Vous ne trouverez les photos de cette grande dame nulle part sur Internet. Et pourtant, Nina Baldoui a fait l'histoire. Elle a fait introduire la danse classique au Maroc dans les années 40. Dans un long article que j'ai publié en arabe en septembre 1981 dans la prestigieuse revue marocaine, Les Arts (Al fenoun), je lui rendais hommage pour sa grande contribution à la culture au Maroc. Née en 1911 à Sofia en Bulgarie, d'une grande famille russe, Nina Baldoui (Née Doubiasky) vit une partie de sa jeunesse à Paris où elle est engagée comme danseuse au Chatelet. Plus tard, lors d'une escale au Maroc, elle fera la rencontre de son mari, Jean Baldoui, un peintre français et directeur des arts indigènes à Rabat. Avec sa mère, Mme Stark, Nina ouvrira la première école de danse classique dans la capitale marocaine. Les princesses ont aussitôt fait appel à ses services. C'est au palais royal qu'elle initia les Lalla Aicha, Lalla Malika et Lalla Nezha à la danse! Après un long parcours de danseuse, chorégraphe et professeure, elle a rendu possible en 1968 la création d'une troupe de danse marocaine dont le fondateur est Hamid Kiran. La rencontre de ce grand artiste (Peintre-poète-danseur-chorégraphe) avec Nina Baldoui a donné lieu à une des plus belles et fructueuses manifestation artistiques et sociales au Maroc. Ils ont rendu accessible à tous, un art dit inaccessible. Sur trois décennies, le FRAT (Foyer de recherche artistique et théâtrale) a formé gratuitement beaucoup de jeunes dont plusieurs, issus de familles modestes, ont fait carrière en Europe. Said Elouardi, un des premiers membres du FRAT, après ses études en art dramatique en Egypte, il a enrichi la troupe en y apportant le théâtre. J'ai eu le bonheur de l'avoir comme professeur et metteur-en-scène. Au sein du FRAT, Nina Baldoui était notre présidente d'honneur, notre mécène et notre ange-gardien. Cette dame était l'élégance, la beauté et la générosité en personne. Pour décrire sa grandeur d'âme, les mots, même en arabe, ne suffiraient pas! La première fois qu'elle m'a adressé la parole, j'étais en pleine répétition pour le ballet Carmen avec tous les membres de la troupe sous la direction de Hamid. Elle a interrompu notre danse pour exprimer une urgence. Elle voulait à tout prix ne pas manquer la finale du mondial 1978. Le foot ne l'intéressait nullement, mais la finale, pour elle, c'est un moment de communion planétaire. Elle tenait à en faire partie. De tous les danseurs, c'est moi qu'elle a choisi pour l'accompagner dans ce café populaire où elle a été la seule femme à oser y entrer. Troublés par la présence de cette silhouette sortie tout droit d'un ballet russe, les hommes se sont tous levés pour lui accorder une place "Non, non, restez assis, je vais me contenter des escaliers". Assise sur les marches elle regardait le match à travers les barreaux qui longent l'escalier. Et moi, je la regardais faire sa communion. En quittant le café, elle m'a appris que c'est l'Argentine qui a gagné 3 à 1 contre le Pays bas. En regagnant le studio de danse, j'ai retrouvé Carmen de Bizet, mais à partir de ce jour Nina Baldoui est entrée dans ma vie pour toujours!