Les vestiges osseux d'outardes canepetières soigneusement découpées et déposées dans des sépultures humaines vieilles de quinze millénaires, exhumés dans la grotte de Taforalt (nord-est du Maroc), révèlent que ces oiseaux imposants faisaient l'objet d'une consommation cérémonielle étroitement liée aux rites funéraires des derniers chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur. Cette découverte, publiée dans la revue IBIS, atteste non seulement de l'ancienneté de la présence de Otis tarda sur le continent africain, mais suggère également que cette espèce, aujourd'hui en péril critique (CR) selon la classification de l'UICN, occupait une place éminente dans l'imaginaire symbolique des populations ayant occupé la région de Taforalt à la fin du Pléistocène. «Nous observons une corrélation manifeste entre les pratiques d'inhumation et la consommation rituelle d'outardes, ce qui témoigne d'un comportement funéraire élaboré, incluant la préparation d'un festin communautaire», déclare Joanne Cooper, zoologiste au Natural History Museum (Londres), spécialiste de l'avifaune préhistorique et co-autrice de l'étude. La grotte de Taforalt — également connue sous l'appellation de Grotte des Pigeons — constitue l'un des plus anciens sites funéraires documentés en Afrique. Elle abrite plus de trente sépultures humaines datées d'environ 14 700 ans, dans un état de conservation remarquable. L'environnement sec et stable de la cavité a permis la préservation de nombreux éléments biologiques, parmi lesquels des plantes médicinales (notamment Ephedra), des fragments d'aliments, des outils lithiques et des ossements d'animaux variés. Parmi ceux-ci, les restes d'outardes canepetières, espèce aujourd'hui cantonnée à deux ultimes bastions dans le nord-ouest marocain, témoignent d'un usage à la fois alimentaire et symbolique. Dans certaines sépultures considérées comme de haut rang, les chercheurs ont mis au jour des sternums de mâles adultes présentant des traces de découpe nettes, analogues à celles que l'on observe sur des volailles consommées dans un cadre festif. «La présence répétée de ces oiseaux dans les tombes, leur taille, leur rareté relative, tout concourt à penser qu'ils faisaient l'objet d'une quête délibérée, en vue de rituels précis», poursuit Mme Cooper. «Leur habitat naturel, les plaines herbeuses, se situe à plusieurs heures de marche du site. Il fallait donc les capturer, les transporter, les préparer, les cuire, et enfin les consommer dans le cadre de cérémonies funéraires collectives.» Cette pratique de banquet funèbre renvoie, selon les auteurs, à des formes de structuration sociale et de cohésion communautaire où le mort n'est pas simplement enseveli, mais accompagné d'offrandes nourricières à forte charge symbolique. Elle éclaire d'un jour nouveau la complexité des comportements rituels de ces sociétés prénéolithiques, à l'orée de la sédentarisation. Longtemps discutée, la présence ancienne des outardes canepetières en Afrique du Nord trouve ici une confirmation tangible. Cette lignée, distincte de celle présente dans la péninsule Ibérique, est aujourd'hui menacée d'extinction. À peine une soixantaine d'individus survivent dans les steppes relictuelles marocaines. Mme Cooper et ses collègues espèrent que la révélation de cette relation plurimillénaire entre humains et outardes saura inciter à une prise de conscience accrue de la nécessité de leur sauvegarde. «Ces oiseaux ne sont pas des survivances anonymes ; ils sont les derniers témoins ailés d'un passé profondément enraciné dans la mémoire des hommes», conclut-elle.