Retour sur l'effet tache d'huile et les perspectives politiques de la révolution tunisienne. Au cours des derniПres semaines, plusieurs personnes se sont immolОes en AlgОrie et au Maroc, И l'instar du jeune tunisien Mohamed Bouazzizi. Pensez-vous que la «RОvolution de Jasmin» va se rОpandre dans les pays voisins, l'AlgОrie et le Maroc ? Sans doute. Elle constitue un ferment puissant et agit dОjИ en catalyseur des aspirations populaires И la justice, И la dignitО et И la libertО, lesquelles sont les mРmes partout dans la rОgion. Mais on doit Оcarter toute idОe d'une contagion mОcanique et automatique, comme risquent de le faire penser les cas des jeunes immolОs ici et lИ. Chaque peuple empruntera sa voie spОcifique, en fonction des conditions particuliПres de sa formation sociale et du champ politique. Il ne faut pas exclure des possibilitОs de rОforme ou de rОvolution de palais ou mРme de demi-rОvolution. Ce qui est sЮr c'est que le tempОrament des peuples arabes est dОsormais au changement dОmocratique. Le risque de « contagion » existe-t-il dans d'autres pays du monde arabe (l'Egypte, la Jordanie, le YОmen…) ? A mon avis, si les Tunisiens parvenaient И Оviter l'anarchie et И mettre en place un ordre dОmocratique stable, tous les pays arabes seront concernОs, y compris, ceux des pays du Golfe qui pensent Рtre protОgОs par leurs confortables moyens financiers. La premiПre leНon de la rОvolution tunisienne est que la dignitО des peuples ne se rОduise pas И remplir les ventres ou mРme И amОliorer les conditions matОrielles de leur existence. Elle exige Оgalement la fin de l'exclusion, de la discrimination et de l'injustice de toutes les sortes. Les revendications sociales font partie intОgrante de la grande demande de citoyennetО qui semble Рtre aujourd'hui au cѕur de la rОvolte tunisienne. Et c'est ce qui manque cruellement aux peuples arabes. La pauvretО n'a jamais ОtО l'une des causes principales des rОvoltes sans parler des rОvolutions politiques. Le moteur de toutes les rОvolutions est la conscience de l'existence d'une grande injustice, que ce soit d'origine matОrielle ou morale, comme des inОgalitОs injustifiОes ou une exclusion du statut de citoyennetО. Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien Ennahdha, a annoncО qu'il prОparait son retour en Tunisie. Quelle place vont occuper selon vous les mouvements islamistes dans la transition politique ? Les islamistes tunisiens comme la plupart des islamistes arabes de nos jours ne revendiquent plus l'Оtablissement d'un Etat thОocratique. Et les Tunisiens en particulier n'ont pas cessО depuis plusieurs annОes d'affirmer leur adhОsion И l'idОal dОmocratique. Ces mouvements vivent tous И mon avis И l'heure de l'islam politique turc, et n'ont plus aucun enthousiasme pour le modПle iranien. S'ils continuent И tenir И cette ligne, ils vont constituer une composante majeure de la vie dОmocratique en Tunisie, et participeront positivement И son renforcement face И ses adversaires locaux et internationaux. Selon la Constitution, des Оlections gОnОrales doivent Рtre organisОes en Tunisie dans un dОlai de deux mois. Ce dОlai est-il tenable pour une campagne transparente aboutissant И un scrutin dОmocratique ? Je ne suis pas pour la prОcipitation dans l'organisation de ses Оlections, prОsidentielles et lОgislatives. Il faut peut-Рtre plus de temps pour que les acteurs puissent faire connaissance et Оlaborer des programmes politiques sОrieux. Mais tout dОpend du rОsultat de l'affrontement entre le mouvement de contestation qui semble se radicaliser contre le gouvernement provisoire qui s'est discrОditО en maintenant plusieurs ministres de Ben Ali dans leurs postes et qui ne cesse de perdre du terrain. Seul un gouvernement indОpendant, bОnОficiant de la confiance du peuple peut oser prendre de telles mesures et prolonger la pОriode transitoire. « Le moteur de toutes les révolutions est la conscience de l'existence d'une grande injustice, que ce soit d'origine matérielle ou morale ».