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Salim Jay : Nina Bouraoui et Mina Simpson : Du talent pour se chercher
Publié dans Le Soir Echos le 19 - 05 - 2010

Avec «Nos baisers sont des adieux » (Stock, 2010), Nina Bouraoui a séduit encore une fois de nombreux journalistes. La romancière experte en autofiction et qui fait œuvre d'introspection comme d'autres font œuvre de charité, dit s'y être raccordée aux hommes, aux femmes, aux objets et aux images qui ont construit sa personne. Le lecteur est ainsi  promené d'Alger à Paris, de Berlin à Zürich, entre 1972 et 2000. L'histoire de Nina Bouraoui racontée par elle-même, c'est un traité de paix signé entre deux escarmouches, lesquelles prennent la forme des phrases que nous lisons.  
Soyons francs, lorsqu'elle évoque la Suisse, nous relirons plus volontiers Fritz Zorn ou Ludwig Hohl. Mais trêve de plaisanterie, nous avons aussi la ressource, dans l'abondante production de Nina Bouraoui de retrouver la débutante inquiète d'elle-même, avec ses petits tourments traités aussi sérieusement que des événements historiques.     
Des deux pays où elle a vécu, l'Algérie et la France, Nina Bouraoui parlait dans «Garçon manqué» (Stock, 2000) avec un mélange de ressentiment et de rémanence pour finalement se dégager de leur emprise. Elle aspirait, en somme, à l'invention d'un pays intérieur.
Malgré une tendance aux afféteries, ses phrases la perçaient à jour en même temps qu'elles la décrivaient et la construisaient.
Ce qui attire, dans tous les livres de Nina Bouraoui, c'est l'impétuosité de la volonté d'entrer dans la vie. Mais une fois entrée, de qui et à qui tenir ? Cette jeune femme, de père algérien et de mère française, puise dans sa double appartenance une avidité de lucidité. Spontanément implaçable, elle est cependant rivée à la douceur. Elle se passionne pour sa propre personne en même temps qu'elle laisse infuser les secrets d'autrui. 
Du coup, elle n'est pas loin de devenir une jeune auteure à la mode puisque la conviction  d'être le centre du monde et d'en détenir l'explication drastique figure aujourd'hui au cahier des charges de tout auteur voulant être entendu. Heureusement, la sensibilité de Nina Bouraoui et son intelligence des paradoxes font mouche plus d'une fois. Il y a, dans cette introspection au scalpel, un désir de voyance comme un geste de peintre qui saurait magnifier, dénoncer, transmettre. 
C'est finalement la générosité du talent qui l'emporte sur une tendance certaine à se prendre pour un diamant noir. Une virtuosité parfois un peu appliquée ne brise pas le charme d'une voix avide d'être entendue et qui est encore plus convaincante lorsqu'elle se prend à chuchoter, en de rares instants d'alliance. Ce qui émouvait, dans «Garçon manqué», c'est le refus d'obtempérer face aux médiocrités rancies, la passion d'objecter en faveur de l'individu contre les violences du groupe.
L'Américaine Mona Simpson, dans «L'Ombre du père», traduit par Marianne Véron (Calmann-Lévy, 1995), racontait pour sa part la quête de Mayan Atassi, de père égyptien, abandonneur, et de mère américaine. La romancière, elle, est de père syrien. Si les parents sont des énigmes  lentement résolues par la fille dans «L'Ombre du père», ce sont les deux pays, l'Algérie et la France, dont le destin tourmente Nina Bouraoui à travers la place qu'ils lui font ou ne lui font pas. Grande différence entre celle-ci et celle-là, l'Américaine opte pour le road-movie autant qu'elle entreprend une investigation quasi -policière autour des liens filiaux. Elle évoque «l'enthousiasme victorieux des immigrants», les cousins égyptiens en Amérique. Nina Bouraoui décrit des déchirures, elle nous dévoile des déceptions et des manques, laisse éclater sa révolte. Elle est un sismographe qui indique, tour à tour, le désarroi ou la conquête de l'effusion. Qu'elle lise «L'Ombre du père» et elle verra comment s'intéresser activement à autrui, avec finesse et sympathie, n'empêche pas, bien au contraire, de voir plus clairement en soi. Car c'est en allant vers autrui que Nina Bourraoui écrit ses plus belles pages, enfin délivrée du narcissisme. Le talent de Mona Simspon est beaucoup plus ample. «L'Ombre du père » en témoigne, avec cette remarquable intuition chez la romancière américano-syrienne que tout silence sur l'amour qui fut, réclame que lumière soit faite. La distinction, la finesse, le tremblé des instants et des visages, un mélange d'acharnement dans l'enquête et de grâce dans la révélation, tout cela m'a ébloui.


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