Malgré les protestations indignées de Doha, les soupçons d'ingérence dans les négociations sur Gaza jettent une ombre durable sur la prétendue neutralité qatarienne. Depuis le début du conflit entre Israël et le Ḥamas, le Qatar n'a cessé de revendiquer un rôle central dans les discussions en coulisse. L'émirat accueille les dirigeants du mouvement islamiste palestinien, finance une part non négligeable de ses structures et se présente, avec insistance, comme l'un des rares interlocuteurs capables de parler aux deux camps. Mais à mesure que la guerre se prolonge, cette posture se fissure. Selon des sources diplomatiques, Doha aurait récemment tenté avec acharnement de discréditer les bons offices de l'Egypte. Des messages hostiles au Caire auraient été diffusés via des relais liés au cabinet de Benjamin Netanyahou, avec le concours, présumé mais non démenti, de responsables qataris. L'information a été publiée par la presse israélienne, provoquant une réaction immédiate du Bureau international des médias de Doha, qui a dénoncé des «accusations calomnieuses» émanant d'«acteurs malveillants.» Une diplomatie à double étage L'affaire soulève une question plus large : à quoi sert la diplomatie qatarienne dans ce conflit ? Depuis le 7 octobre, Doha affirme œuvrer pour la libération des otages israéliens. Pourtant, selon un ancien officier du renseignement américain, Michael Pregent, le Qatar aurait conseillé au Ḥamas de les garder. L'idée d'un double jeu n'est plus à écarter. Doha s'est bâti depuis deux décennies une image de médiateur agile, capable de parler à tous les camps. Cette image repose sur un usage habile de ses ressources : un appareil diplomatique opportuniste, des milliards dépensés dans l'aide humanitaire, une vitrine médiatique mondiale mais de plus en plus contestée avec Al Jazeera et une présence feutrée dans toutes les capitales où les conflits se négocient. Le retour de l'Egypte Face à cela, Le Caire se réaffirme discrètement. L'Egypte reste le seul acteur régional en lien permanent avec les factions palestiniennes, les autorités israéliennes et les puissances occidentales. Ses services de renseignement, ses diplomates et son poids historique font d'elle une puissance de médiation que Doha n'a jamais pu supplanter, malgré ses ambitions. La crise actuelle agit comme un révélateur. Le Qatar, en misant sur une centralité diplomatique fondée sur l'exposition et la proximité, s'est placé dans une position intenable. Il ne peut ni rompre avec le Ḥamas, ni apparaître comme son simple relais. Il prétend arbitrer, tout en étant partie prenante. Ce déséquilibre rend sa présence suspecte, voire contre-productive, affirment les médias occidentaux. Doha s'est enfermé dans un récit de puissance morale, de médiation bienveillante et de pragmatisme éclairé. Mais dans les faits, ce récit vacille. L'émirat a voulu incarner la diplomatie souple, celle qui transcende les oppositions binaires du Moyen-Orient. Il se retrouve aujourd'hui accusé de corruption, isolé, critiqué, et soupçonné de prolonger un conflit qu'il prétend vouloir résoudre.