Dans mon dernier article du 11 Avril 2025, « La véritable raison derrière le revirement du Président Trump sur les tarifs douaniers », les tensions sur le marché obligataire américain, et notamment sur les Bons du Trésor US, ont fait plier l'administration américaine qui a opté pour une pause de 90 jours dans l'application des nouveaux tarifs douaniers. Par Youssef Benhaddouch* Près d'une semaine après cette volte-face, quid de l'étendue des dégâts sur le plan économique ? Le chaos ambiant est bien réel et sa vitesse de propagation crée les conditions d'une disruption massive, réminiscence troublante des effets de la pandémie du Covid-19. Je mettrai en avant ces quelques statistiques et données récentes qui donnent la mesure du contrechoc brutal des annonces tarifaires. 1. Un commerce mondial a l'arrêt Des réservations de containers en baisse de -49% (en données hebdomadaires séquentielles), -64% pour les importations US, -30% pour les exportations US. Même les navires en partance d'Asie sont déroutés vers l'Europe, leurs marchandises stockées et probablement bradées prochainement (226 navires « dockés » à Anvers vs 34 la semaine dernière). Lire aussi | La véritable raison derrière le revirement du Président Trump sur les tarifs douaniers 2. Des perspectives de résultats des entreprises en berne et des plans d'investissements gelés Aucun business model ne peut résister à une secousse économique de cette ampleur. Les perspectives de résultat du S&P500 ont été révisées à la baisse durant 17 semaines consécutives, un record en termes de « momentum de révision » depuis le « bear market » de 2002. Le « New York State Manufacturing Survey » (indicateur avancé de l'activité économique de NY) est au plus bas depuis 25 ans. Remarque anecdotique : même la forteresse Hermès (qui réussit l'exploit de transformer ses clients aspirants en mendiants récidivistes) a enregistré un ralentissement sensible de ses ventes en Chine. Nous assistons en réalité à un pic d'incertitude politique (« timing » et quantification des tarifs, taille du déficit budgétaire, avec ses modalités de réduction et la taxation à venir) comme indicateur avancé du reflux à venir des investissements des entreprises, des plans de production et des embauches. Avec des business plans revus en baisse, des chaînes d'approvisionnement désorganisées et à peine remises du traumatisme post Covid, des plans de licenciement en cascade, il paraît fort probable que les entreprises vont passer en mode « commando» voire « survie » pour certaines. Un chiffre récent venu de Chine montre l'ampleur du choc : 20mn d'ouvriers licenciés la semaine dernière, -30% d'embauches et un chômage des jeunes (chiffre gardé secret par le Politburo chinois) probablement autour de 30%. Ce gel de l'activité impacte par ricochet le marché du financement des entreprises et des deals de sortie de sociétés détenues par des fonds de Private Equity. Près de 12 000 sociétés US détenus par ces fonds (dont 3 800 détenues entre 5 et 12 ans) vont devoir attendre de meilleurs jours pour une sortie sur les marchés publics (une autre bombe à retardement dans le bilan de certaines banques et fonds de dette privée?). 3. Risques de désordre monétaire comme facteur aggravant Le Dollar allait toujours être (du point de vue des US) « our currency but your problem ». Après sa chute récente et plutôt inattendue (-8% en moyenne depuis le début de l'année), il devient encore plus un problème pour le reste du monde. Pour les exportateurs en USD, c'est la double peine de la dévaluation de leur recette et les tarifs douaniers à l'entrée des US. Pour les banques centrales, le renchérissement de leur propre monnaie en parité étrangère les poussera probablement à baisser leur taux d'intérêt. Cette « dévaluation » du Dollar est le résultat de sorties massives de capitaux investis en actifs US après les annonces tarifaires, et de débouclements forcés de positons spéculatives (sur les bons du Trésor US). Les mouvements actuels de désengagement de l'USD remettent en question son statut de monnaie refuge. Mais la Chine – dans ce domaine- possède également une arme de dissuasion massive : la dévaluation du Yuan qui, si elle se matérialisait, sonnera le glas de la VRAIE guerre commerciale, celle des monnaies avec une possible onde de choc déflationniste mondiale. On l'aura compris. Les enjeux pour les deux puissances sont de l'ordre du... vital , et pour le reste du monde au passage, un peu également. Lire aussi | Majda Lahlou Kassi: « Avec la 5G et l'IA, le Maroc peut devenir un hub numérique régional » Un accord tarifaire qui mettrait à plat les tarifs non douaniers (ce qui constitue la principale pierre d'achoppement dans les discussions entre les grands blocs commerciaux US, UE, Chine et Japon) devient plus qu'urgent et il convient surtout d'écourter au maximum ce « standstill » (eg impasse) qui a déjà coûté des « trillions of dollars» En concluant sur une note de raison « Never Bet against America » dans le dernier article, je pourrai rajouter : Le Pire n'est Jamais sûr (E. Morin). *Youssef Benhaddouch, ancien gérant de fonds à l'international, administrateur indépendant.