Longtemps, j'ai rêvé d'interviewer Nina Bouraoui. Chacune de ses apparitions dans des émissions littéraires me marquait étrangement… La tessiture de la voix, nette, précise, face à l'intervieweur, s'alliait parfaitement au regard jeune, constellé d'éclats verts, hypnotique. Saisissant comme le souvenir de ses différents romans. En 1991, « La Voyeuse interdite » (prix du Livre Inter), expression de son premier pas romanesque. Les œuvres suivantes qui l'imposaient dans le sérail littéraire parisien. Notamment « La Vie heureuse », en 2002, où elle dévoilait son amour pour les femmes : « (…) j'aime Diane, je suis milliardaire… » Un texte écrit dans un « état de grâce ». Suivront « Le jour du séisme » qui revient sur son histoire algérienne, « Poupée Bella », un journal intime. Jusqu'à son neuvième livre, « Mes mauvaises pensées », où elle impose son style tachycardique, sensuel, obsessionnel, où elle dit surtout pour la première fois son amour intarissable de l'Algérie. Confession troublante, inattendue qui lui vaut la consécration du grand public, après celle du prestigieux prix Renaudot 2005. Tout comme m'avait marqué son histoire, digne de celle d'une femme de son temps, se dévoilant au fil de son œuvre, dont on retrouve la langue et l'univers. Sa naissance en 1967, à Rennes. Sa mère bretonne, qui eut la force de défier le regard de son père en épousant par amour un Algérien, venu poursuivre ses études en France. Ce racisme que dit Nina Bouraoui, « j'ai vécu au sein de ma famille ». Ses deux pays, l'Algérie, où elle passe son enfance et à laquelle elle est arrachée à l'âge de 14 ans, en raison de la santé fragile de sa maman; et la France, que Nina a dû conquérir, face à son nouveau professeur de français. Sa seule terre n'est-elle pas l'écriture? Bouraoui signifiant en arabe « celui qui raconte. » Celle qui déclarait encore en 2002, « j'ai quatre problèmes: française? algérienne? fille? garçon » est aussi l'un des premiers écrivains à évoquer la violence des mariages mixtes. L'auteure prolifique, enfant de l'Algérie et de la France, dont les livres ont été des baumes pour les filles aimant les filles et les garçons désirant les garçons, n'en finit pas de surprendre, capable de faire de la littérature au détour d'une question, « mon écriture est un vice car je suis tentée de tout écrire », Nina, toujours, associant les passions de l'amour et de la littérature, où se mêle sensualité et violence, car « l'écriture est un brasier », continue d'explorer à travers son onzième roman, « Appelez-moi par mon prénom », les jeux de l'amour et de la passion entre la rencontre amoureuse d'un jeune homme de seize ans son aîné, avec une femme écrivain. Si Nina Bouraoui, laisse parler les voix de sa famille d'écrivains, Guibert, Ernaux, Leduc, entre les lignes du bel ouvrage, l'écho des amours du couple littéraire que formait Marguerite Duras et Yann André, résonne au fil de cette valse amoureuse, à coup de sms et d'e-mail, propres à l'air du temps. Elle pose de plus, la question de la relation entre le lecteur et son auteur. L'écriture dévoile-t-elle un auteur ? Révèle-t-elle ce qui touche à l'intime ? Nina, pour qui les livres doivent s'écouter, pareils à une musique, signe ensuite en 2010 avec son dernier opus, « Nos baisers sont des adieux », une symphonie rare aux prémices de l'art, de l'écriture, de l'amour. Elle dit à travers de ce grand œuvre, « une géographie intime, une géographie des sentiments.», découvrant un autre pan de son histoire en démiurge quittant peu à peu son art, blottie au creux de ses livres…