Considéré comme le plus américain des écrivains français, Gilles Leroy, continue de construire à coup de romans époustouflants un édifice littéraire d'une rare force narrative. Ancien journaliste venu à l'écriture en 1987, avec la publication du roman « Habibi » après succès retentissant de « Alabama Song », il signe le poignant « Zola Jackson ». n ces temps d'attente de prix littéraires, qui récompenseront dans les prochaines semaines des ouvrages qui ont accompagné nos nuits, habités nos heures jusqu'à la tombée du jour, pressentis pour certains pour les prestigieux Prix Goncourt et Renaudot, Le Soir, a souhaité revenir sur un auteur magistral, qui écrit avec ses tripes, décrit des états de crise, est un passionné de destins d'écorchés vif que l'on trouve dans les Etats d'Amérique : Gilles Leroy. L'homme est un écrivain de la trempe des plus grands scénaristes qu'Hollywood pourrait s'arracher et dont le talent rare, a déjà éclaté dans « Alabama Song » (éd.Mercure de France), Prix Goncourt 2007. D'emblée on peut se méfier des romans à « prix », mais on ne résiste pas longtemps à la musique brûlante, qui s'élève de la terre du Sud de l'Amérique des années 20. Le titre ne va pas tarder à sonner comme un requiem pour un amour. Un amour destructeur, fauché par les excès de l'alcool, les affres de la jalousie, la course à la folie de Zelda, jeune épouse de Scott Fitzgerald. Le couple mythique, qui apparaît indéniablement tels que des amants maudits, venimeux l'un pour l'autre, tient pourtant le temps d'une vie, ses excès participant peut-être à l'apogée de sa légende ? Lui, prédestiné à une brillante carrière d'écrivain, elle, fille d'un « magistrat moisi » d'Alabama, suffoquant dans la bourgeoisie de façade, désireuse d'échapper à son destin « de greluche sudiste ». Car c'est la voix de Zelda, qui rythme le récit. Et embarque le lecteur dans sa douleur, celle d'une jeune femme fantasque, qui étouffe au milieu de l'hypocrisie sociale de cette Amérique sudiste. C'est toujours Zelda, qui fait entendre la descente, l'agonie lente de ce couple trop jeune, trop beau. Scott Fitzgerald n'est alors plus qu'un ivrogne notoire et Zelda, flirte avec l'aliénation, internée au fil du roman en hôpital psychiatrique, ses rêves de danse et d'écriture évanouis. Aujourd'hui, Gilles Leroy a signé un roman encore plus proche de nous, « Zola Jackson » (éd.Mercure de France 2010). L'histoire d'une femme noire, ancienne institutrice, fille mère dont on ignore qui est le père de son fils. Ce fils prodige au teint clair et aux yeux verts, auteur d'une thèse. Il faudra en effet attendre les dernières pages pour découvrir qui est ce père, comme Zola, attend les secours en Louisiane, lors du passage de l'ouragan Katrina qui s'abat sur la Nouvelle-Orléans. Gilles Leroy, dit une nouvelle fois à travers la voix de Zola, les différences, l'étroitesse d'esprit, les secours qui tardent à arriver pour la communauté noire. « C'est une maison sans rideaux. Dans ce pays où tout le monde s'espionne et défend son espace, l'absence de rideaux jure un tel blasphème et je suis une hérétique. (…) Il ne faut pas grand-chose pour se faire détester dans ce pays où tout le monde aime son prochain, comme il est ordonné par la Constitution».