur les multiples aspects immatériels de cet arbre. Grâce au Congrès international de l'arganier et à la création de l'ANDZOA, cette tendance commence à être inversée», tient à préciser l'expert. Il est ainsi certain que dans ce contexte, les changements climatiques rendent plus complexes les initiatives de régénération des forêts d'arganiers et constituent un défi majeur pour les efforts de réhabilitation des forêts. De plus, le respect des mises en défense des périmètres régénérés, essentielle à la croissance des jeunes plants, devient plus difficile à appliquer face aux besoins croissants des populations locales et du bétail. Selon l'ANEF, «cette situation a aussi provoqué une hausse des coûts des programmes de réhabilitation et de régénération, notamment le recours à l'irrigation artificielle pour soutenir les plantations d'arganiers. Ce besoin d'arrosage prolongé sur de longues périodes engendre une augmentation significative des coûts et limite l'extension des superficies restaurées». Pour rappel, dans le cadre de la stratégie «Forêts du Maroc 2020-2030», le programme de réhabilitation et de restauration des forêts d'arganier vise un objectif de 35.000 ha d'ici 2030 de régénération de l'arganier et la mise en œuvre d'un programme de réhabilitation de 400.000 ha. Il vise aussi le renforcement de la protection contre les incendies et l'amélioration des techniques de production de plants ainsi que des programmes d'expérimentation sur la régénération assistée de l'arganier. Le constat est le même pour la domestication de l'arganier et l'extension de sa culture en conduite moderne (arganiculture) pour atténuer l'effet de la sécheresse sur la forêt naturelle et améliorer la disponibilité des fruits via la plantation de 10.000 ha de verger d'arganier et 2000 ha de plantes aromatiques et médicinales. À cause de cet épisode de sécheresse, l'arganiculture se trouve également impactée puisque les estimations ont tablé sur une production au bout de la sixième année. Le challenge, depuis le lancement du programme, est de maintenir les plantes vivantes à cause de cette situation inédite de sécheresse. Arrêt de l'activité : un coup dur pour le tissu coopératif féminin Et la palette des répercussions désastreuses ne s'arrête pas là ! «Cette situation s'est directement répercutée sur les revenus des populations locales, notamment des femmes qui assurent tout le processus allant de la transformation de la récolte à l'extraction de l'huile des amendons. Ceci a accentué les inégalités sociales et économiques, en particulier pour les communautés rurales qui dépendent de cette activité pour leur subsistance», alerte Lahcen Kenny. Aujourd'hui, «la filière de l'arganier – qui emploie plus de 50.000 femmes, essentiellement dans le milieu rural – est en arrêt forcé d'activité», regrette Jamila Idbourrous, présidente de la Fédération nationale des femmes de la filière de l'arganeraie (FNFARGANE). D'après elle, cet arrêt d'activité est l'arbre qui cache une forêt de facteurs structurels touchant une filière englobant plus de 1.000 coopératives et groupements d'intérêt économique (GIE) au niveau de la transformation, selon l'ANDZOA, et quelque 900 petites et moyennes entreprises (PME) ainsi que des industriels et des exportateurs. Preuve à l'appui, la spéculation qui touche la filière a contribué à la rareté de la matière première et à une flambée spectaculaire des prix d'«afyach», passant de 2,50 ou 3 DH/kg à 14 DH/kg alors que «znin» (amendon) est passé de 70 à 220 DH/kg. Par conséquent, le prix de l'huile d'argan atteint désormais 600 DH/litre. Du jamais vu puisque la production globale du fruit a connu une baisse pouvant être estimée cette année, selon l'ANDZOA, à plus de 50%, particulièrement dans des zones soumises à des pratiques et des usages non rationnels. Tout au long de cette période de sécheresse, l'amont de la filière s'est caractérisé par une forte concurrence pour l'acquisition de la matière première entre les coopératives, d'une part, et des opérateurs privés, d'autre part. La multiplication des intermédiaires et leur coopération avec les entreprises privées tend à limiter les bénéfices que les ayants droit tirent du développement de la filière, au profit des acteurs de l'aval. Rareté et spéculation alimentent la flambée des cours À titre d'illustration, 70% des exportations nationales d'huile d'argan en 2019 ont été réalisées par les entreprises privées et 30% par les coopératives. Dans le même registre, la succession des années de sécheresse a réduit la production, conduit à une augmentation du prix du fruit et généré, ainsi qu'à une diminution du volume d'huile d'argan exportée. Les exportations ont, par ailleurs, enregistré une chute de plus de 50% en 2023, comparativement à la période 2018-2021, selon l'ANDZOA. En revanche, la valeur des exportations n'a pas été vraiment impactée, du fait de l'augmentation des prix (+170%). Cette situation résulte principalement de l'indisponibilité de la matière première, entraînant une flambée de plus de 60%. «Malgré la succession des périodes de sécheresse, la matière première, notamment «afyach» ou «znin» est toujours disponible sur le marché, ce qui prouve que les spéculateurs et les intermédiaires, qui disposent de moyens financiers et logistiques conséquents, l'ont collectée en constituant des stocks de deux à trois années. C'est ainsi qu'ils monopolisent le marché et contrôlent les prix», tient à préciser Jamila Idbourrous. Contexte oblige, avec la flambée actuelle des prix, les coopératives féminines ne peuvent plus produire puisque les coûts sont très élevés. «Tout au long de cette période, on constatait un recul permanent de la récolte, à tel point que la production a chuté de 70%. C'est ce qui nous contraint à éviter les grosses commandes, faute d'accès à la matière première», précise Fatima Amhri, présidente de la coopérative argan Ida Oumttate située dans la commune rurale de Tadrart relevant de la préfecture d'Agadir Ida-Outanane. Bien que la demande d'huile d'argan augmente continuellement, en particulier grâce au marché cosmétique, «les coopératives qui ont signé des contrats n'arrivent plus à respecter leurs engagements. D'où la nécessité de trouver une solution, notamment via les centres de collecte prévus par l'ANDZOA. Quant aux consommateurs marocains, ils ne peuvent plus s'offrir un litre d'huile d'argan compte tenu de son prix excessif», ajoute Jamila Idbourrous. Gestion coutumière Dans ce contexte, la femme, élément central de la filière, est devenue le maillon faible de la filière. «Il est essentiel de lutter contre la spéculation et les intermédiaires, qui font que la valeur ajoutée échappe à la femme rurale, tout en procédant à la structuration de la filière. Et ce, sans oublier la nécessité de réviser la loi régissant l'interprofession, basée sur la représentativité et les quantités produites, ce qui pèse sur le fonctionnement de la filière qui a un caractère social et solidaire», insiste Jamila Idbourrous. Notons que la filière a été marquée par l'éclosion de nouveaux arrivants sur le marché, exposant la forêt à une exploitation massive. «Avec cette pression sur la matière première, on constate que la pratique de mise en défens de l'arganeraie, appelée «Agdal», est violée sans cesse. Or, cette pratique de gestion coutumière a permis la préservation des ressources naturelles et l'organisation des activités sylvopastorales», alerte Jamila Idbourrous. Désormais, la matière première collectée par les familles est ramassée par des personnes qui ont des moyens logistiques et financiers plus importants. En attendant des jours meilleurs, puisque la production ne sera au rendez-vous qu'à l'été 2026, la filière est confrontée à un autre problème. «En raison de la forte diminution de la production, la majorité des femmes se sont reconverties à d'autres activités, notamment agricoles», explique Khadija Saye, présidente de la coopérative Aguerd relevant de la commune de Drarga. «C'est la troisième année que notre coopérative est déficitaire bien que nous ayons déjà réduit nos charges en raison du recul de la production et de la rareté de la matière première. Par conséquent, nos commandes ont baissé alors que les 120 femmes qui reçoivent leurs salaires chaque mois au sein de notre groupement se font payer par commande et de façon sporadique. Actuellement, seules 63 femmes sont restées», se désole Fatima Amhri. Le constat est le même auprès de Jamila Idbourrous. «Rien qu'au sein de notre union, qui regroupe 18 coopératives, seulement deux d'entre elles arrivent à maintenir leur activité grâce à d'autres produits alors que les autres sont à l'arrêt». Coopératives féminines : des leçons de résilience Selon l'ANDZOA, si la lecture de l'évolution du tissu coopératif fait ressortir une multiplication du nombre de coopératives, elle affiche aussi une tendance à la diminution du nombre moyen des adhérentes par coopérative. «Cette situation doit nous apprendre à mieux gérer le risque climatique et économique en préservant une partie des bénéfices pour ce genre de cas inédits», confie Fatima Amhri. De même, «après cette période difficile, le retour sur expérience doit nous apprendre à améliorer nos capacités d'adaptation, notamment la gestion de notre propre stock de matière première afin d'éviter d'être à la merci de la spéculation et de la flambée des prix du marché», témoigne pour sa part Khadija Saye, appelant aussi à la limitation de la vente en vrac. «Beaucoup de produits peuvent être fabriqués localement à condition d'accéder aux autorisations et agréments nécessaires» ajoute-elle. Selon Abderrahman Ait Lhaj, «la collecte, le dépulpage et le concassage doivent être au minimum assurés localement, ce qui inciterait les femmes à mieux gérer la forêt, d'où le projet des centres de collecte de l'ANDZOA. L'objectif est de mieux valoriser la matière première localement et de garder la valeur ajoutée dans le milieu rural, au niveau des localités et douars». Les pratiques et les savoirs ingénieux : un patrimoine en péril Les pratiques et les savoirs ingénieux hérités de plusieurs générations sont actuellement menacés. Outre la violation du principe d'Agdal, le recours au gaulage, qui consiste à frapper les branches avec un bâton pour faire tomber le fruit au sol, fait peser un énorme risque sur l'arganeraie. À cela s'ajoutent l'introduction de la mécanisation de certains processus de production et le désintérêt croissant pour l'activité. Cette situation risque de mener à une perte du savoir-faire et une rupture du transfert générationnel de ce patrimoine. En effet, les jeunes ne s'adonnent plus guère aux différentes étapes de la production de l'huile d'argan surtout les étapes de dépulpage et le concassage, qui se font de façon manuelle. Outre les impacts sur les composantes naturelles de l'écosystème, les changements climatiques provoquent un exode rural ainsi qu'un abandon de l'agriculture familiale et des pratiques de gestion des ressources naturelles. Ainsi, tous les savoirs et pratiques qui façonnent le patrimoine matériel et immatériel en la matière se retrouvent perturbés. La transmission du patrimoine immatériel et des pratiques ancestrales associées à l'arganier est en déclin, selon l'ANDZOA. La perte de ce patrimoine chez les jeunes générations peut compromettre la durabilité de cet écosystème essentiel aux équilibres écologiques puisque les savoir-faire traditionnels, portant spécifiquement sur l'extraction de l'huile et ses multiples usages, sont transmis par les femmes aux jeunes générations. Il est important de noter que la sécheresse a aussi touché les activités des villageois notamment agricoles et pastorales. «La perte du patrimoine immatériel s'aggrave hélas de génération en génération. Son transfert porté par l'élément humain risque d'être perdu par des facteurs d'introduction de mécanisation et de modernisation des techniques traditionnelles de l'arganier», estime Lahcen Kenny. Et Abderrahman Ait Lhaj de conclure que «les changements climatiques menacent ce patrimoine immatériel de l'arganier et affectent le maintien de ces savoirs et pratiques séculaires ainsi que leur transmission, et ce, du fait de la perte des repères et des lieux où ces pratiques s'exercent». Yassine Saber / Les Inspirations ECO