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Ali Anouzla, le messie d'une aube nouvelle
Publié dans Lakome le 26 - 09 - 2013

La vengeance du Makhzen contre Ali Anouzla, directeur du site Lakome.com est symptomatique de sa nature profonde. Elle illustre l'essence même du régime de Mohammed VI, une monarchie d'un autre âge, hors-sol, hautaine jusqu'à la démence, pétrie d'arrogance et de vilénie. C'est un fait établi que la mise aux fers de Ali Anouzla vient encore une fois confirmer : la tyrannie est la marque de fabrique du pouvoir royal, la sève de son mode de gouvernance. Une tyrannie qui n'a pas repris ses vieilles habitudes après une période de grâce que les oublieux ont cru un temps percevoir, mais une tyrannie latente, inscrite dans son génome et qui se révèle au grand jour à chaque crispation envers ses détracteurs.
Bâillonner un journaliste aussi influent qu'intègre en l'accusant de desseins terroristes montre à quel point ce régime est aveuglé par son ivresse du pouvoir absolu, incapable de s'amender ni d'accepter le moindre contre-pouvoir et encore moins l'existence d'une presse indépendante dont le seul outrage est de lui tendre à la face le miroir de ses propres turpitudes.
Ali Anouzla fait partie d'une génération de journalistes criminalisés par la caste au pouvoir depuis une quinzaine d'années. Dans son petit réduit de Lakome, véritable village d'irreductibles gaulois aux prises avec un Etat césariste, il était l'un des derniers à porter la plume là où ca fait mal, décryptant avec justesse et sans complaisance la lente décomposition d'un règne qui déploie des moyens colossaux pour ravaler sa façade par une propagande aussi risible que contre-productive.
Les éditoriaux lumineux et sans concession de Ali Anouzla, les enquêtes explosives des journalistes de Lakome.com au cœur d'un système mafieux ont rendus fébriles le quarteron de nervis du trône pour qui la solution finale n'était plus une option mais une nécessité absolue contre ce journal électronique aux moyens dérisoires mais à l'impact sans précédent. Il fallait donc l'abattre sans sommation quitte à dynamiter les faux-semblants résiduels de cette royauté qu'il veulent à tout prix soustraire aux curiosités.
On savait que la monarchie avait mauvais caractère. Une simple colère du roi et toute la géographie du pouvoir s'en trouve bouleversée. Aujourd'hui, avec l'affaire Anouzla, l'ire du monarque et de son premier cercle de courtisans entraîne un peu plus le pays vers l'inconnu car il faut garder à l'esprit que cette tragi-comédie porte en elle, comme d'autres auparavant, mais avec encore plus d'accuité, les germes d'un changement inéluctable.
Comme Giuseppe Tomasi, qui décrit dans « Le Guépard » une Sicile aux prises avec les tourments de la révolution, il aurait fallu que tout change au Maroc pour que rien ne change, mais Mohammed VI ne semble décidément pas l'avoir compris, lui qui ne veut régner et gouverner qu'avec l'insouciance et la folie auto-destructrice des Tsars.
Il ne faut pas s'y méprendre, le règne de Mohammed VI est décidément en déclin malgré l'illusion de stabilité qui le différencie de ses pairs soufflés par les révolutions arabes. En réalité, la vénération presque magique dévolue au roi n'est plus qu'un mirage qui le conforte dans son autoritarisme au point de le pousser à commettre bourde sur bourde le rapprochant encore un peu plus du précipice.
Souvent les puissants du Maroc se sont montrés indignes de leur rang. Sultans, rois et serviteurs de la Couronne se sont adonnés à leur passion honteuse, celle de l'accaparement des pouvoirs, de tous les pouvoirs, expédiant à la potence ceux qui les ont mis à nu et achetant les âmes des autres par l'argent et la terreur. Ils ont à chaque fois été balayés par un bouleversement, une révolution de palais ou par l'asservissement colonial.
Par une ironie de l'Histoire, et malgré son terrible règne au long cours, Hassan II est mort juste à temps pour permettre à son fils de jouer les prolongations. C'est de cette inertie que le règne bringuebalant de Mohammed VI perdure aujourd'hui.
Mais le décor de la tragédie qui se noue est déjà planté. Une situation politique et économique des plus critiques, une société déboussolée, des décideurs-voyous, un roi autiste. Telle est la réalité explosive du Maroc après presque quinze années de règne de Mohammed VI. Le fait du prince pour faire taire Ali Anouzla n'est qu'un des actes ultimes de cette pièce crépusculaire qui tire, quelle qu'en soit l'échéance, vers son épilogue.


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