Les discussions entre Marocains et Espagnols vont bon train. Mohand Laenser, ministre de l'Agriculture et des pêches maritimes, rencontrera son homologue espagnol au mois de novembre. Depuis 1999, le secteur fait du surplace. «Il s'agit plutôt de reprise de contact et non pas de négociations !». Dans l'entourage de Mohand Laenser, ministre en charge du délicat dossier de la pêche, la prudence est de mise. Par discrétion diplomatique et en perspective des prochaines réunions entre les responsables marocains et leurs homologues espagnols, les représentants du ministère sont peu prolixes et la consigne est respectée par tous. Au secrétariat général du département, on se borne à indiquer que le calendrier des rendez-vous est chargé. Une première rencontre a ainsi eu lieu, durant la semaine du 4 au 8 octobre, entre les responsables respectifs chargés du volet de la formation. Le mois de novembre devra connaître quant à lui l'envoi du bateau scientifique Vizconde De Eza, qui entreprendra ses recherches en étroite collaboration avec l'INRH (Institut national de la recherche halieutique). Les professionnels marocains sont contre tout accès à la ressource Mais c'est la réunion que devrait tenir, durant le même mois, Mohand Laenser avec son homologue espagnol qui cristallisera toutes les attentions. Côté marocain, on ne cache pas la volonté d'inscrire la coopération maroco-espagnole dans un nouveau cadre. Une sorte de package global qui prendra en considération l'ensemble des paramètres régissant les relations maroco-ibériques et qui préservera les intérêts mutuels. Cette situation n'empêche toutefois pas certains observateurs avertis de spéculer sur la forme de cet accord. Ceci en partant du fait que la recherche scientifique espagnole s'intéressera particulièrement aux eaux profondes et rocheuses – des pêcheries encore inaccessibles aux Marocains -, qu'elle s'attellera à évaluer la biomasse ainsi que la faisabilité de son exploitation et de sa mise sur le marché et que les Marocains souhaitent un transfert du savoir-faire espagnol, notamment dans les domaines de l'aquaculture (élevage de poulpe et d'espèces nobles…), de la formation et de la recherche. Va-t-on alors accorder l'accès à ces pêcheries en contrepartie de l'assistance technique et scientifique espagnole ? Le Maroc a été doublement perdant : gestion approximative de la ressource et baisse des recettes Dans tous les cas, si accord il y a, il n'est pas pour bientôt. Les pays de l'UE ne pouvant pas engager de négociations bilatérales sur des accords d'exploitation ou des accords de ressource, les rencontres avec l'Espagne ne sont donc qu'une première étape. N'empêche, les professionnels marocains se positionnent d'ores et déjà contre tout accès à la ressource. Deux arguments principaux sont avancés. Le premier, d'ordre biologique, concerne l'état de la ressource. Le deuxième, d'ordre commercial, a trait à «la concurrence à laquelle seront soumis les exportateurs marocains par rapport à un poisson marocain pêché par les Espagnols», argumente Fouad Alali, armateur hauturier et exportateur. Aujourd'hui, la reprise des contacts est favorisée avant tout par le changement à la tête du gouvernement espagnol. Les déclarations de bonnes intentions sont légion. Mais avant de tenir compte des pressions des armateurs locaux, concernant l'opportunité ou non de conclure cet accord, la partie marocaine se doit d'abord de dresser le bilan de ces quatre années de non-accord, c'est-à-dire d'absence des bateaux espagnols dans ses eaux territoriales. Et là, le bilan n'est pas reluisant. Les experts s'accordent à dire que la gestion du secteur durant cette période a été marquée par l'absence de toute continuité dans l'action de l'Etat, dans un secteur connu pour la ténacité de ses lobbies. Chaque ministre venait avec sa propre vision, lorsqu'il en disposait, et mettait souvent en veilleuse les actions entreprises par son prédécesseur. Au ministère des Pêches, on annonce que «les objectifs recherchés à travers la non-reconduction de l'accord de pêche ont été atteints. La consommation par habitant a atteint 11 kg en 2003 contre seulement 7 en 1999 et la production est passée de 760 000 tonnes, à la veille du départ de la flotte européenne, à 914 000 en 2003, soit un saut de 20%». Or, en matière de revenus, l'augmentation n'a pas été aussi évidente. Bien au contraire, une régression de 4 % a été enregistrée. La valeur des débarquements entre les deux dates est passée de 4,8 milliards de DH à 4,7 milliards. L'explication tient, entre autres, à une mauvaise gestion de la ressource et surtout à l'absence de valeur ajoutée supplémentaire en quatre ans ! Ce qui fait dire aujourd'hui à certains observateurs que le Maroc a été doublement perdant : une gestion approximative de la ressource et une perte sèche de la contrepartie financière. On est bien loin de l'euphorie qui avait marqué l'expiration du dernier accord, quand toutes les parties (pouvoirs publics et opérateurs) étaient unanimes pour ne pas le reconduire. L'on avançait alors la volonté des Marocains de prendre en main le développement du secteur, jugé prioritaire au niveau national, compte tenu de sa participation à hauteur de 2,5 % au PIB et du nombre d'emplois qu'il offre, soit près de 400 000. Seulement 8 000 emplois créés en quatre ans Le Plan quinquennal annoncé alors ambitionnait de changer le visage du littoral à l'échéance 2003. Or, aujourd'hui, au terme de quatre années de non-accord, le bilan n'est pas des meilleurs. Les problèmes sont de plus en plus palpables et se manifestent à travers l'absence d'une stratégie cohérente de l'Etat, une gestion approximative de la ressource, le retard enregistré dans la mise à niveau, la puissance des lobbies qui brouillent souvent les cartes et l'informel, dont les jours sont aujourd'hui menacés avec la contrainte de la traçabilité pour l'accès au marché européen. A cela s'ajoutent les conditions de travail précaires de la majorité des 114 436 marins et officiers qu'emploie le secteur. Un chiffre, un seul, peut résumer la stagnation dans laquelle a évolué le secteur: en quatre ans, selon les statistiques du département de M. Laenser, la Pêche n'a créé que 8 000 emplois. Un chiffre éloquent qui traduit la faible dynamique de croissance durant cette période. Une précision s'impose toutefois pour le nuancer : les investissements dans le secteur sont toujours gelés. Ceci expliquerait en partie cette stagnation, sans pour autant la justifier. L'adoption du contrat-programme mort-né aurait pu également contribuer à sortir le secteur de sa léthargie. Mais, apparemment, ni l'Etat ni les opérateurs n'en voulaient. 35 % des débarquements de pélagiques sont transformés en farine Selon un professionnel de la pêche côtière, «le principal point faible qui entrave l'élaboration d'une stratégie cohérente est la non-maîtrise ou plutôt la connaissance approximative de la biomasse». En effet, la connaissance exacte de la ressource est un préalable à toute stratégie de développement. L'approche jusqu'à aujourd'hui prônée a montré ses limites en raison de la modestie des moyens mis en œuvre. Une situation que le Maroc partage avec d'autres pays, même plus développés. D'où l'idée qui fraye aujourd'hui son chemin, celle de la «pêche sentinelle» qui consiste à associer les bateaux de pêche à l'évaluation de la ressource. Reste que l'augmentation de la participation du secteur à la création de richesse passe nécessairement par la mise à niveau de ses différents maillons. L'activité congélation veut troquer le poulpe contre le pélagique Si la valeur commerciale aux débarquements est constante voire en tendance baissière, c'est principalement en raison des conditions de pêche, particulièrement dans la pêcherie côtière caractérisée par la vétusté de ses navires. Les infrastructures d'accueil sont également souvent inappropriées. Raison pour laquelle une forte dépréciation à la vente est enregistrée. Une dépréciation reflétée par le fait que 84 % des débarquements des pélagiques (35 % du total des débarquements) sont destinés à être transformés en farine de poisson contre seulement 20,5 % pour la conserve et semi-conserve et à peine 3,6% pour la congélation, une activité concentrée dans le sud, particulièrement à Dakhla, et dont l'expansion date du passage de Thami El Khyari à la Pêche. En pleine crise aujourd'hui, cette branche est en train de faire sa mue pour troquer le poulpe contre le pélagique. Une reconversion qui reste dépendante en partie de la formation des marins pêcheurs de l'artisanale de la région au métier de la pêche des autres espèces. Le programme de villages de pêcheurs et de points de débarquement en cours de réalisation devra normalement répondre à ce besoin. Les contraintes au développement du secteur peuvent également être relevées au niveau du marché à l'export et du marché intérieur, dernières étapes de la filière de la commercialisation des produits de la mer. Au niveau de l'export, le Maroc se trouve, depuis la fin de l'accord, devant un marché fortement demandeur. Toutefois, le secteur ne profite pas pleinement de cette situation. Aujourd'hui, les exportateurs marocains agissent en fournisseurs et non en opérateurs (c'est-à-dire créateurs de valeur ajoutée) sur les marchés internationaux. Une partie importante des marges bénéficiaires, atteignant parfois les 30 %, est accaparée par des intermédiaires internationaux. De plus, le produit marocain, malgré la noblesse des espèces exportées, est présenté au niveau des marchés européens dans des conditions de qualité moyenne due à l'état vétuste des moyens de production, principalement ceux de la flotte côtière, et de manutention. Aujourd'hui, le Maroc compte quelque 447 bateaux hauturiers et 2 470 bateaux côtiers, en plus de quelque 6 000 barques artisanales concurrencées, à hauteur du double, par les embarcations clandestines concentrées dans le sud. Concernant la flotte côtière en particulier, seuls 1 845 bateaux ont été opérationnels en 2003, dominés par les chalutiers, les senneurs et les palangriers. Une bonne partie de cette flotte se trouve dans un état vétuste ne permettant pas d'assurer la valeur commerciale souhaitée au poisson pêché. À noter également que la majorité écrasante de cette flotte est construite en bois, même si quelques expériences rares de bateaux côtiers en acier ont vu le jour ces dernières années. Des expériences qui demeurent somme toute très limitées Concernant le marché intérieur, le Marocain demeure un faible consommateur de poisson. Ce faible niveau montre qu'il est encore possible d'élargir ce marché à une condition : mettre à niveau et normaliser les circuits de la distribution des produits de la mer. Certes, la consommation par habitant est passée de 7 à 11 kg par an et le tonnage capturé a augmenté. Mais la valeur des prises a diminué en 4 ans.