Décidément, l'adoption du projet de loi de finances, la semaine écoulée, par la Chambre des représentants n'est pas une si bonne nouvelle que cela pour l'économie marocaine. Après son passage par la première Chambre, la loi de finances s'apprête en effet, à entamer le parcours d'adoption, procédural cette fois, à la deuxième Chambre en vue de sa mise en application, dans le meilleur des cas, courant mai prochain. C'est du jamais vu dans l'histoire du Maroc moderne. Aujourd'hui, ce fait inédit ne manque pas de soulever moult questionnements sur le devenir de l'économie marocaine, face à ce retard concédé dans l'élaboration, puis l'adoption, d'une loi de finances sensée constituer une feuille de route pour l'économie du royaume. En effet, nul n'ignore que, dans un contexte économique des plus difficiles, suite notamment aux effets de la sécheresse et à la conjoncture des principaux partenaires commerciaux du royaume, les espoirs de croissance pour cet exercice 2012, reposaient largement sur l'apport de la loi de finances, à la fois pour le soutien de la demande interne, ainsi que par la mise en œuvre d'une politique d'investissements publics rigoureuse. Pour ce qui est de la demande interne, force est de constater que le projet de loi de finances, en limitant le nombre de postes ouverts dans l'administration publique et en n'apportant pas de réformes concrètes à la Caisse de compensation (qui permettrait une meilleure redistribution du soutien aux prix), ne pourra apporter cette stimulation de la consommation attendue. Ceci étant, c'est surtout au niveau des investissements publics, qui ont longtemps constitué une locomotive de croissance, où le constat est le plus accablant. Certes, le gouvernement a fait l'effort d'augmenter les dépenses d'investissement à 188 MMDH. Cependant, bon nombre d'économistes et opérateurs doutent aujourd'hui de la capacité du pouvoir Exécutif à mettre en application effectivement ce budget. «Le retard dans le processus d'élaboration et d'adoption du projet limite de façon considérable l'impact attendu», déplore le Centre Marocain de conjoncture. Difficile en effet de croire que le gouvernement pourra exécuter, en sept mois, des projets d'investissements supérieurs à ceux réalisés tout au long de l'année 2011. Entre les démarches restantes pour la validation et la mise en œuvre effective de la loi de finances, le lancement des appels d'offres et l'attente de l'ouverture des plis, le délai se fait en effet, de plus en plus court pour lancer les projets programmés. De plus, le contexte budgétaire actuel, avec notamment l'objectif fixé par le gouvernement de ramener le déficit à 5%, devrait pousser très vite le gouvernement à opérer des arbitrages au niveau des dépenses. Or, les dépenses de personnel et la poursuite des projets déjà entamés, dont certains concernent particulièrement les partenaires étrangers (exemple du TGV), devraient induire une réduction sensible des budgets consacrés à de nouveaux investissements. Dans ce contexte, il devient de plus en plus évident que le facteur «investissements publics», aura des difficultés à jouer pleinement son rôle de locomotive pour la croissance en cet exercice 2012. Pourquoi avoir attendu ? Cela étant dit, dans le fond, plusieurs économistes jugent que le projet n'apporte pas, tel qu'il a été conçu, de véritable révolution en matière de soutien à l'économie. De l'avis même de certains membres du gouvernement, le projet de loi de finances soumis au vote, aura globalement été celui préparé par l'ancien gouvernement. De là, se pose la question : Pourquoi avoir attendu si longtemps pour finalement ne rien apporter de nouveau ? C'est là le principal reproche que la scène économique adresse aujourd'hui à l'Exécutif - Car dans le cas contraire, l'Etat aura eu plus de temps pour exécuter les mesures contenues dans le projet. Hicham El Moussaoui, Maître de conférence en économie et analyste pour le projet www.unmondelibre.org. «Sur le fond, l'année blanche sera difficile à éviter» Les Echos Quotidien : Nombreux sont les observateurs qui estiment que 2012 comme année blanche, qu'en pensez-vous ? Hicham El Moussaoui : Disons que sur la forme, l'année blanche a été évitée puisque, conformément à l'article 75 de la nouvelle Constitution, la loi de finances n'étant pas votée, le gouvernement a ouvert, par décret, les crédits nécessaires à la marche des services publics et à l'exercice de leur mission. Néanmoins, il n'en reste pas moins que ce retard enregistré dans l'adoption de la loi de finances constitue un réel handicap et que, sur le fond, l'année blanche sera difficile à éviter. Sans être pessimiste, lorsqu'on regarde le contenu de cette loi de finances, on constate que le nouveau gouvernement a perdu du temps pour rien, car il n'y a pas de véritable rupture par rapport au projet présenté par le gouvernement sortant et ceux antérieurs, puisque l'on continue toujours sur la même voie : chercher désespérément de la croissance avec un modèle inapproprié, puisque basé sur la stimulation de la demande interne, alors que l'offre interne manque de productivité et de compétitivité. Comble de l'ironie, on espère ramener le déficit budgétaire en dessous de 5% et c'est tout simplement contradictoire. Quelles sont les conséquences d'un tel scénario? Ce retard pris dans l'adoption de la loi de finances a pour première conséquence de réduire la marge de manœuvre du gouvernement de Benkirane, car la majeure partie de la loi de finances 2012 a été conçue par Salaheddine Mezouar. Ensuite, cette situation exacerbera la pression mise sur le nouveau gouvernement qui il faut le souligner, n'aura pas de période de grâce. Déjà, on parle des 100 jours de Benkirane et cette comparution immédiate risque de laisser de nombreuses séquelles : d'abord sur le capital sympathie dont bénéficiait jusque là le gouvernement de Benkirane et qui risque de s'effriter petit à petit, ensuite sur la cohésion du groupe gouvernemental qui a déjà montré ses limites. Or, la cohésion est fondamentale pour la réussite de l'action gouvernementale. Alors, que peut faire Benkirane pour gérer la situation ? Il est urgent que Benkirane ressoude son équipe et qu'il rompe avec toutes les improvisations qui ont caractérisé jusque là l'action et les sorties de ses ministres, afin que tous les membres tirent dans le même sens. Pour cela, il est impératif à mon avis que le gouvernement Benkirane nous propose une nouvelle stratégie pour développer le pays. En effet, le modèle poursuivi jusque là, fondé sur la stimulation de la demande interne, a certes permis de maintenir un semblant de croissance, mais a profité plus aux fournisseurs étrangers qu'à nos entreprises nationales, ce qui s'est traduit par une forte dégradation de nos équilibres macroéconomiques (déficit budgétaire, déficit de la balance commerciale, baisse des réserves de change) et donc de notre croissance dans le futur. De là émane la nécessité de changer d'approche pour créer plus de valeur et pour ce faire, il est besoin d'adopter une approche complémentaire à la stimulation de la demande interne, celle de la stimulation de l'offre interne, fondée sur l'amélioration de la productivité et de la compétitivité des entreprises. Quant à l'amélioration de la compétitivité, elle passe par la réduction des coûts de transactions et d'investissement pour les entrepreneurs, ce qui implique l'amélioration du climat des affaires, en plaçant la promotion de l'entreprise et de l'investissement privé au cœur du modèle de croissance marocain. Points de vue Non, 2012 n'est pas une année blanche. Certes, c'est une année budgétaire particulière, mais l'activité économique dans les établissements publics est en marche. Le gouvernement a augmenté l'investissement public de 25% par rapport à son niveau en 2011. Il appartient aux collectivités locales, aux administrations et entreprises publiques de faire preuve d'efficacité au niveau de la réalisation. Il ne faut pas oublier aussi la touche sociale apportée par le nouveau gouvernement tels le fonds de solidarité sociale de caisses, les emplois publics, l'exonération de la TVA sur les médicaments des maladies chroniques,.... On attend le projet de LF 2013 pour des réformes plus profondes. Abdelaziz El Omari, président du groupe parlementaire PJD. Après une étude que nous avons menée, nous avons conclu que l'année 2012 est une année blanche. Avec l'adoption du projet de loi de finances 2012 par la Chambre des représentants en avril, les amendements ne seront totalement livrés que d'ici juin. Ainsi, les appels d'offres n'auront lieu qu'en juillet, ce qui ne peut que retarder l'adoption du projet de loi au parlement jusqu'à la fin de 2012. Ceci pourrait avoir des conséquences graves sur l'investissement. 188 milliards de dirhams n'ont pas été investis jusqu'à présent. Or, ce sont 57% des entreprises qui travaillent avec l'Etat. On peut imaginer le manque à gagner pour ces entités. Abdelatif Wahbi, chef du groupe parlementaire PAM. L'année serait blanche même si le projet de loi de finances avait été adopté en début d'année. Le contexte actuel est extrêmement difficile, notamment avec la crise que connaissent nos partenaires étrangers. La France, l'Espagne ou plus globalement l'Europe, qui étaient jusque-là les principaux investisseurs, pourvoyeurs de touristes et de recettes des MRE, sont dans une situation économique difficile. À cela, il faut ajouter la sécheresse, inhabituelle en comparaison avec les cinq dernières années. Le contenu en soi du projet de loi de finances n'apporte malheureusement pas de réponses à ces contraintes. Pour ce qui est des investissements, l'importance du budget n'est qu'un effet d'annonce. Les difficultés qui naissent des contraintes conjoncturelles précitées vont orienter le budget vers les besoins essentiels de l'Etat au détriment de l'investissement. L'engagement sur certains grands chantiers, tel le TGV que le gouvernement annonce aujourd'hui comme stratégique, va absorber ce qui restera pour le volet de l'investissement. Au niveau de la demande interne, la relance de la consommation aurait pu se faire via des mesures concernant les salaires ou encore la fiscalité... Il n'en est finalement rien. Seul signal positif à ce sujet, l'augmentation des crédits destinés aux ménages ces derniers mois, qui reste indépendante de la loi de finances. Mehdi Lahlou, Economiste. Il est clair que le retard aura un impact sur l'activité du BTP. Certes, le budget dédié à l'investissement est très important et s'inscrit en hausse par rapport à l'année écoulée. Néanmoins, il est connu que même dans les exercices où la loi de finances ne connaît pas de retard, les budgets ne sont généralement pas exécutés à 100%. Tout dépendra donc du rythme avec lequel l'Etat exécutera son budget. Sur le volet du contenu, nous sommes particulièrement satisfaits des mesures dédiées au logement social et économique, avec le rabaissement du seuil de 500 à 200 unités pour bénéficier de l'exonération. Certes, nous aurions pu espérer que l'exonération bénéficie plus aux acquéreurs et non aux promoteurs. Cependant, rien que la mesure du rabaissement permet aujourd'hui à des opérateurs du BTP de pouvoir s'introduire dans ce secteur et nous espérons qu'en 2013, le seuil soit davantage rabaissé. Ceci ne fera que plaider pour une meilleure qualité dans la production de ces logements. Au niveau des délais de paiements, pour l'instant nous n'avons pas senti un rallongement dans les chantiers lancés par l'Etat à cause de ce retard dans la loi de finances. Bouchaib Benhamida, Président de la fédération du BTP.