Retrait du Parlement, grève générale, la CDT met le feu aux poudres. Amaoui défend d'abord son syndicat, mais ce bras de fer n'est pas un baroud d'honneur On le disait usé, lassé mais le vieux lion de Mzab, Noubir Amaoui a repris du Service. La décision de quitter la deuxième chambre est la sienne et ses troupes se sont exécutées. Dans la foulée il brandit la menace de grève générale, temporise après, cependant la perspective est lancée. Ceux qui brocardent le secrétaire général de la CDT feraient bien d'y réfléchir à deux fois : cette fois il ne joue pas à contre-temps. En 1997, quand il a lancé son mot d'ordre de grève générale à quelques jours des législatives devant amener l'alternance, la manœuvre politicienne était trop évidente. Aujourd'hui la crise sociale s'approfondit et la réponse du gouvernement est à l'évidence inadaptée à la profondeur de la crise. N'y a-t-il aucune arrière-pensée politique dans la surchauffe de la CDT ? Cela serait trop naïf de le croire. Le syndicat d'Amaoui largement fragilisé par la scission, subit plus que les autres centrales, le phénomène de désaveu. À l'intérieur, Noubir Amaoui a été obligé de faire de la place aux tendances gauchisantes. Celles-ci respectent encore moins que ses lieutenants, le caractère du syndicat. Elles sont plutôt agissantes dans la société et là où cela fait mal aux syndicalistes. Elles se mobilisent pour la préservation du pouvoir d'achat. Le mouvement prend de l'ampleur, alors que les syndicats n'arrivent pas à engager la lutte organisée. Les centrales ont été piégées par les accords politiques de paix sociale. Amaoui veut rompre de cycle. La défense de la centrale/B Ceux qui mettent la réaction d'Amaoui sur le compte de velléités électoralistes, n'ont rien compris au film. Il a tiré la leçon des échecs répétés du congrès national Ittihadi. Ce qu'il veut sauver, c'est ce qu'il considère comme l'œuvre de sa vie : la CDT elle-même fragilisée, celle-ci l'est aussi par la politique gouvernementale. La centrale a perdu de l'influence, relativement, dans les secteurs de l'enseignement, des phosphates et de la santé. Dans le privé, elle ne rivalise pas avec l'UMT. Le secteur où la CDT est la plus forte, ce sont les collectivités locales. Depuis près de 3 ans, ce syndicat mène grève sur grève et, depuis quelques mois, il paralyse pratiquement l'activité 3 jours par semaine. La majorité de ces salariés de l'Etat, ne touchent même pas le SMIG, ils subissent donc encore plus la hausse des prix. Le gouvernement reste inflexible, ils sont trop nombreux, la masse salariale est trop importante. La CDT ne peut se permettre l'échec de cette grève dans le dernier de ses bastions. L'une des raisons de la fureur d'Amaoui est bien ce ressentiment contre l'inflexibilité de l'Etat face à un conflit qui s'enlise et qui engage sa force essentielle. Le retrait de la deuxième chambre est un symbole fort de rupture et de dénonciation. La grève explosive Il met la pression sur tous les partis et essentiellement ceux de gauche, il lorgne sur les débats qui secouent l'USFP et se replace dans le rôle qu'il préfère, celui de la zone du petit peuple. La menace de grève générale est habile, très habile. Dans les conditions de crise sociale aigüe que traverse le Maroc, Amaoui sait tous les dangers qu'elle implique. Les salariés peuvent très bien ne la suivre que faiblement, parce que la politique de division des appareils les a démoralisés. Cependant, les exclus peuvent s'en saisir comme d'une brèche leur permettant d'exprimer leur désarroi. Que ce soit au Maroc ou ailleurs, cette expression de la colère chez ces couches de la population, prend souvent la forme d'émeutes. La manœuvre est triplement habile. Elle s'adresse d'abord aux syndiqués et aux «couches défavorisées» pour signifier une grande détermination et redorer le blason d'une centrale «assagie» face à Youssoufi et surtout à Jettou. Ensuite elle met la pression sur les partis de gauche et les autres syndicats, qui, face à la crise sociale, seront obligés de réagir. Enfin, aucun gouvernement censé ne peut prendre à la légère un risque pareil qui mettrait en péril les acquis de la dernière décennie. Le Maroc nouveau ne peut se permettre une tragédie. L'Istiqlal et son officine l'UGTM, en cherchant à diaboliser Amaoui, vont au contraire le renforcer. La seule attitude valable, c'est de revoir toute la politique sociale et son épine dorsale, la caisse de compensation. L'intelligence politique, c'est de lâcher du leste sur les revendications des communes. Céder à une pression syndicale pour désamorcer temporairement la crise sociale qui se noue, est une issue politique honorable. La recherche de l'affrontement ne tient pas compte d'un fait majeur : Amaoui joue la survie de la CDT et il ne lâchera pas prise.