Jérusalem, Cheikh Jarrah, Akka, Tamra, Bethléem… Judaïsation et nettoyage ethnique à grande vitesse. L'état des routes palestiniennes est médiocre, voire lamentable, alors que les villes israéliennes sont reliées par de larges autoroutes éclairées et verdoyantes… mis à part les villes arabes mal desservies et mal signalées. La Cisjordanie est parsemée de colonies rutilantes, reliées entre elles par des routes réservées aux seuls colons et bâties sur des terres expropriées. Sans parler de la division des Territoires occupés en trois zones par les accords d'Oslo : la zone A sous autorité palestinienne mais où les militaires israéliens peuvent intervenir à tout moment ; la zone B sous autorité «commune» ; et la C déclarée zone militaire interdite. Sans parler, non plus, de Gaza. Entourée d'un mur côté terre, et de vedettes militaires côté mer, Gaza est surnommée la prison à ciel ouvert. Rien n'y parvient, ni nourriture, ni produits de première nécessité, ni ciment, ni matériaux de (re)construction, ni jouets, ni couteaux de vaisselle, ni moyens de locomotion, pas même des chaises roulantes… D'où les projets de flottilles de solidarité internationale qui vont en se multipliant pour faire parvenir de l'aide à Gaza et briser le blocus israélien. L'arrimage particulièrement violent de l'une d'entre elle avait coûté la vie à 9 Turcs et un Américain, en plus de nombreux blessés. Comment aussi ne pas parler de la Vallée du Jourdain. Sise en zone C, c'est là que se situent les terres les plus fertiles, exploitées par des colons juifs protégés par des barrières électriques. Les bédouins arabes y sont alimentés en eau seulement 5 heures et 2 fois par semaine… alors que l'eau coule en abondance pour les serres géantes qui parsèment le territoire, dont celles de Karmel, la célèbre marque israélienne de fruits et légumes. «C'est notre eau, mais ils préfèrent la donner aux arbres plutôt qu'à nous. Nous n'avons pas le droit d'exporter nos produits ni même de les vendre en Israël, sauf pour les dattes, que nous vendons aux sociétés de gros israéliennes qui les reconditionnent à leur nom et ajoutent la mention Made in Israël», explique Zidène, exploitant de palmiers dattiers à Jetflek, village de 5 000 arabes bédouins. «Ils ont aussi détruit ma maison, mais je leur ai promis qu'autant de fois qu'ils la détruiraient je la reconstruirai», ajoute-t-il. Témoignage de la cruauté et de l'impunité des militaires israéliens : alors que nous nous rendons par bus dans la Vallée du Jourdain, j'aperçois sur le bas-côté un jeune palestinien d'une vingtaine d'années, à genoux, pieds et poings liés, dos à un muret et face à la route. Il est entouré de plusieurs militaires, dont un le pointe de son fusil, sur la tête, à moins de 2 mètres ! Le coup pourrait partir comme rien, la bavure est au bout d'un simple tressautement de doigt… Au check-point menant de Jérusalem à Ramallah, alors que nous sommes contrôlés sans ménagement, j'aperçois sur la file d'à côté – réservée aux automobilistes palestiniens- un militaire tendre sa main par la fenêtre avant droite de la voiture et retirer de l'arrière un micro de cinéma ; il demande au conducteur d'augmenter le son de sa cassette, puis il se met à danser sous nos yeux et ceux du conducteur incrédule. Pour le plaisir. A un autre contrôle, alors que nous sommes une douzaine de Français dans un véhicule, nous nous faisons traiter de «merde» en anglais par une très jeune militaire israélienne. Enfin, et sans vouloir être exhaustif, alors que je me promène dans le quartier arabe de la vieille ville de Jérusalem, je remarque une personne à côté de moi aux cheveux torsadés et habillée d'un costume noir sur une chemise blanche, caractéristiques des religieux ultra-orthodoxes. Il grignote des pépites, et crache impunément la cosse sur la tête d'un enfant palestinien qui marche devant lui. Le silence international, dont celui de pays arabes, sur les exactions israéliennes est sidérant. Mieux, plus les exactions sont violentes et nombreuses, plus elles semblent récompensées : rehaussement des relations de l'Europe avec Israël sous l'impulsion de la France ; adhésion à l'OCDE ; obstructions diverses, principalement des Etats-Unis et de la France, à toutes sortes de condamnations ou poursuites internationales contre Israël ; vétos américains aux tentatives de résolutions de l'ONU ; silence autour du rapport Goldstone qui, commandé par l'ONU à la suite de l'invasion de Gaza l'année dernière, accuse Israël de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité ; réception des autorités israéliennes dans les chancelleries européennes et arabes ; lancement par le gouvernement français d'une campagne pernicieuse pour criminaliser les citoyens qui boycottent les produits en provenance des colonies, sous le motif fallacieux d'antisémitisme. Et ce, malgré ce qui se passe aux check points, les arrestations arbitraires, les assassinats ciblés, l'invasion et le blocus de Gaza, la dépossession des terres et des maisons, la multiplication des colonies, les morts par balles et la torture, la judaïsation croissante des quartiers arabes, la purification ethnique et l'apartheid, la mort quotidienne d'enfants à Gaza faute de nourriture et de soins, le mépris répété envers les résolutions de l'ONU… Pour beaucoup cela relève de la complicité. La rue palestinienne ne croit plus dans l'empathie occidentale, ni dans la solidarité arabe. Mais la détermination ne faillit pas. Et la conscience politique reste de mise. Je suis notamment – et ce, fort agréablement- surpris d'entendre la totalité de mes interlocuteurs palestiniens mettre en cause la politique d'Israël et faire une distinction clairement justifiée et assumée entre Juifs et Israéliens. Tous insistent sur le fait que le conflit est un conflit de colonisation et non un conflit ethnique ou religieux. Pour Sélim, directeur de l'association pour les handicapés du camp de réfugiés de Shu'fat, «nous ne les aimons ni ne les détestons, ce n'est pas un sujet pour nous, tout ce que nous méprisons c'est seulement ce qu'ils nous font subir». L'argumentaire est limpide et ne laisse pas de doute sur une éventuelle mauvaise foi.
Israël : une société en crise Certes, j'ai rencontré des gens de l'intelligentsia intellectuelle et politique, également des gens de la rue, mais pas des gens du Hamas par exemple. Je suis cependant largement convaincu par la spontanéité des positions, et mon préjugé sur une propension élevée à l'antisémitisme chez les Palestiniens, sans doute sous l'influence des médias occidentaux mais aussi suite à la violence de la deuxième Intifada, est totalement battu en brèche… malgré cette seule exception : un vieillard, manchot, avec lequel j'ai conversé dans une gargote de Ramallah et qui était clairement remonté contre «les Juifs»… C'était un ancien compagnon de combat de Yasser Arafat, dans les années 80, au Liban, où il avait perdu un bras à cause d'un obus israélien. On le voit, la situation est insoutenable pour les Palestiniens, entourés par ailleurs de murs de béton de 6 à 8 m de hauteur. Mais la situation à l'intérieur de la société israélienne est tout aussi explosive. C'est une société divisée en couches ethniques où Juifs ashkénazes, Juifs russophones, Sépharades (juifs du Maghreb), Falachas (juifs d'Afrique noire) et Arabes sont des citoyens respectivement de 1ère, 2e, 3e, 4e et 5e zones. Israël est une démocratie ethnique selon l'analyse de Sammy Smooha, professeur de sociologie à l'université de Haïfa. Le système électoral ne permet pas de dégager de majorité au gouvernement et les religieux, qui représentent moins de 15% de la population, font et défont les majorités et empêchent le pays de se doter d'une Constitution. A Tel Aviv, les colons se promènent dans la rue pistolet à la ceinture. A Jérusalem, dans les bus, les femmes sont séparées des hommes. La société israélienne, sous l'effet d'une communication médiatique délibérément entretenue, est persuadée que son existence même est menacée. Un pays ne peut vivre dans une telle tension, sous la pression des colons et des groupes religieux ultra-orthodoxes, sans déchirements destructeurs. Une tension fondée sur des pratiques racistes, l'expropriation, une politique qui s'apparente à l'apartheid et la purification ethnique(*). La peur des attentats, l'appréhension d'une guerre imminente avec l'Iran, l'impression que le monde entier, et arabe en particulier, en veulent au Juifs et que l'antisémitisme est en croissance partout, les accusations de génocide et de crimes contre l'humanité du rapport Goldstone, les tensions du gouvernement Netanyahu avec l'administration Obama… Tous ces facteurs affectent le moral des Israéliens et cultivent leur conviction d'être les victimes et les incompris sur Terre. Les colons et les religieux ultra-orthodoxes sont un abcès pour l'équilibre de la société israélienne. A Jérusalem, où ils déterminent pour beaucoup la politique, leur intégrisme et leur extrémisme sont tellement voyants et oppressants que les citoyens de Tel-Aviv, ville ouverte et moderne, considèrent la ville sainte comme invivable et infréquentable. En 2008, le nombre d'Israéliens à avoir quitté Jérusalem était supérieur à celui des nouveaux arrivants, et Intel, le célèbre fabriquant de processeurs, n'a pu pour l'instant ouvrir ses usines le samedi pour cause de protestation des religieux. Le taux moyen de natalité chez les ultra-orthodoxes est de 7 enfants par femme. A Mea Sharim, le quartier juif orthodoxe de Jérusalem, les rues sont fermés à la circulation la veille et le jour du sabbat. «Quand on entre dans Mea Sharim on revient des siècles en arrière. On y parle yiddish, pas hébreu, c'est la Pologne du XVIIIè siècle», dit France Info, principale radio d'information continue française. Le quartier n'a ni parabole, ni télévision, ni internet. Les écoles primaires religieuses enseignent la Torah et le Talmud à longueur de journée. Ni maths, ni sciences naturelles, ni langues étrangères, ni technologie. 27% des enfants israéliens vont aujourd'hui dans des écoles religieuses… contre 6% en 1948. Selon le maire de Tel-Aviv, l'Etat finance des écoles qui cultivent l'ignorance et présentent un danger pour la démocratie. Parmi les colons, le débat qui fait rage actuellement est de savoir s'ils devront prendre les armes pour défendre leurs acquis au cas où le gouvernement décidait, dans le cadre d'un accord avec les Palestiniens, de se retirer de certaines colonies ! Malgré cela, mon préjugé sur l'arabophobie et l'islamophobie des Israéliens est également battu en brèche. A Cheikh Jarrah, sur les quelque 500 manifestants venus protester contre les expulsions de Palestiniens plus de 90% étaient israéliens ; à Bil'in, Ni'lin, Al Ma'asara, Beit Jalah et tant d'autres villages, ce sont des dizaines, parfois des centaines d'Israéliens qui viennent apporter leur soutien à la manifestation du vendredi ; Gush Shalom et La Paix Maintenant, ainsi que Physicians for Human Rights (voir encadré) et d'autres font du bon travail. Ils sont de plus en plus nombreux à refuser de faire la guerre dans les Territoires occupés. Finalement, bien que minoritaires dans le pays, ces gens de bien sont légion. On sent une véritable prise de conscience surtout chez les jeunes et le cinéma israélien, de très bonne facture, en interrogeant les guerres d'Israël, la colonisation, le voisinage avec les Palestiniens, fait bouger les frontières. En définitive, Israël se veut être l'Etat de tous les Juifs alors qu'il ne parvient pas à assurer la sécurité et le bien-être de ses citoyens. Israël tend à devenir l'Etat où les Juifs sont le moins en sécurité dans le monde. Ceux qui y viennent réaliser leur alya sont souvent des religieux extrémistes à famille nombreuse qui modifient l'ordre démographique aux dépens de la laïcité. Israël est confronté à un dilemme à la fois vital et peut-être insurmontable : en rejetant l'Etat laïc, l'Etat d'Israël est otage de l'Etat juif. (*) Une loi vient de passer il y a quelques semaines visant à expulser vers Gaza 80 000 Palestiniens de Cisjordanie. A lire aussi Palestine, Israel, ce que j'ai vu (1ère partie) Palestine, Israel, ce que j'ai vu (2ème partie) Rencontre avec Gush Shalom