Selon le gouvernement, la grève du 13 mai a enregistré des taux de participation assez élevés dans certaines administrations. La CDT a choisi de ne pas en être et maintient sa grève générale du 21 mai en solo. Calculs politiques, querelles de représentativité, les syndicats n'ont pas oublié les vieilles rancœurs. Mardi 13 mai, 18h. Difficile encore d'estimer l'impact de la grève organisée par l'UMT, la FDT, l'ODT et l'UNMT. «Nous ne sommes pas tout à fait satisfaits des résultats, mais nous considérons que le message à l'égard du gouvernement est passé», indique d'emblée Abdessamad Merini, membre du bureau national et secrétaire général du syndicat des collectivités locales de l'UNTM. «Je pense que le bilan est positif. Selon nos estimations, le taux de participation a évolué entre 80 et 90%, et la grève a connu un franc succès dans les grands ministères : l'éducation nationale, les finances, la santé publique et l'agriculture», explique Abderrahim Handouf, membre du bureau national de l'union syndicale de l'UMT. Sans surprise, Rabat, capitale administrative du royaume, a été particulièrement touchée, mais le mouvement aurait été suivi de manière relativement homogène à travers le pays. Les chiffres livrés par le ministère de la modernisation des secteurs publics ont d'ailleurs beau être plus modérés, ils confirment la première impression. En effet, alors que les syndicats tablaient la veille sur un taux de participation de 80 à 90%, le nombre de grévistes a été compris, selon le ministère, entre 1,7% pour l'emploi et 80% pour l'éducation, et il a largement dépassé la barre des 50% dans plusieurs ministères. L'opération a donc été un franc succès du point de vue syndical, malgré l'absence de deux poids lourds : l'UGTM, qui ne s'est pas départie de sa réserve depuis la nomination à la Primature du secrétaire général de l'Istiqlal, Abbas El Fassi, et la CDT, plus libre de ses mouvements, mais qui avait annoncé dès le 3 mai dernier son intention d'organiser sa propre grève, générale cette fois, le 21 mai prochain. La centrale de Noubir Amaoui vise en effet à toucher aussi bien le privé que le public pour protester contre la hausse des prix et veut réclamer une augmentation des salaires de 500 DH nets par mois et la baisse immédiate de l'impôt sur le revenu. Des revendications qui ressemblent étrangement à celles des autres syndicats, sauf qu'à la CDT on souligne que l'action du 21 mai n'a rien à voir avec celle du 13 mai. La grève du 21 mai aura-t-elle autant d'impact que la précédente? Une chose est sûre, à en croire les responsables de part et d'autre, la CDT devra mener l'opération seule. A défaut du soutien des autres centrales syndicales, la CDT pourrait quand même bénéficier du soutien des «coordinations de lutte contre la hausse des prix». Un coup de pouce qui devrait procéder davantage d'un hasard du calendrier que d'une volonté de coopération particulière. En effet, si, au niveau central, l'appel lancé la semaine dernière en direction des 90 tansikiate pour que ces dernières se solidarisent avec les grèves du 13 et du 21 mai a été accueilli positivement, le délai était un peu trop court pour le débrayage de la semaine dernière. «Le délai pour la grève du 13 mai était peut-être un peu court, il est possible que le 21, les coordinations organisent des sit-in le même jour», explique Abdesslam Adib, responsable de la coordination du mouvement contre la hausse des prix. L'UGTM en retrait Pendant ce temps, l'UGTM, qui annonce d'emblée son intention de ne pas descendre dans l'arène, critique vertement les autres centrales. «L'assemblée générale de l'UGTM a noté que, sur le plan syndical, ce gouvernement a satisfait en 5 mois une série de revendications dans le public, le privé, mais aussi des secteurs qui n'en avaient jamais profité comme le secteur agricole», souligne Mohamed Benjelloun Andaloussi, secrétaire général de l'UGTM. «Il nous a également accordé une augmentation générale de 10% au niveau des salaires et une série d'autres mesures dont la valeur globale s'élève à 16 milliards de DH et auxquelles s'ajoutent les fonds débloqués pour les collectivités locales», indique le nouveau patron de l'UGTM, insistant sur le fait que les acquis récoltés durant les 5 premiers mois du mandat de M. El Fassi sont tout de même importants. «Si nous avons accepté moins face aux gouvernements précédents, nous ne pouvons pas refuser l'offre du gouvernement actuel», souligne-t-il. «Nous estimons que le dialogue social est toujours en cours. Les discussions se poursuivent et on nous a promis un projet pour septembre. Quel mal y a-t-il donc à attendre ?», s'interroge de son côté Khadija Zoumi, membre du Conseil exécutif de l'UGTM, qui remarque que, contrairement à ce qui s'était passé sous le mandat Jettou, les prix à la pompe, eux, n'ont pas bougé depuis septembre. Au-delà du soutien, bien prévisible, du syndicat au secrétaire général de l'Istiqlal, il faut reconnaître que l'équipe El Fassi évolue dans une conjoncture bien plus difficile que le gouvernement précédent. Face à la série de hausses suscitée par l'escalade du baril, le gouvernement a été, entre autres, amené à rallonger le budget de la Caisse de compensation de 10 milliards de DH, une mesure particulièrement onéreuse qui ne l'a pas empêché d'accorder des concessions record aux syndicats. Un sacrifice d'autant plus important que la conjoncture pourrait devenir encore plus difficile dans les mois à venir, mais qui aura laissé de marbre les syndicats qui estiment ces mesures insuffisantes pour compenser la hausse du coût de la vie au cours des deux dernières années. Mohamed Benjelloun Andaloussi laisse entendre que les protestations actuelles pourraient ne pas être dépourvues de calculs politiques. «L'objectif à présent ne serait-il pas de faire tomber le gouvernement ?», s'interroge-t-il, soulignant que faire chuter un gouvernement qui a fait autant de concessions revient à menacer la fameuse «méthodologie» démocratique qui a consisté à ce que ce soit le patron du parti qui s'est classé premier aux élections qui accède à la Primature. Et, pour appuyer sa thèse, il s'interroge : «Si les revendications sont justes, pourquoi y a-t-il alors une grève le 13 mai et une autre le 21 ?» Il est vrai que, jusque-là, les principales centrales syndicales marocaines ont particulièrement failli à travailler de manière unie. Bien au contraire, les structures en présence n'ont visiblement pas du tout cherché à coordonner leurs efforts. «Nous avons pris la décision en tant que CDT et nous ne demandons l'aide de personne», explique Abdelkader Zaïer, secrétaire général adjoint de la CDT, à propos de la décision de son syndicat d'organiser la grève générale du 21 mai. Une décision qui ne semble pas emballer les leaders de l'UMT. «Nous n'avons encore rien décidé pour le 21 mai et nous ne savons pas d'où cette idée est venue. Personne ne s'est concerté avec nous», fait remarquer Mohamed Hakech, secrétaire général de l'Union syndicale des fonctionnaires et des collectivités affiliées à l'UMT. La course à la grève Aujourd'hui, de part et d'autre, les syndicats revendiquent la primeur concernant la date des grèves. «Nous avons pris la décision le 28 avril, donc bien avant le 1er Mai alors que la décision de la CDT a été prise le samedi 3 mai», souligne-t-on à l'UMT. Faux explique-t-on à la CDT. «Les autres syndicats n'ont pas pris la peine de nous contacter, d'autant plus qu'avant le 28 ou le 29 avril nous avions déjà décidé de faire une grève générale et nous avons simplement reporté l'annonce de la date au 2 ou 3 mai, mais ils n'ont pas attendu», regrette Mustapha Chennaoui, secrétaire général du syndicat de la santé à la CDT. «Il n'y a pas de solidarité ni de coordination syndicale. Nous avons proposé d'essayer de coordonner et d'imposer un seul cahier revendicatif, car les revendications sociales n'ont pas d'appartenance, et les gens n'intègrent pas les syndicats pour leur sympathie partisane, mais parce qu'ils ont des revendications», souligne Mohamed Yatim, secrétaire général de l'UNTM. Un manque de coordination qui ne correspond certainement pas à un oubli. «L'UMT n'a rien décidé pour le 21 mai, et elle n'a pas à le faire à la place des autres», tranche Miloudi Moukhariq, secrétaire général adjoint de l'UMT. «Notre grève du 13 mai était sectorielle, pour le reste, cela ne nous intéresse pas…, l'Union marocaine du travail est une organisation libre et indépendante de tout pouvoir et toutes les actions qu'elle mène sont décidées par les travailleurs et au profit des travailleurs, loin de tout calcul politique ou partisan. Ceux qui veulent se bagarrer sont libres de le faire mais qu'ils laissent les travailleurs en paix». Quoi qu'il en soit, le syndicat de Noubir Amaoui semble aujourd'hui particulièrement visé par les critiques, aussi bien des responsables gouvernementaux que des syndicats. Accusée de chercher à redorer son blason à la veille des élections de 2009, la CDT se livrerait-elle à la fuite en avant ? Un peu moins d'un mois après la démission en bloc de ses conseillers à la deuxième Chambre à la sortie d'une réunion de son conseil national qui aura duré, en tout et pour tout, seulement deux heures, la grève générale annoncée par le syndicat pourrait bien être une nouvelle opération de com' (voir encadré). Il n'en reste pas moins que la grève du 13 mai organisée par les autres structures touchait aux collectivités locales, censées être le territoire de la CDT et justifiant, possiblement, le sursaut de la centrale de Noubir Amaoui… Reste à savoir si la CDT saura se sortir honorablement, le 21 mai prochain, de ce concours de flexion de muscles, et ce sans révéler de faiblesse au niveau local. En attendant, le principal perdant de cette épreuve semble bel et bien être celui qui s'est montré le plus disposé au dialogue : le gouvernement .