Les pêcheurs côtiers se retrouvent avec une marge de manoeuvre limitée du fait de l'état de leur flotte. Les armateurs veulent lier le repos biologique à la rentabilisation de leurs investissements. Les transformateurs exigent des débarquements de meilleure qualité. L'ensemble des opérateurs a demandé un délai avant de se prononcer. C'est mal parti pour le plan d'aménagement de la pêcherie pélagique présenté par le ministère des Pêches maritimes à la profession le 20 octobre dernier. Il est vrai que les responsables du département s'attendaient à ce que les négociations ne soient pas de tout repos, mais ils ne prévoyaient pas autant de résistance. Mais il faut dire que les enjeux sont de taille. Le pélagique représente plus de 80 % des débarquements de poisson au Maroc et un chiffre d'affaires à la halle de près de 1,5 milliard de DH par an. Pour mieux harmoniser leurs positions et argumenter leurs propositions, les opérateurs du secteur ont demandé un délai supplémentaire avant la communication de leurs suggestions et observations au ministère. Ainsi, après les chambres maritimes, c'était au tour des industriels de demander cette semaine une prorogation du délai jusqu'à fin novembre. En attendant, le ton est déjà donné. Les armateurs côtiers adoptent pratiquement la position la plus extrême. «nNous regrettons que le projet qui nous a été communiqué après plusieurs années d'attente ne prend pas en considération les principes et les propositions des pêcheur », confient-ils. Point par point, ils passent en revue les différentes dispositions du projet du ministère. D'abord les quotas. «Les 20 000 tonnes allouées à la pêche côtière nationale sont insuffisants, à l'heure même où un quota de 60 000 tonnes de petits pélagiques est accordé aux Européens au sud de Sidi Ifini, ce qui risque de causer des dommages irréversibles à la biomasse et de mettre en danger l'ensemble de l'activité pêche industrielle. Les professionnels s'opposent donc catégoriquement à ce principe de quota», annonce Lahcen Bejdiguen, président de la Confédération de la pêche côtière. Ses confrères voient aussi d'un mauvais œil la disposition obligeant les côtiers de pêcher à 3 miles, maximum, des côtes. Les industriels de la farine veulent affréter eux-mêmes les bateaux Les côtiers se retrouvent, en fait, piégés. D'un côté l'état de leur flotte ne leur permet pas d'opérer aussi loin des côtes, car rares sont ceux qui ont investi dans des bateaux à la coque d'acier permettant unez plus grande autonomie en mer. De l'autre, les industriels leur opposent l'argument de la qualité. Après les sorties répétées des conserveurs, c'est au tour des producteurs de farine de poisson de s'y mettre. Ces derniers mènent actuellement une campagne et veulent définitivement rompre avec l'image qui leur colle, celle de simples broyeurs de sardine. «Nous refuserons de nous approvisionner de chez les côtiers s'ils ne nous proposent pas un poisson conservé à au moins – 5° . Aujourd'hui encore, nous continuons à accepter de la sardine dont la température de conservation atteint 18°. Le marché mondial exige une marchandise plus protéinée», souligne Hassan Sentissi opérateur major du secteur et président de la Fédération des industries de la pêche. Les industriels de la farine de poisson donnent ici un avant-goût de ce qui pourrait être leur principale revendication : avoir accès à la ressource en disposant de leurs propres licences de pêche. Une demande soumise préalablement par les conserveurs. Les requêtes de ces derniers ont été partiellement satisfaites par la première version du plan d'aménagement puisqu'elle leur donne droit à un quotas d'appoint de 120 000 tonnes dans le stock C (pêcheries du Sud). Les conserveurs jugent toutefois le niveau des captures proposées, tout segments confondus, faible par rapport au potentiel existant. «Un million de tonnes est permis pour une biomasse de 5,47 millions, soit à peine 18 % au moment où le stock A (Nord) et B (centre) dans la façade nord de l'Atlantique est exploité à hauteur de 52 % ». Les industriels devront donc croiser le fer avec les armateurs. Les côtiers veulent que des contrats d'approvisionnement soient conclus entre conserveurs et pêcheurs afin de préserver leurs débouchés. «L'industrie au sud de Boujdour ne peut avoir droit d'accès à la ressource. Les accès doivent se faire par reconversion de céphalopodiers et utilisation de la senne ou par des sardiniers traditionnels engagés par contrats avec des conserveurs. Des projets intégrés peuvent être autorisés au sud de Boujdour, mais l'affrètement et les chalutiers pélagiques doivent être exclus», explique le président de la Confédération de la pêche côtière. Autre point d'achoppement, les périodes de repos biologique, prévus, d'après la mouture du ministère, pour juillet-août et décembre-janvier au niveau d'Agadir, Tan Tan et de Laâyoune. Selon les armateurs, «les arrêts biologiques prévus ne prennent pas en considération les contraintes de rentabilisation de la flotte. Les professionnels réclament depuis plusieurs années un arrêt biologique de 2 à 3 mois. Cet arrêt pourrait être observé de février à avril ou de janvier à mars et doit même être étendu au nord de Sidi Ifni». En résumé, estiment les côtiers, «l'esprit et les dispositions du projet de plan d'aménagement de la pêcherie pélagique sont en sérieux décalage avec les soucis de préservation de la ressource et de développement durable». Les intérêts divergents donc au sein du secteur. Chaque segment tire la couverture de son côté et il est fort probable qu'à fin novembre les opérateurs partent en rangs dispersés pour négocier, avec le ministère, l'avenir de leur secteur. Affrètements, le système qui divise Les affrètements pélagiques accordés aux industriels congélateurs du sud divisent toujours les opérateurs du secteur. Les premiers qui en avaient bénéficié étaient ceux de Dakhla. Selon différentes sources, le ministère s'apprêterait à accorder les mêmes avantages aux congélateurs reconvertis de Laâyoune. Leur quota serait de 90 000 tonnes. Contrairement à ceux de Dakhla qui ne sont tenus de débarquer que 20 % à terre et congeler le reste à bord, les bénéficiaires des affrètements de Laâyoune devraient débarquer 80 % des prises contre 20 % de congélation à bord. Les rangs, selon les intérêts sont dispersés. Un industriel sur la liste des bénéficiaires potentiels salue «la justice qui sera rendue aux unités de congélation de Laâyoune par l'actuel ministre», au moment où les côtiers dénigrent cette décision. Ces derniers s'opposent au principe de congélation à bord qui «doit être banni». Selon eux, «ce système présente un ensemble d'inconvénients dont la consécration de l'économie de rente au profit de quelques bénéficiaires». Au lieu de créer des emplois, il en détruit et ne prend pas en considération la préservation de la ressource, déplore-t-on. «En effet, un chalutier pélagique congélateur dispose d'une capacité de pêche quotidienne qui varie entre 400 et 800 tonnes. Par contre sa capacité de congélation ne dépasse pas les 250 tonnes par jour. Le résultat est alors un rejet massif des captures non traitées», est-il expliqué. Ce point est pratiquement le seul qui fait l'unanimité entre côtiers et conserveurs. Ces derniers estiment également que le poisson congelé en mer, une fois usiné par les pays importateurs, devient un concurrent sérieux pour la conserve nationale.