Il est des volontОs populaires que rien, surtout pas notre scepticisme, ne peut arrРter. D'une seule voix, le peuple tunisien a rugi. D'une seule voix, il a fait fuir vers le dОsert d'Arabie et de l'Histoire celui qui s'est rОvОlО n'Рtre finalement qu'un lion de pacotille. Pourtant, ce sont 23 ans d'une dictature И la poigne de fer qu'on croyait inoxydable qui ont ОtО balayОs. Une dictature qui a vu naФtre presque la totalitО de ces jeunes qui viennent de la renverser, au sortir d'une annОe, celle de 2010, dОcrОtОe «AnnОe mondiale de la jeunesse», par Ben Ali lui-mРme. La jeunesse tunisienne a propulsО son pays dans l'Пre de la dОmocratie, armОe de ses comptes twitter, pages Facebook, de ses camОras intОgrОes, et de ses blogs dressОs pour passer entre les gouttes de la cyber-censure. ArmОe d'une conscience en phase avec la marche du monde, forgОe au contact de la modernitО, d'une immense et sincПre soif de libertО et d'Оmancipation, armОe enfin de ses corps rОels bravant des balles tout aussi rОelles. En 29 jours, autonome et dОpolitisОe, elle a rОussi ce que partout dans le monde arabe des formations politiques dites opposantes, incarnОes par des «figures» au disque rayО, de plus en plus en mal de crОdibilitО, n'ont fait que rater et rerater tout au long de gОnОrations entiПres. La RОvolution tunisienne est l'ѕuvre d'une intelligence collective. Une RОvolution sans «prophПte». Comme ces Оquipes de foot qui jouent nettement mieux sans leurs stars (rappelez-vous la Mannschaft l'ОtО dernier sans Ballack), la RОvolution tunisienne a ОtО d'autant plus efficace et, disons-le, expОditive qu'elle a ОtО conduite sur un mode «collaboratif». Ses ressorts sont de la mРme essence que ceux de WikipОdia. Ce janvier, l'encyclopОdie libre fРte prОcisОment ses dix ans. De voir leur mayonnaise prendre de maniПre aussi fulgurante, la surprise des «rОvolutionnaires numОriques» tunisiens a dЮ Оgaler en intensitО celle des fondateurs de WikipОdia, Оbahis devant l'essor impossible И arrРter de leur fol projet de dОpart. La RОvolution tunisienne est la premiПre RОvolution Creative Commons de l'histoire. Il y a fallu le sang, le feu et la haute tension Mais il y a fallu des sacrifices. Il y a fallu le sang, le feu et la haute tension. La RОvolution tunisienne a ОclatО lorsque les aspirations et les espОrances de tous ont ОtО irradiОes par le dОsespoir puissant et Оnergique de quelques-uns. Les 30.000 volts qui ont brutalement mis fin, И 24 ans, И la vie de Houcine Neji, au sommet d'un poteau Оlectrique И Sidi Bouzid, sont les mРmes qui ont ОlectrocutО Ben Ali et l'ont ОjectО loin de la Tunisie dОsormais dОbarrassОe de sa tyrannie abjecte. Les flammes qui ont envoyО Mohamed Bouazizi, 26 ans, au Centre de traumatologie et des grands brЮlОs de Ben Arous, sont les mРmes qui ont fait de Ben Ali le grand brЮlО de la dОmocratie de ce dОbut de siПcle – la gloire en moins. A lui les palais de Jeddah, comme ils ont ОtО И d'autres tyrans avant lui. Pour justifier l'accueil de la famille prОsidentielle dОchue, l'Arabie Saoudite Оvoque des «circonstances exceptionnelles». En 1979, elle Оvoquait «la charitО islamique», s'agissant du sanguinaire ougandais Idi Amine Dada, restО en exil И Jeddah jusqu'И sa mort en 2003. Les dictateurs vieillissants de la région n'en dorment plus la nuit. RОvolution Creative Commons, disais-je. Si ce qualificatif est juste, alors il y aurait de quoi «partager». L'humanitО tout entiПre en a longtemps cru incapables les peuples arabes : faire leur RОvolution. Le dОmenti tunisien est historique. C'est aussi, indОniablement, une leНon. Les dictateurs vieillissants de la rОgion n'en dorment plus la nuit. Ils y pensent chaque matin en se rasant. Et chaque fois qu'ils teignent leur fausse tignasse en noir avec reflets soyeux et luisants. Falsifier ses cheveux pour paraФtre jeune aux yeux de son peuple, voilИ l'image la plus tristement risible qu'un dictateur peut, de nos jours, offrir И la face du monde. La RОvolution est tunisienne, mais dОjИ son ombre dОborde les frontiПres. ScandО en chѕur par des dizaines de milliers de manifestants lors de l'ultime rassemblement du 14 janvier sur l'avenue Bourguiba, l'hymne national tunisien se souviendra qu'il est l'ѕuvre du poПte Оgyptien, d'origine syrienne, Mustafa Sadiq Al-Rafi'i (aux deux cОlПbres vers d'Abou el Kacem Chebbi prПs). Tout aussi bien, les 186 ficus de la mРme avenue se rappelleront qu'ils sont originaires de Annaba l'algОrienne, d'oЭ ils ont ОtО importОs en 1859. La «dОbenalisation» et encore moins la «dОtrabelsisation» de la sociОtО tunisienne ne se feront pas du jour au lendemain. Une pОriode d'incertitude, de vide, voire de chaos relatif n'est pas И exclure. Souhaitons-lИ la plus courte possible. Mais surtout ne craignons rien pour l'avenir de la libertО des Tunisiens. Ils l'ont payОe suffisamment cher pour savoir que c'est dОsormais leur bien le plus prОcieux. C'est leur Йme enfin retrouvОe. Il faut, pour finir, dire un mot sur WikiLeaks. Beaucoup s'interrogent, И juste raison, sur le caractПre dОterminant des 17 cЙbles intОressant la Tunisie. Il y est question notamment des clans Ben Ali et Trabelsi, qualifiОs de «quasi mafia». Reprises sous la dОnomination Tunileaks, traduites et largement relayОes par des blogueurs locaux indОpendants et tout de courage, les fuites diplomatiques ont clairement contribuО И la cristallisation de la haine contre le rОgime. Dans un sens, Ben Ali ouvre le bal des victimes de l'Пre WikiLeaks. Tous ceux qui ont sous-estimО la portОe des «pseudo-rОvОlations» propulsОes par Julian Assange n'ont qu'И bien se tenir.