Mezouar est dans une situation des plus inconfortables. Il termine son mandat actuel, en tant que ministre de l'Economie et des Finances sur une note très négative en dépit de laquelle il doit proposer un projet de Loi de finances 2012 des plus audacieux. Comment réussir cet exercice sans griller toutes les cartes qui pourront lui permettre de garder intactes ses chances «politiques» pour les prochaines élections? Jamais une Loi de finances n'aura pareilles polémiques. Opérateurs, économistes et observateurs se plaignent du retard accusé dans l'élaboration du Budget. D'habitude, à cette période de l'année, le département des Finances avait déjà validé sa lettre de cadrage et les réunions s'enchaînaient pour arrêter les estimations de Budget, en vue de proposer le projet de Loi de finances à l'ouverture de la session parlementaire du printemps. Cette année, il n'en est rien... ou presque. Auprès du ministère, on affirme que la lettre de cadrage a été finalisée et qu'elle pourrait être dévoilée à la fin de cette semaine ou au plus tard au début de la semaine prochaine. Mais au delà de l'aspect purement procédural, c'est dans le contenu et les pistes qu'avancera le ministre et ses équipes pour maintenir les équilibres macro-économiques, tout en préservant la dynamique de croissance actuelle, que tout le débat se situe. Ce qui rend la tâche encore plus ardue, c'est le climat politique et social exceptionnel que vit le royaume en ce moment. «Il est difficile, dans la conjoncture actuelle, d'avoir de la visibilité sur ce que comportera le projet», avance Mohamed Hdid, expert-comptable et président de la Commission fiscalité au sein de la CGEM. Même son de cloche auprès des parlementaires qui s'impatientent et pressent le ministre de leur présenter un état détaillé de l'exécution de la Loi de finances 2011 et des perspectives 2012. «Nous avons en effet peu de visibilité sur le projet de Loi de finances», confirme Khalid El Hariri, vice-président de la commission des finances au sein du Parlement. Il faut dire que le contexte est des plus difficiles à gérer pour un ministre des Finances dont le mandat arrive à terme et qui a l'ambition de revenir au gouvernement par la grande porte à l'issue des prochaines élections. Les problématiques du Budget 2011 n'ont pas encore trouvé d'issue, avec notamment des charges inattendues qui ont creusé le déficit désormais attendu à près de 6% en fin d'année, dans le meilleur des cas, que l'Exécutif aura tout le mal du monde à combler. «Le gouvernement a pris des engagements sans avoir de visibilité sur les moyens pour assurer leur financement», ajoute le parlementaire. Ce dernier se plaint même du fait que le ministre des Finances tarde à répondre à l'invitation de la commission des finances pour lui permettre de s'enquérir de la situation. Des inquiétudes que le département de Mezouar tente d'appaiser, affirmant que «le passage devant le parlement est prévu dans les jours qui viennent, c'est juste une question d'agenda». Pour le moment, les équipes sont sur le pied de guerre pour faire et défaire les calculs nécessaires au fignolage du Budget 2012 et de l'exécution de celui de 2011 sur la première moitié de l'année. La réunion sera ainsi l'occasion de dévoiler les grandes lignes de la lettre de cadrage et les moyens préconisés pour le financement du déficit de l'exercice actuel qui devrait frôler les 57 milliards de DH en fin 2011. Ce n'est pas gagné ! Et la partie n'est pas gagnée d'avance car le prochain Budget devra répondre aux exigences royales tout en annonçant le ton des défis du prochain gouvernement. Sachant que le gouvernement actuel devra très certainement passer le relais en octobre prochain (date avancée pour les prochaines élections) il n'est pas pour autant exonéré de présenter un projet de Loi de finances viable et surtout défendable devant le parlement. C'est à dire que le texte devra comporter les solutions à l'impasse actuelle mais aussi anticiper sur les enjeux pour le prochain gouvernement dont on ne connaît pas encore la couleur. C'est bien là où Mezouar a une double carte à jouer. «Le projet de Loi de finances reste très lié aux prochaines échéances électorales. Si les élections législatives sont tenues en octobre, le prochain gouvernement aura toute aptitude à modifier le projet de loi proposé par le gouvernement actuel», souligne El Hariri. En attendant, Mezouar aura fort à faire pour arriver à inclure les orientations à vocation sociale décidées in extremis par l'équipe El Fassi, et dont l'impact financier ne se ressentira que sur le budget de l'année prochaine. La difficulté à ce niveau réside surtout dans le fait que pareilles orientations ne peuvent être retenues sans enfoncer davantage le clou en matière de déficit public. Parallèlement, ne pas tenir compte de l'aspect social dans le cadre de la Loi de finances 2012 serait, selon les observateurs politiques, un coup fatal à Mezouar et son parti, le RNI, dans la course aux prochaines législatives. Une sorte de cercle vicieux où chaque pas est compté et où la prudence est de mise. Cette fois Mezouar échappera-t-il au scénario de l'austérité qu'il a évité de justesse l'année dernière ? Si en 2011 le gouvernement s'est refusé de qualifier la réduction d'une partie des dépenses des administrations en tant que telle, cette année il devra incontestablement se résigner à le faire. Néanmoins, les résultats ne seront pas ceux attendus vu que seule une réduction des budgets alloués aux matériels et services achetés pourra être espérée, l'Etat ayant déjà promis d'inclure dans le budget du personnel les dépenses relatives au recrutement de milliers de diplômés chômeurs. Au même moment, «il ne faudra pas espérer de grands changements au niveau fiscal vu le nombre de réformes prioritaires (ndlr : réformes politiques, loi organique des finances, réformes de la compensation...) que l'on doit mener avant», ajoute Mohamed Hdid. Marge de manœuvre limitée Quel que soit donc le choix du ministère des Finances, ce qui est sûr c'est que «les perspectives budgétaires pour l'année 2012 ne semblent pas offrir des marges de manœuvre suffisantes pour faire jouer à la dépense publique un rôle de premier plan de soutien à l'activité et à la croissance». C'est du moins ce qu'avancaient avec certitude les experts du Centre marocain de conjoncture dans leur dernière livraison du mois de juillet. En effet, au-delà des aspects problématiques précités, d'autres, d'ordre purement économique, font pleinement partie de la phase d'élaboration du budget. La première renvoie directement à l'héritage laissé par les malheurs de l'exercice budgétaire actuel. «Le bouclage difficile du Budget de l'année 2011 avec les charges supplémentaires induites par la compensation ainsi que par les revalorisations salariales est assez révélateur», relève le CMC. Ce point sera particulièrement mis sous le feu des projecteurs lors de l'élaboration du projet, vu que la réforme qui y est relative est une nouvelle fois renvoyée aux calendes grecques. «On ne peut pas continuer à subventionner des produits sociaux sans s'assurer que cela permet d'améliorer la productivité. Mais cette mission demande avant tout du courage politique», avait récemment brandi Driss Benali lors d'un débat organisé par l'institut Amadeus. Par ailleurs, de tous les aspects économiques dont il faudra tenir compte, celui de la concrétisation de la libéralisation des échanges commerciaux sera sans conteste une autre nouveauté pesante à laquelle le ministère des Finances devra consacrer une attention particulière. Pour cause, l'impact économique sur les recettes publiques risque de peser lourd sur l'équilibre budgétaire. C'est dire que pour clore son mandat à la tête des Finances, Salaheddine Mezouar avancera sur un terrain miné où chaque pas devra être calculé au millimètre près. C'est tout son avenir politique qui est en jeu. Au moins 4 % de croissance Le projet de Loi de finances devra être la première indication de ce que prévoit le gouvernement comme taux de croissance pour l'année prochaine. À ce titre, on peut d'ores et déjà dire que «le scénario de croissance en 2012 repose globalement sur des hypothèses qui, par différents aspects, s'apparentent à celles retenues précédemment», souligne-t-on auprès du Centre marocain de conjoncture. Si l'on se fie aux estimations de ce dernier, l'économie nationale devrait enregistrer en 2012 un taux de croissance de 4,1 %. «Même s'il se révèle en définitive proche de celui projeté pour l'année 2011, ce rythme de croissance peut être l'annonciateur d'un nouveau cycle économique ascendant favorisé par le nouveau contexte politique», ajoute le CMC. Cela dit, l'expérience nous a démontré que les prévisions du ministère des Finances prises en considération dans l'élaboration du budget faisaient état d'un taux de croissance supérieur aux prévisions du CMC. Dans ce contexte, on devrait s'attendre aujourd'hui à ce que la tutelle considère la croissance économique du royaume pour 2012 proche de 5%, soit un niveau semblable à celui de l'exercice en cours. Cette hypothèse est d'autant plus justifiée lorsqu'on sait que les premières estimations de la prochaine saison agricole font déjà ressortir une hausse de la récolte céréalière. L'agriculture encore et toujours L'information est tombée en milieu de semaine écoulée et laisse aujourd'hui planer un espoir de la poursuite de l'évolution favorable du secteur agricole national. Le Conseil international des céréales a, en effet, annoncé qu'il s'attendait à une hausse de la production mondiale de céréales au terme de la saison 2011-2012, notamment grâce à l'augmentation des récoles en Europe, en Inde, en Russie, aux Etats-Unis et au Maroc. Dans ce contexte, on pourrait déjà prévoir que Mezouar tiendra compte dans son projet de Loi de finances d'une récolte céréalière supérieure à celle réalisée cette année et qui a dépassé la barre de 80 millions de quintaux. À moins qu'il ne privilégie une nouvelle fois la stratégie de prudence prônée déjà dans le cadre de la Loi de finances 2011, en prévision notamment de précipitations hors saison qui risquent d'affecter la qualité de la récolte. Cela n'empêche que le secteur agricole devrait une nouvelle fois tirer vers le haut la croissance économique du pays avec un taux de croissance agricole tournant autour des 5%. Contourner l'impact de la libéralisation C'est incontestablement le tournant économique du royaume et dont Mezouar devra tenir compte dans son exercice d'élaboration du projet de Loi de finances 2012. Il s'agit de la libération des échanges commerciaux, notamment avec le passage des droits de douane sur les produits européens à 0% dès mars prochain. Pour l'heure, la Direction des douanes et des impôts indirects s'abstient de parler de baisse des recettes issues des droits d'importation, principalement en raison de la compensation des méfaits de la libéralisation sur ses caisses par les mesures de rigueur, de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Il est donc clair que l'enjeu réside dans la recherche de nouvelles niches pour compenser l'impact de la libéralisation. À ce titre, les espoirs du ministère des Finances devraient reposer sur l'élargissement de l'assiette imposable relevant de la douane afin d'assurer une évolution positive des droits de douane, de la TVA et des taxes intérieures de consommation. Ces dernières constituent pour rappel 40% des recettes publiques. Le scénario qui reste le plus probable à cette heure est de garder, au même niveau qu'en 2011, les prévisions recettes issues des activités de la douane, soit aux alentours de 13 MMDH. Ceci étant, ce qui est sûr c'est que l'exercice 2012 aura plus l'air d'une année test pour évaluer l'impact de cette libéralisation et en faire une référence pour l'élaboration des lois de finances suivantes. Touche pas à mon impôt ! C'est le nerf de la guerre, Mezouar osera-t-il toucher à la fiscalité dans ce qui devrait être l'ultime projet de Loi de finances de son mandat ? À ce titre, c'est le flou total dans le milieu des finances, mais une chose est sûre : le contexte actuel n'est pas favorable à plus de concessions fiscales de l'Etat. La tant attendue réforme de la TVA ne semble donc pas être d'actualité. Déjà en 2011, Mezouar n'osait pas y toucher en raison du contexte difficile des finances publiques. Ce même contexte n'a, depuis, fait qu'empirer et il serait trop prétentieux de croire à une quelconque réforme d'une taxe qui représente à elle seule le tiers des recettes publiques. De plus, le projet de Loi de finances 2012 devrait consacrer cette taxe comme un moyen de limiter le déficit budgétaire, avec notamment une hausse attendue des recettes de TVA en lien direct avec l'évolution favorable de la demande interne. Du côté de l'IS et l'IGR, il ne faudra pas s'attendre à grand-chose, sauf si les Finances décident d'adopter un nouveau rabaissement du taux de l'IS au profit des TPE, dans le cadre de la lutte contre l'informel. Cette action serait ainsi pensée pour renforcer les actions d'élargissement de l'assiette fiscale. La CGEM avait déjà proposé un taux de 10% l'année dernière mais qui finalement a été retenu à 15%. Il ne faudrait donc pas exclure un alignement de la loi de finances 2012 sur le taux proposé par le patronat en 2011 ou, du moins, une refonte des seuils d'éligibilité des TPE/PME à ce taux préférentiel. Dans ce contexte, les recettes fiscales devraient maintenir leur rythme ascendant surtout dans une conjoncture où l'économie nationale est, une nouvelle fois, attendue en croissance soutenue. Investir, mais à quel prix ? L'Etat cessera-t-il de jouer le rôle de locomotive de la croissance en réduisant son enveloppe dédiée à l'investissement public ? Certes, la volonté des pouvoirs publics de tirer vers le haut la dynamique d'investissement dans le royaume a toujours été clamée haut et fort. Cependant, il faudrait encore s'en donner les moyens. C'est là un autre dilemme dans le cadre de l'élaboration du projet de Loi de finances. Déjà en 2011, le budget dédié à ce poste a été difficilement maintenu au même niveau qu'en 2010, soit 167 MMDH contre 162 MMDH. Au cours de l'exercice 2011, il s'est finalement avéré que ce choix fut trop ambitieux vu que l'Etat s'est vu obligé de couper dans ce poste pour limiter l'aggravation du déficit budgétaire. Si, pour l'heure, on ignore toujours l'ampleur de cette coupe budgétaire à l'horizon fin 2011, on sait déjà que pour 2012, l'équation ne sera pas non plus aisée à résoudre. Pourtant, le gouvernement n'a pas trop le choix : l'engagement du royaume dans des politiques de développement sectorielles, dont la majorité s'étendra au moins jusqu'en 2015, oblige l'Etat à mettre la main à la poche pour soutenir l'investissement dans ces secteurs. Ceci d'autant plus que les orientations royales du dernier discours du trône, devant servir de base pour l'élaboration du budget, ont été on ne peut plus claires à ce sujet. L'enjeu est donc de trouver une parade pour maintenir au moins le budget d'investissement à son niveau des dernières années. À ce titre, Mezouar aura certainement fort à faire pour convaincre les parlementaires de valider son budget avec un déficit budgétaire inévitable en cas de maintien du même rythme des investissements publics. Une mission des plus complexes lorsqu'on sait que le ministre des Finances ne pourra pas une nouvelle fois brandir la carte de la réduction des charges de fonctionnement en contrepoids, vu que ce joker a déjà été puisé sans trop de succès. L'idée de lancer un fonds de soutien des investissements en 2011 sauvera-t-elle la face du gouvernement pour la LDF 2012? Point de vue Zakaria Fahim, Expert-comptable et consultant économique Le discours du Trône a mis l'accent sur le fait que c'est l'entreprise qui crée de la vraie valeur. Il s'agit là d'un levier très important puisque l'idée, par exemple, de stimuler et d'insuffler une nouvelle dynamique à l'esprit entrepreneurial aura forcément des impacts sur le système éducatif. Aujourd'hui, nous avons un marché intérieur très fort, qui pourrait absorber la production nationale et c'est vers un soutien à l'émergence de la classe moyenne et à la réduction de la pauvreté chez les couches sociales les plus défavorisées qu'il faudrait s'atteler, en évitant toutefois de sombrer dans la logique de la charité pour s'orienter plus vers la création de valeur. Ce sont là les orientations royales pour le futur gouvernement.